Paperjam.lu

 

L’été 2008 sera instructif. C’est en effet au cours des prochaines semaines que seront connues les modalités pratiques de mise en place du statut unique, notamment la réorganisation des chambres professionnelles et de la sécurité sociale, ainsi que les nouvelles procédures qui en découleront (lire également l’interview du ministre François Biltgen ICI).

«Pour l’instant, nous avons très peu d’informations sur la façon dont cela est en train de s’organiser à l’intérieur des caisses de maladie, indique Florence Navarro, Tax & Legal Manager chez SD Worx. Les aspects légaux sont étudiés, mais la planification se fera pendant l’été, après la publication des textes d’application. Dans les entreprises, c’est en janvier que les questions pratiques vont réellement surgir».

Pour Mme Navarro, cette réforme, «vécue comme une injustice par certaines entreprises à prédominance ouvrière, s’inscrit dans un processus de progrès social à tous les niveaux. Nous allons connaître un changement important, mais dans cinq ans, tout le monde aura oublié qu’il existait auparavant deux statuts», assure-t-elle.

Pour l’heure, il s’agit néanmoins de franchir le cap, pour basculer dans un nouveau régime. Un océan de tracasseries à l’horizon? «Au niveau des ressources humaines, le surcroît de travail, qui devrait se ressentir pendant un semestre, se nichera essentiellement dans la mise en place de la nouvelle organisation des services et des nouvelles procédures informatiques. Mais au bout du compte, c’est bien d’une simplification administrative qu’il s’agit», précise Mme Navarro.

Parmi les nouveautés de la loi, figure notamment la continuation de la rémunération par l’employeur jusqu’à la 13e semaine, en cas d’absence pour maladie. «Le nouveau régime va clairement engendrer une surcharge de travail pour la gestion des maladies des employés (déclaration et remboursements par la mutualité, ndlr.). Comme cela génère plus de travail, on va peut-être regarder de plus près, dans les entreprises, les courtes absences», indique Mme Navarro. Pour la Tax & Legal Manager, cette réforme implique «un changement dans le management et les techniques de communication des entreprises. Pour certaines, de grands efforts restent à faire...».

Pour accompagner les entreprises, tous les organismes de formation sont sur le pont afin de leur délivrer une information la plus complète et pratique possible. SD Worx, pour sa part, a programmé des sessions d’information dès septembre, qui pourraient être complétées par des sessions plus «pratiques», en janvier-février 2009. Dans les chambres profession-nelles et les fédérations patronales, également, les plans d’action se mettent en place.

Séminaires et workshops

«Nous allons proposer toute une panoplie de services aux entreprises», indique ainsi Christiane Hoffmann, chef de service Formation continue à la Chambre des Métiers. Outre une série d’articles dans la revue d’Handwierk, un kit d’information sera diffusé aux entreprises du secteur et des formations seront programmées dès la rentrée de septembre. La Fédération des artisans prendra également en charge des séances d’information au niveau régional.

«Différents aspects seront abordés lors des sessions de formation: l’organisation du travail, le droit du travail et le droit de la sécurité sociale», précise Mme Hoffmann. Dans un premier temps, il s’agira de formations très généralistes, s’adressant aux dirigeants et aux personnes en charge du personnel. Dans un second temps, des sessions plus spécifiques, basées sur des exemples précis, prendront la forme de séminaires d’une à deux journées, ou de séances en soirée. Quant à l’organisation des élections sociales, des sessions de formation sont également prévues, en partenariat avec la Fédération des Artisans et l’Inspection du Travail et des Mines.

«Nous voulons donner un bagage aux employeurs, pour qu’ils puissent mettre en place une stratégie conséquente au sein de leur entreprise, développer le leadership de l’encadrement et les outils de prévention de l’absentéisme», souligne Mme -Hoffmann. «Cette réforme a une implication directe sur la compétitivité des entreprises de notre secteur, complète Marc Gross, sous-directeur de la Chambre des Métiers. Il faut revoir la manière de penser et de gérer son personnel, améliorer la motivation pour faire baisser l’absentéisme. Les patrons vont également être confrontés à leur propre culture d’entreprise, puisque ce sont les statistiques des dernières années qui vont permettre de classer leur entreprise au sein de la Mutualité», souligne-t-il.

Sur le terrain, si le message est en train de parvenir aux oreilles de certains responsables, d’autres n’ont pas attendu le vote d’une loi pour aborder de front la problématique. «Nous travaillons sur le statut unique depuis au moins trois ans», annonce Dominique Schmit, responsable des ressources humaines et membre du Comité de direction de Soludec.

