Pascal Denis (Accenture) Guy Fabien (Agile Partner) Marc Payal (Fujitsu Technology Solutions)  (Photo: Julien Becker)

Pascal Denis (Accenture) Guy Fabien (Agile Partner) Marc Payal (Fujitsu Technology Solutions)  (Photo: Julien Becker)

Pessimistes, les professionnels du conseil? Pas forcément. Les périodes glorieuses sont peut-être révolues, mais la croissance est encore au rendez-vous pour un certain nombre d’acteurs.

«Le marché est difficile, reconnaît Pascal Denis, CEO d’Accenture au Luxembourg. Nous observons cependant une croissance de nos activités en provenance de nouveaux secteurs d’activité, mais aussi de clients qui se remettent en question.»Outre les mouvements inhérents au marché qui justifient les tendances observées, l’un des moteurs de l’activité de conseil serait donc l’état d’esprit des chefs d’entreprise, mais aussi de leurs collaborateurs. Par extension, la volonté d’entreprendre devrait permettre de surmonter des périodes plus délicates telles que celle que nous connaissons. «Le fait que des centres de décision d’acteurs importants soient à l’étranger peut toutefois handicaper le dynamisme du pays, déclare Marc Payal, managing director, Fujitsu Technology Solutions. Les responsables de branches locales doivent donc faire preuve d’entrepreneuriat au sein de leur propre groupe afin de défendre leur cause et, indirectement, celle du Luxembourg.»

Pour une relation équilibrée

Dans leur pratique quotidienne, les professionnels du conseil (au sens large) sont concernés au premier chef par les évolutions des conditions de marchés telles que vécues par leurs clients. Ce qui signifie des demandes de services plus sophistiqués variant suivant l’interlocuteur. «Le client peut d’une part nous considérer comme un partenaire ou d’autre part comme un fournisseur, ajoute Pascal Denis. Dans le premier cas, on parle d’une relation sur le long terme qui n’est pas uniquement basée sur le coût.» La relation de partenariat peut même, dans certains pays, être poussée à son paroxysme vers une alliance effective voire la création d’une société commune entre le client et le fournisseur de service. Il est ainsi possible d’imaginer, durant une période donnée, la mise sur pied d’une structure qui sera ensuite revendue à une entité tierce. «Cela nécessite de pousser la relation avec le client au-delà de la fourniture de service, note Pascal Denis. Nous devons pour notre part montrer et prouver que la réduction de coûts à court terme peut se muer à une rentabilité à long terme.» Reste que cette fusion des idées et des ressources dans ce modèle original est encore peu usuelle au Luxembourg, même si certaines spin-off continuent par ailleurs d’entretenir une certaine relation de proximité avec la société dont elles émanent. La relation de client à fournisseur resterait ainsi le standard privilégié dans beaucoup de secteurs, notamment par la place financière. «Or une alliance entre sociétés est aussi possible dans le cas de petites structures», observe Pascal Denis.

Innovation et flexibilité

Si la maturité du marché – ou ses habitudes – ne pousse pas encore les relations jusqu’à ce point, quelques questions préalables semblent s’imposer dans tous les cas, a fortiori en période d’incertitude. En premier lieu dans la phase contractuelle de la relation. «Le client a toute la latitude de choisir le service et le produit les plus innovants, mais il incombe de se demander comment il va les mettre en pratique, déclare Guy Fabien, business development managerchez Agile Partner. Pour optimiser cette mise en place, nous instaurons un comité de pilotage du service avec le client, ce qui permet d’instaurer une discussion régulière.» L’importance du rôle qui sera joué par le département chargé de piloter la relation avec le fournisseur de service doit aussi se poser dans le chef du client. L’intervention du département dédié aux achats ou appels à fournisseurs entre, à ce stade, en ligne de compte. Les spécialistes du conseil rencontrés s’accordent par ailleurs pour dire que si le département financier est désigné pour diriger le processus, le conseiller sera, par défaut, considéré comme un fournisseur de service.

«La fonction du département achat est bien entendu nécessaire, mais son rôle influera sur l’objectif recherché, ajoute Marc Payal. Il faut ainsi se demander si l’on souhaite avant tout innover ou économiser. La réponse à cette question dépendra en partie de la relation entre le client et le fournisseur.»

L’innovation, ce terme éprouvé et utilisé à dessein concerne aussi les professionnels du conseil qui veulent se situer parmi ses vecteurs, tantôt pour faire évoluer un modèle d’affaires ou un service existant, tantôt pour créer un nouveau projet. «Or la rapidité de mise sur le marché d’un nouveau service est souvent cruciale pour le client, ajoute Marc Payal. Si le projet est réellement mené de concert, cela peut permettre de faire gagner du temps et donc de marquer sa différence par rapport aux concurrents.»

