Christophe Domingos est avocat à la cour au sein du cabinet Castegnaro – Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Ius Laboris Luxembourg.)

Christophe Domingos est avocat à la cour au sein du cabinet Castegnaro – Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Ius Laboris Luxembourg.)

En droit luxembourgeois, le principe fondamental quant à la détermination de la rémunération au moment de la formation du contrat est celui de la libre volonté des parties. L’employeur dispose ainsi d’une grande liberté tant en ce qui concerne le montant de la rémunération contractuelle qu’en ce qui concerne la structure et les différentes composantes de cette rémunération: rémunération fixe, variable, avantages en nature (voiture ou logement de fonction, chèques-repas, etc.)

Certaines règles légales et/ou conventionnelles limitent le principe de la libre fixation de la rémunération. La première règle concerne le respect du salaire social minimum légal ou des minimas salariaux prévus par la convention collective applicable. «Actuellement, et ce depuis le 1er octobre 2013, le salaire social minimum mensuel brut s’élève à 1.921,03 euros pour tous les salariés ayant plus de 18 ans (indice 775,17) et à 2.305,23 euros pour les ‘salariés qualifiés’», explique Christophe Domingos(Castegnaro – Ius Laboris Luxembourg). Ainsi, l’employeur et le salarié ne peuvent convenir d’un salaire inférieur à ces minimas légaux. «Il en est de même lorsque la convention collective applicable prévoit un salaire minimum qui ne peut être qu’égal ou supérieur au minimum légal.»

Quant à l’appréciation du salaire social minimum, il convient de préciser que le législateur n’a pas apporté de précision concernant les éléments de rémunération devant être pris en compte pour déterminer le salaire brut du salarié. «La jurisprudence luxembourgeoise a néanmoins précisé que les heures supplémentaires devaient être exclues de cette comparaison.»

La deuxième règle correspond au respect du principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Ce principe interdit à l’employeur de différencier, sur la seule base de leur sexe, les rémunérations de deux salariés étant dans des situations identiques. «Au-delà de ce principe d’égalité de traitement hommes-femmes se pose la question de l’existence d’un principe plus général, à savoir ‘à travail égal, salaire égal’, créé par la jurisprudence française. Selon ce principe, deux salariés placés dans une situation identique doivent recevoir la même rémunération de base.»

Cependant, contrairement à la jurisprudence française, pour les juridictions luxembourgeoises, le principe «à travail égal, salaire égal» ne doit pas être appliqué strictement et ne doit pas constituer un obstacle à la liberté de l’employeur d’individualiser les salaires: «le principe ‘à travail égal, salaire égal’ n’est applicable que pour les éléments du salaire fixés par la loi ou la convention collective», précise Christophe Domingos.

Il est ainsi admis que l’employeur demeure parfaitement libre de fixer le salaire des travailleurs d’une même catégorie à des montants différents, grâce en particulier à des gratifications individuelles. «Ainsi, les gratifications et primes versées aux salariés de manière discrétionnaire par l’employeur ne peuvent faire l’objet d’un contrôle sur la base du principe ‘à travail égal, salaire égal’.»

Toutefois, la différenciation des rémunérations n’est valable qu’à condition que la décision d’attribution de ces primes et gratifications ne soient pas basée sur des motifs discriminatoires (religion ou convictions, handicap, âge, orientation sexuelle, appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une race ou une ethnie). «Notons cependant que c’est au salarié qu’il incombe de prouver la discrimination dont il s’estime être victime», prévient Me Domingos.

En pratique, ces modalités de fixation de la rémunération, plus souples que celles imposées en France, laissent une place plus importante à la négociation en matière de rémunération entre l’employeur et le salarié lors de la conclusion du contrat de travail.

Modification de la rémunération du salarié

Le mécanisme d’indexation automatique des salaires sur le coût de la vie existe seulement dans deux pays européens que sont le Luxembourg et la Belgique. En raison de son caractère d’ordre public, l’employeur est, au cours de la relation de travail, tenu d’appliquer les effets de ce mécanisme sur la rémunération du salarié. Une telle indexation a d’ailleurs pris effet le 1er octobre dernier. «La rémunération négociée par les parties au contrat de travail constitue un élément essentiel du contrat, insiste Christophe Domingos, rappelant la définition du concept d’«élément essentiel du contrat de travail»: «Tout élément qui a été déterminant pour les parties à la conclusion du contrat. Si la revalorisation de la rémunération ne soulève aucune difficulté en pratique, la situation s’avère plus compliquée en cas de réduction de la rémunération. Dans le contexte actuel de crise qui contraint les employeurs à poursuivre une politique de réduction des coûts et partant de la masse salariale, cette problématique est de plus en plus fréquente.»

Pour éviter que le salarié ne soit exposé au bon vouloir de son employeur, le législateur a tenté de limiter la possibilité de l’employeur de modifier unilatéralement un élément essentiel du contrat de travail. «Ainsi, toute modification de la rémunération contractuelle en défaveur du salarié est soumise à l’accord de ce dernier. À cet égard, il importe peu que la modification concerne le montant de la rémunération ou la structure de cette rémunération. Dans le cas où le salarié accepterait la modification de sa rémunération, il est conseillé à l’employeur de conclure un avenant afin de se ménager une preuve de l’accord du salarié.»