Dans cette entreprise de construction qui emploie près de 500 personnes, dont une majorité d’ouvriers, «nous avons mis en place un programme de suivi de l’absentéisme. Nous sommes draconiens. Un jour d’absence non justifiée (sans certificat médical, ndlr.), et la prime annuelle est perdue. Mais cette rigueur n’a pas pour finalité d’aboutir au licenciement systématique. L’absence est gérée. Quand la personne revient, on prend de ses nouvelles. Parfois, le délégué à la sécurité va même lui rendre visite pendant son congé de maladie, l’écoute, l’aide en cas de besoin», indique Mme Schmit, qui évoque une approche «sociale».

«Ces discussions informelles permettent d’avoir une meilleure vision des causes de l’absence. Il est souvent possible de trouver des solutions, qui passent parfois par un reclassement interne. Je veille aussi à ce que les gens puissent récupérer leurs heures supplémentaires. Des gens sont malades de trop travailler... Nous avons constaté que lorsque le management est plus à l’écoute, plus participatif,  les absences diminuent», affirme la DRH, qui n’hésite pas à renvoyer chacun face à ses responsabilités. Sans détour. «Il n’y a pas de mauvais ouvriers, il n’y a que de mauvais managers. La maladie n’est qu’un indicateur des failles de l’encadrement», martèle-t-elle.

Disparités sectorielles

Contrairement à d’autres entreprises qui emploient une majorité d’ouvriers, la continuation de la rémunération en cas de maladie n’est donc pas le souci majeur de la réforme pour Soludec, où la problématique de l’absentéisme a été gérée bien en amont. «Le plus gros challenge pour nous sera la négociation de la nouvelle convention collective (la loi prévoit l’unicité, ndlr.), suite aux disparités entre celle des employés privés et celle des ouvriers», indique Mme -Schmit. D’une façon générale, l’introduction d’un statut unique n’en est pas moins «une bonne chose» à ses yeux. «Il va aider à la clarification de beaucoup de choses. Les problèmes seront posés sur la table. Mais pour ceux qui n’y sont pas préparés, ce sera un gros morceau», avertit-elle.

Des préparatifs également... mais des soucis en moins, du côté des établissements de la place financière: «Le secteur financier n’ayant que des employés privés, l’impact du statut unique sera moindre que dans d’autres secteurs. Ainsi, par exemple, l’unicité des conventions collectives est déjà en place... c’est notre petit bonheur à nous», glisse Jean-Sébastien Morandini, Assistant Vice President Human Ressources chez JP Morgan, qui emploie quelque 900 personnes dans ses deux entités au Luxembourg. «Le statut unique est une démarche positive, avec des impacts réels, une fois la période transitoire passée. Le premier trimestre 2009 nous permettra, au niveau administratif, d’adapter l’organisation de nos services. La standardisation rendra ensuite les choses beaucoup plus faciles», estime le responsable RH.

Comme la plupart des entreprises du secteur, JP Morgan a externalisé le pay-roll: «Nous transmet-tons les informations requises à notre pres-ta-tai-re, Interfiduciaire, qui se charge des calculs. Plusieurs réunions sont prévues cet été pour qu’ils nous fournissent des informations détaillées et que nous puissions mettre en place les nouvelles procédures, explique l’Assistant Vice President HR.

Des actions de communication interne seront ensuite menées en direction du personnel, dès que les précisions légales seront connues. «Plusieurs éléments de la loi vont nous rendre la vie plus facile, comme l’élimination de la déclaration ministérielle pour le travail des jours fériés ou encore la défiscalisation des heures supplémentaires», relève-t-il.

Bien que certains aspects de la loi suscitent encore beaucoup d’interrogations, comme les fameux comptes épargne temps (lire encadré), M. Morandini ne voit que des avantages à la réforme en cours: «La nouvelle loi prévoit une série de petits gains qui vont impacter dans le bon sens et mieux coller à la réalité des besoins et des situations», assure-t-il.

 

Les  «comptes épargne temps» vont arriver!

Un certain flou règne sur les fameux «comptes épargne temps», évoqués dans la loi du 13 mai 2008 sur le statut unique. «Nous avons du mal à comprendre ce que, d’un point  de vue technique, nous allons pouvoir mettre en place, explique Jean-Sébastien Morandini (JP Morgan).  Il faudra en tout cas créer, d’ici la fin décembre, les instruments de gestion de ces comptes épargne temps. Notre partenaire (Interfiduciaire) va nous proposer des solutions. Des contacts interbancaires sont également en cours afin de réfléchir à la façon de mettre cela en place dans l’ensemble du secteur. Je sais aussi que l’ABBL travaille sur la question, mais rien n’a encore été formalisé».

En attendant que les aspects légaux soient clarifiés au niveau ministériel (un projet de loi spécifique est en préparation au ministère du Travail et de l’Emploi), certains responsables RH essaient donc d’agir «de manière proactive» sur le dossier pour se préparer efficacement à la gestion de cette nouvelle avancée dans le droit du travail luxembourgeois.