Édouard Perrin espère un acquittement pour lui mais aussi pour les lanceurs d'alerte à l'issue du procès en appel. (Photo: Marion Dessard / archives)

Édouard Perrin espère un acquittement pour lui mais aussi pour les lanceurs d'alerte à l'issue du procès en appel. (Photo: Marion Dessard / archives)

Les défenseurs de l’ancien salarié de PwC et du journaliste ont tenté de convaincre les juges de prononcer une relaxe pure et simple de leurs clients lors de la quatrième audience du procès LuxLeaks en appel.

Raphaël Halet, accusé d’avoir transmis à Édouard Perrin 16 documents dont des déclarations fiscales de multinationales et leurs annexes à l’automne 2012, a écopé en première instance d’une peine d’emprisonnement de 9 mois assortie du sursis intégral et d’une amende de 1.000 euros. Son avocat réclame l’acquittement, s’appuyant sur sa stratégie depuis le début du procès qui consiste à démontrer l’illégalité de la pratique des rulings par l’administration fiscale luxembourgeoise. «Depuis le scandale LuxLeaks, j’entends toujours le même élément de langage: tout est légal même si c’est moralement discutable», ironise-t-il. «Mais le Luxembourg est le seul pays de l’Union européenne à pratiquer des rulings fiscaux sans aucune base légale, sans avoir jamais légiféré.» Et de rappeler que la Belgique et les Pays-Bas, qui ont eu, eux aussi, maille à partir avec la Commission pour des aides d’État, disposent d’une législation bien tangible et débattue ouvertement au Parlement.

Le Luxembourg est le seul pays de l’Union européenne à pratiquer des rulings fiscaux sans aucune base légale.

Me Bernard Colin, avocat de Raphaël Halet

Me Colin s’appuie encore sur le rapport Krecké sur l’évasion fiscale commandée en 1997 par Jean-Claude Juncker au futur ministre de l’Économie, alors simple député. Un rapport dont une page manquante a fini par ressurgir sous la pression de la commission taxe du Parlement européen: celle sur les rulings. «La pratique des rulings avec l’administration n’existe pas dans notre législation fiscale», est-il inscrit. Elle est donc illégale, interprète Me Colin, qui rappelle que les circulaires 119 et 120 liées à la loi sur l’impôt sur le revenu et qui prévoyaient la possibilité de donner des «avis préalables» à moins de 0,25% ont été abrogées en catastrophe en 1996, lorsque le Luxembourg a appris l’ouverture d’une enquête de la Commission sur ces textes. Motif de l’investigation: ces circulaires ne prenaient pas en compte la substance des entreprises pour calculer les prix de transfert notamment (prêts intragroupes).

Une mésaventure qui explique l’absence de législation en la matière depuis lors, selon Me Colin (même si c’est oublier la circulaire de 2011 sur les prix de transfert, récemment remplacée par une autre, avisée cette fois par Bruxelles). Car travailler sans base légale, «c’est l’impunité parfaite», tonne l’avocat.

Aucune enquête sur les révélations du procès

Ce dernier ne manque pas de tirer une dernière salve à l’encontre de PwC, la partie civile, qui a obtenu en première instance l’euro de dommages et intérêts qu’elle avait demandé. Une entreprise «à qui on a confié les clés du pays», s’emporte Me Colin, revenant sur le fait que PwC imprimait elle-même les rulings négociés pour ses clients afin de les faire valider par Marius Kohl, préposé du bureau 6 des Sociétés de l’Administration des contributions directes, et qu’elle s’occupait également de leur numérisation. Une anecdote relatée par Raphaël Halet en première instance et jamais démentie par PwC.

L’avocat s’étonne encore du peu de retentissement reçu par les rares questions parlementaires sur le sujet, le gouvernement se contentant de répondre que les temps ont changé, que celui des rulings distribués à la pelle est révolu.

La deuxième avocate de Raphaël Halet, Me May Nalepa, s’est, elle, attachée à éplucher les arguments juridiques du premier avocat général qui conteste à Raphaël Halet la protection intégrale octroyée par la Cour européenne des droits de l’homme aux lanceurs d’alerte. Elle note d’ailleurs avec humour que John Petry avait lui-même considéré lors d’un réquisitoire que les données informatiques n’étaient pas une chose que l’on peut soustraire – alors qu’il soutient le contraire dans sa note. L’infraction de fraude informatique reprochée à Raphaël Halet n’existe en tout cas que depuis deux ans et est donc postérieure aux faits incriminés, souligne-t-elle.

Ayez le courage de rendre sa dignité à Raphaël Halet.