La bataille pour les contrats d’infrastructure semble, en revanche, moins prioritaire pour les acteurs rencontrés qui s’orientent, à l’instar de la tendance observée dans d’autres secteurs d’activité, vers la valeur ajoutée. «Les projets de conseil offrent la possibilité de changer de direction ou d’option rapidement, ajoute Marc Payal. À l’inverse, les projets d’infrastructures sont relativement lourds, ce qui pousse les clients à réfléchir prudemment avant de les mettre en place.» Chacun opte en revanche pour sa propre méthode afin d’assurer la réussite du projet, mais l’intuition humaine est supplantée par des méthodologies éprouvées.

«Nous nous appuyons sur différentes hypothèses pour vérifier que le produit répond aux besoins du client, ajoute Guy Fabien. Nous nous basons donc sur des cycles courts pour analyser cette pertinence.»

Les opportunités des données

Parmi les secteurs considérés comme porteurs, le champ des données et leur gestion au quotidien est régulièrement cité. «Le big data sera certainement un créneau important dans les années à venir, ajoute Marc Payal. Cette tendance n’est pas nouvelle, mais les entreprises qui sauront se démarquer seront celles qui parviendront à gérer les 5% d’informations à valeur ajoutée.» La notion participative est aussi évoquée régulièrement comme l’une des tendances à exploiter, précisément via l’open source. Une technique favorisant l’innovation tout en alliant la notion d’agilité. «La nouvelle économie digitale apporte aussi de nouvelles perspectives via les canaux mobiles, ajoute Pascal Denis. Le mode collaboratif est, dans le même temps, appelé à évoluer, surtout dans le secteur bancaire.» La multiplication des données et la mise en place d’outils permettant leur utilisation mobile posent aussi des questions dans les métiers de la consultance. Au-delà des éléments contractuels ou de la mise en place d’une relation aussi stable que possible, les firmes de conseils investissent dans le même temps des moyens importants dans la recherche et le développement de nouvelles solutions. L’objectif affiché est d’orienter l’innovation vers des solutions permettant aux entreprises de gagner en compétitivité ainsi que réduire leurs coûts. L’importance de s’inscrire dans un réseau ou dans un groupe peut, dans ce cas, être un atout pour faire jouer un effet démultiplicateur de compétences et de retour sur expérience quant à un prototype. «Nous disposons d’un laboratoire dédié à l’innovation à Nice où nous y menons de la recherche appliquée», note Pascal Denis. Aux côtés des acteurs internationaux qui disposent de ce genre d’équipe, les sociétés locales jouent la complémentarité. «Nous misons avant tout sur le bon sens découlant de la méthode agile, ajoute Guy Fabien. La phase de démarrage de tout projet passe avant tout par une écoute des besoins du client. Cela permet, dans certains cas, de se rendre compte que l’expression de son besoin n’était pas encore arrivée à maturité.»

Pragmatisme et écoute

Une sorte d’introspection que le client réaliserait sur sa propre activité. «Il ne faut pas avoir peur de partir d’une feuille blanche lors du premier rendez-vous avec le client, note Marc Payal. De même, il est important qu’il se concentre sur son cœur de métier afin de cerner les activités essentielles de celles, annexes, qui peuvent se réaliser via une sous-traitance ou une aide externe.»

Reste que si les consultants s’inscrivent, pour les besoins de leur propre croissance, sur une vision à long terme axée sur de nouvelles solutions, le marché se montrerait plutôt pragmatique. «Les clients mesurent les nouvelles idées à l’échelle du bénéficie qu’elles peuvent leur apporter», relève Pascal Denis en pensant, par exemple, au cloud. Une approche prudente qui ne doit pas éluder l’importance de la prise en main par la direction de l’entreprise du processus de changement ou d’innovation lorsque celui-ci est validé. La notion de sponsor apparaît comme un élément central pour susciter l’adhésion de l’équipe métier, mais, au-delà, de l’ensemble des collaborateurs. Cette gestion du changement, synonyme d’investissements conséquents, dépend donc naturellement des ressources de part et d’autre.

Dans tous les cas, la solution qui répondra au besoin clairement identifié devra avant tout être adoptée et légitimée par l’équipe IT de l’entreprise qui en assumera, en partie, la charge. Ces collaborateurs en seront en effet les premiers représentants. «Il faut pouvoir identifier des relais au sein des équipes du client, en complément des talents, ajoute Guy Fabien. Ces relais auront un rôle actif à jouer dans la manière de fédérer les équipes autour d’un projet.» D’où l’importance d’entretenir et de développer un vivier de collaborateurs formés ainsi que d’étudiants capables de répondre aux besoins du marché. La concordance de l’enseignement avec les besoins du marché, l’un des thèmes de la campagne électorale, sonne comme un écho aux besoins de professionnels. D’autant plus qu’un nouveau métier pourrait voir le jour à l’aune de la croissance des données: celui de «data scientist». Une sorte d’expert en données qui serait capable d’exploiter la donnée pertinente grâce aux outils adéquats, également à (ré)inventer.

C’est le nombre d’entreprises, selon Luxinnovation, que compte le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) au Luxembourg. Soit près de 6% de la population active occupée par ce secteur d’activité (sans compter les employés des départements informatiques au sein d’autres secteurs).