En l’absence d’accord du salarié, le législateur oblige l’employeur qui ne souhaite pas renoncer à la diminution de la rémunération à respecter une procédure visant à imposer de manière unilatérale cette modification. La procédure à respecter est sensiblement identique à celle prévue en cas de licenciement. L’employeur doit organiser, le cas échéant (si plus de 150 salariés occupés), un entretien préalable, et notifier au salarié la modification par courrier recommandé ou remise en mains propres contre récépissé, en indiquant sa date de prise d’effet, et en respectant le préavis prévu par la loi en matière de licenciement avec préavis, en fonction de l’ancienneté du salarié.

À savoir également…

Parmi les quelques subtilités du droit du travail, notons celle qui prévoit qu’un salarié peut tout à fait s’opposer à la décision de l’employeur de lui attribuer des chèques-repas.

Dans la mesure où ces chèques-repas sont partiellement financés par les salariés à hauteur de 2,80 euros (pour un chèque-repas d’une valeur de 8,40 euros), l’introduction d’un tel système pour les salariés constitue une modification de leur rémunération.

Rappelons que le salaire constitue un élément essentiel du contrat de travail et que par conséquent, toute modification au détriment du salarié est soumise à l’accord individuel de chaque salarié. Ainsi, un salarié pourrait légitimement refuser de se voir attribuer des chèques-repas…

Jurisprudence

Le salaire social minimum pour salarié qualifié

Suite à un long épisode judiciaire devant les juridictions luxembourgeoises, la Cour de cassation et la Cour d’appel viennent de rendre des décisions très attendues dans une affaire concernant la preuve de la qualification «salarié qualifié» du salarié non détenteur d’un certificat officiel.

Selon l’article L.222-4 paragraphe 1 du Code du travail, le salaire social minimum doit être majoré de 20% pour les salariés qualifiés. L’enjeu principal de cette disposition est, dès lors, de définir quels sont les salariés qui peuvent se prévaloir de la qualité de «salarié qualifié». En vertu de l’article L.222-4 paragraphe 2, 3 et 4 du Code du travail, il existe différents cas selon lesquels un salarié peut être reconnu de «salarié qualifié». Parmi eux, la possibilité pour un salarié qui exerce une profession couverte par un certificat officiel, sans détenir ce dernier, d’être considéré comme «salarié qualifié», après 10 ans de travail dans ladite profession.

Dans l'affaire en question, une femme de charge ayant plus de 10 ans d’expérience professionnelle dans le secteur du nettoyage réclamait le salaire social minimum pour salarié qualifié au motif qu’elle avait acquis la pratique professionnelle d’un nettoyeur en bâtiment.

La profession de femme de charge ne nécessitant pas un certificat officiel, il appartenait à la salariée de prouver qu’elle avait exercé des fonctions similaires à celles de nettoyeur en bâtiment, profession qui est sanctionnée par un tel certificat. Une fois la preuve rapportée, elle aurait pu faire valoir ses 10 ans d’expérience afin de justifier sa demande de qualification de «salariée qualifiée».

Par un arrêt de 2011, la Cour de cassation demandait à la Cour d’appel d’analyser et de décrire précisément les tâches effectuées par la salariée afin de déterminer réellement si elles correspondaient à la profession de nettoyeur en bâtiment.

Dans sa récente décision, la Cour

d’appel a validé les éléments de preuve versés par la salariée, lui a reconnu la qualification de nettoyeur en bâtiment et par conséquent, la qualité de salariée qualifiée.

Pour retenir cette qualification, la Cour énonce que la salariée n’avait pas à rapporter la preuve d’avoir accompli toutes les tâches relevant de la profession de nettoyeur de bâtiment. Elle se contente de relever, sur base d’attestations testimoniales, que la salariée réalisait divers travaux de nettoyage, sur différents lieux en utilisant des produits divers et variés, par le biais de différents procédés techniques. Dès lors, elle en déduit que les tâches réalisées par la salariée étaient des tâches tombant dans les catégories de travaux décrits par l’arrêté ministériel relatif à la formation de nettoyeur en bâtiment et que cela suffit à démontrer qu’elle a acquis durant 10 ans une pratique professionnelle approfondie de nettoyeur en bâtiment.

Cette interprétation extensive des dispositions légales ouvre la possibilité aux salariés exerçant une profession dans laquelle la formation n’est pas établie par un certificat officiel depuis au moins 10 ans de demander à être reconnu comme salariés qualifiés à condition de pouvoir se prévaloir de la pratique d’une profession sanctionnée par un diplôme, proche de leur propre cœur de métier, et de prouver qu’ils ont accompli certaines tâches relevant de cette profession.

Ce feuilleton judiciaire n’est cependant pas terminé, puisque l’affaire fait actuellement l’objet d’un nouveau pourvoi en cassation.