Pour Marc Schiltz, executive head du FNR depuis cinq ans et membre du board de la plateforme européenne Science Europe depuis peu, c’est dès maintenant qu’il faut promouvoir ce hub du savoir hors des frontières, même si le site n’est pas terminé. «Il faut davantage utiliser le campus comme une carte de visite à l’étranger. Il est unique, incarne le passé prospère du pays et représente le futur de la recherche. C’est une histoire forte à raconter», cadre-t-il.
Pour améliorer la renommée du savoir-faire local, ces deux acteurs centraux dans l’écosystème actuel planchent sur un label commun au site et à tous ses acteurs pour plus de lisibilité. Comme le souligne Jean-Paul Schuler, CEO du GIE Luxinnovation depuis deux ans et autre briscard de la R&D, c’est son équipe et celle du FNR, le principal bailleur de fonds de la recherche grand-ducale, qui sont les mieux positionnées pour encadrer cet élan.
«Tous les acteurs de la recherche sont dans le même bateau. Nous devons travailler ensemble pour expliquer ce que représente la R&D au Luxembourg. Je vois Belval comme une vitrine, un flagship. La promotion du site est essentielle sur le plan économique. Plutôt que de promouvoir un centre de recherche en particulier à l’international, chacun doit vendre l’écosystème dans son ensemble. Les messages doivent être concertés et cohérents, de l’Université aux centres. Étant plus transversaux, le FNR et Luxinnovation sont particulièrement bien placés pour le faire.»
Et Marc Schiltz de le rejoindre: «Nous ne devons pas défendre nos propres organisations, nos rôles respectifs peuvent être fédérateurs. Nous pouvons également nous assurer que les uns et les autres se parlent davantage.»
Pour Marc Hansen, secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, cet effort forcément concerté, démarré sous la tutelle de son ministère, ne peut pas être qu’une question de logo. C’est le savoir-faire et la substance qu’il faut essayer de transmettre à l’étranger, pour attirer des entreprises, mais aussi les bons chercheurs.
Jean-Paul Schuler attire, quant à lui, l’attention sur l’importance de ne pas oublier le privé: « Faire venir davantage d’industries et d’investisseurs potentiels est la prochaine étape. » Interviennent aussi dans ce panorama le nation branding et les missions diplomatiques ou économiques. «Promouvoir la recherche et l’innovation, c’est promouvoir le pays. Cela dépasse largement Belval et nécessite de travailler en un bloc. Tout le monde a un rôle à jouer», ajoute Marc Schiltz.
«S’il y a cinq ans, à l’étranger, je constatais une curiosité polie pour la recherche luxembourgeoise, l’intérêt commence à changer.» La récente intégration de Luxembourg for Business dans Luxinnovation et l’élargissement de son budget et de ses missions participent de cette même logique. «Nous allons créer plus de ponts entre recherche et économie», prédit son directeur.
Mélange des genres
Autre axe fort pour le futur identifié par nos deux experts, tous deux installés à Belval depuis moins d’un an: développer davantage de modèles hybrides de collaboration entre privé et public, et ce, bien au-delà du campus. « Ce rapprochement constitue un autre objectif qui nous lie. Cette alliance ne peut qu’être bénéfique pour tous. La recherche gagne à être connectée au terrain», note encore Marc Schiltz.
Ainsi, le futur National Composite Centre – Luxembourg (NCC-L) constitue-t-il une première illustration de travail intersectoriel. Initié sous l’impulsion d’une douzaine d’industriels, dont Goodyear, IEE ou Performance Fibers, cet organe de recherche sera une plateforme technologique intégrée au sein du List et dédiée à la création de matériaux innovants, à destination, par exemple, de l’industrie automobile ou de l’aéronautique.
Pour attirer l’attention, il faut sortir de l’ordinaire.
Jean-Paul Schuler, CEO du GIE Luxinnovation
«Les entreprises ont été à bord du projet dès le départ. Sa vocation ne sera pas d’être un centre purement académique, mais, au contraire, de nourrir le business», explique le CEO de Luxinnovation. «Le but est aussi de partager les infrastructures et de créer des équipes de travail mixtes. Cette mise en commun de compétences sera certainement très riche pour tous les acteurs impliqués.»
C’est le professeur belge Philippe Dubois qui a été désigné pour en prendre la tête. Chimiste de formation, il entamera sa mission dès le 1er septembre prochain. Le financement sera assuré de manière équitable par des fonds privés et publics, dont l’apport de la chaire Pearl du FNR, à hauteur de 100 millions d’euros sur cinq ans. Attendu pour la fin de l’année, le futur centre de compétences national devrait employer une soixantaine de personnes.
Prototype pouvant ouvrir la voie à d’autres, le concept du centre pourrait être dupliqué à d’autres secteurs d’activité. Ce type de scénario win-win pourrait aider à stimuler le niveau de recherche privée.
«C’est aussi un argument pour la promotion à l’étranger. Pour attirer l’attention, il faut sortir de l’ordinaire. Cela peut vraiment changer la donne », déclare le patron du FNR. « C’est un modèle inédit au Luxembourg. Nous réfléchissons à d’autres sujets transversaux, par exemple l’impression 3D, les matériaux renouvelables ou le champ de l’additive manufacturing. Plusieurs projets pourraient prendre forme d’ici la fin de l’année », dévoile encore Jean-Paul Schuler.
«Dans d’autres domaines, il ne faudra pas forcément avoir d’espace physique partagé avec des machines ou des laboratoires. Différents modèles d’interaction peuvent être envisagés», précise Marc Schiltz, dont l’institution a déjà financé 75 partenariats public-privé (PPP) et nombre de doctorants travaillant en entreprise.
Nos programmes de recherche doivent s’adapter aux réalités économiques.
Marc Schiltz, executive head du FNR
«Plus qu’avant, nos priorités s’alignent aux axes stratégiques du gouvernement. Nos programmes de recherche doivent s’adapter aux réalités économiques. On ne peut pas tout financer, il faut faire des choix. Nous l’avons bien compris. À mon sens, la recherche publique doit rester la locomotive. Elle a le potentiel d’entraîner les autres, mais a besoin des wagons derrière et de l’énergie du privé.»
Autre élément du tableau, pour Jean-Paul Schuler, la réindustrialisation de l’économie devra aussi faire partie de l’équation à l’avenir.
«Continuer à produire au Luxembourg est indispensable. L’économie ne peut pas tourner qu’avec des services. Si on veut inverser la courbe de la R&D privée, il faut, pour moi, garder et développer l’industrie locale, sans oublier les PME. Il faut les faire venir dans les centres de recherche, capter leur attention et s’adapter à leurs besoins, qui sont parfois basiques. Si un Goodyear s’adressera facilement au List, ce sera moins le cas pour un micro-entrepreneur. Certaines petites structures ne voient pas la nécessité d’innover, il est crucial de les y aider.»
Et Marc Schiltz de conclure: «Il faut penser à d’autres instruments. Les PPP, par exemple, sont majoritairement utilisés par cinq grandes sociétés. Une initiative comme les chèques innovation suisses pourrait, par exemple, amener les PME à se faire aider par des consultants de manière ponctuelle. C’est une réflexion de plus à mener. Ce n’est pas qu’une question d’incitants fiscaux, il faut leur faire comprendre que la R&D n’est pas un luxe.»