Me May Nalepa, avocate de l’ancien salarié de PwC

Autre argument: Raphaël Halet n’est pas soumis au secret professionnel que connaissent les avocats, les médecins ou encore les militaires, puisqu’il n’a jamais dû prêter serment. Patiemment, l’avocate détricote l’argumentaire du premier avocat général pour en arriver à la conclusion que les critères établis par la Cour européenne des droits de l’homme pour délimiter la protection des lanceurs d’alerte s’appliquent bien à son client et doivent dès lors lui assurer la relaxe. «Ayez le courage de lui rendre sa dignité, pour qu’il garde la tête haute d’avoir fait ce qu’il a fait», conclut-elle.

«Alléluia, enfin le premier avocat général reconnaît la liberté de la presse et le droit d’informer à Édouard Perrin!», s’exclame Me Christel Henon à la barre. Car le Parquet avait poursuivi son client en estimant que «la liberté de la presse n’était pas remise en cause dans le dossier, sur base de l’audition de Raphaël Halet et sans considérer les échanges de mails». Or la fiabilité de l’interrogatoire de l’ancien salarié en présence de PwC et sous la pression de l’accord transactionnel l’intimant au silence a largement été remise en question.

Quand bien même la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement a écarté la plupart des accusations portées contre le journaliste, «le procès laisse un goût amer dans sa bouche», appuie l’avocate. «Si la liberté de la presse avait été reconnue ab initio, il ne serait pas là en train de débattre.»

Édouard Perrin respecte les obligations professionnelles qui s’imposent à lui.

Me Christel Henon, avocate du journaliste de Premières Lignes

Le dernier élément retenu contre le journaliste, et relayé par le premier avocat général John Petry dans sa note, reste le «fantasme de la boîte morte ou boîte fantôme». Me Henon répète ce qu’Édouard Perrin n’a cessé de clamer devant les juges de première instance et d’appel: il ne s’agit pas d’une ruse ou d’un instrument «conspiratif», selon les mots de John Petry, mais d’un moyen connu «souvent utilisé par les journalistes pour protéger leurs sources face aux risques d’espionnage informatique et de cybersurveillance». Le stratagème figure même parmi les enseignements de base dispensés aux journalistes d’investigation et aux reporters de guerre, tant les communications électroniques qui sont aujourd’hui la norme sont vulnérables.

«Cela n’a rien d’un système ‘conspiratif’», répète Me Henon, au contraire, «Édouard Perrin respecte les obligations professionnelles qui s’imposent à lui». Elle précise d’ailleurs que le journaliste a suggéré à Raphaël Halet de créer une boîte mail en premier lieu pour que l’agent administratif y dépose un «cliché d’authentification» - tout simplement la preuve de son identité et de ses fonctions chez PwC, afin de valider cette source d’information. La création de la boîte est donc bien antérieure à la transmission des documents et ne saurait constituer un élément de complicité dans le vol de ceux-ci.

Le droit à l’information, c’est le droit de publier des informations mais aussi celui de les recevoir pour le public.

Me Olivier Chappuis, avocat d’Édouard Perrin

Me Olivier Chappuis enfonce le clou. «Le droit à l’information, c’est le droit de publier des informations mais aussi celui de les recevoir pour le public», précise-t-il à propos du fameux article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre la liberté de la presse et sa protection à l’égard des journalistes. Et de détailler l’intérêt public des émissions réalisées par Édouard Perrin sur la base des documents livrés par Antoine Deltour et Raphaël Halet – et en particulier par ce dernier puisque leur «utilité» est niée par la partie civile. Comme le fait de savoir qu’ArcelorMittal Long Carbon transfère 173 millions d’euros à sa filiale de Dubaï – où ce montant échappe à l’impôt – alors que le géant de l’acier ferme Florange en 2012 en promettant 180 millions d’euros d’investissements, ou qu’iTunes sàrl Luxembourg affiche un chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros pour la vente de contenus digitaux au-delà des confins de l’Alzette et de la Sûre.

Même si Édouard Perrin a été acquitté en première instance et devrait l’être en appel si la Cour suit les réquisitions du premier avocat général, sa défense ne baisse pas la garde. «Toute sanction serait disproportionnée et insupportable», souligne Me Chappuis, rappelant que la Cour européenne des droits de l’homme elle-même estime «disproportionnée» une sanction pénale à l’égard d’un journaliste ayant fait son travail. «Elle serait même de nature à dissuader un autre Édouard Perrin en contact avec un autre lanceur d’alerte prêt à apporter des informations sur un tout autre sujet.» Et de conclure que son client «rend hommage à la contribution des deux lanceurs d’alerte», parce qu’il n’y aurait pas eu d’émission «sans leur courage citoyen de livrer des documents».

Une ultime audience aura lieu le 9 janvier afin de laisser au premier avocat général et à la partie civile la possibilité de répliquer aux plaidoiries de la défense.