La radio 100,7 ne se laissera pas intimider par qui que ce soit et entend bien diffuser toute information qui serait d’intérêt public. (Photo: 100.7 / archives)

La radio 100,7 ne se laissera pas intimider par qui que ce soit et entend bien diffuser toute information qui serait d’intérêt public. (Photo: 100.7 / archives)

Monsieur Franck, la radio 100,7 a révélé l’affaire ChamberLeaks. Comment se sont déroulés les faits?

«Tout a commencé avec un tweet qui m’a paru étrange, car il s’agissait d’un document concernant une augmentation du budget du Service de renseignement de l’État (SRE). J’ai consulté l’auteur de ce tweet qui m’a expliqué qu’il avait téléchargé le document sur le site internet de la Chambre. Il m’a aussi dit qu’il utilisait souvent des logiciels de téléchargement, des ‘downloaders’, pour télécharger plus facilement les documents qu’il cherchait sur un site qu’il juge ne pas être très facile à utiliser. J’ai ensuite expliqué à cette personne qu’à mon avis ce document ne devrait pas être public, qu’il ferait mieux de ne pas toucher davantage au site de la Chambre et que nous allions enquêter.

Claude Biver (journaliste chez 100,7) et moi avons jeté un coup d’œil à ces documents et avons rapidement constaté que tous les documents étaient listés sur le site de la Chambre dans une série numérique transparente. En d’autres termes, les liens étaient numérotés, par exemple 16.200, 16.234, 16.235, et ainsi de suite. Nous avons ensuite introduit ces liens dans un downloader et, ainsi, nous avons téléchargé de très nombreux documents, mais à un certain moment, nous avons constaté que parmi ces documents se trouvaient des documents qui ne sont pas destinés au public, comme des procès-verbaux de réunions du bureau de la Chambre ou de la Conférence des présidents.

Plus nous avons fouillé dans les documents, plus nous avons trouvé ce genre de documents et nous avons donc informé la Chambre que nous allions révéler cette faille. En revanche, nous lui avons donné quatre heures pour réparer son système, car nous ne voulions pas encourager le public à télécharger les documents ou même à aller les lire sur le site.

Avant que nous ne publiions des informations, la Chambre a en effet désactivé l’accès aux fichiers PDF. Une fois le site réactivé le lendemain, nous avons utilisé une nouvelle fois le downloader et, cette fois, nous n’avons obtenu que les documents censés être publics.

L’utilisateur de Twitter a obtenu les documents sans l’avoir voulu et sans même se rendre compte qu’il s’agissait de documents confidentiels.

Jean-Claude Franck, rédacteur en chef de la radio 100,7

La Chambre avait reconnu que des correctifs avaient probablement été effacés par erreur. En revanche, elle a évoqué des intrusions. La radio 100,7 rejette-t-elle ce terme?

«Ce n’était clairement pas une intrusion, car nous n’avons jamais pénétré son système. Nous avons utilisé un logiciel qui fouille un site internet et qui télécharge donc des documents publiés. Ce n’est pas un logiciel qui creuse pour trouver des documents qui ne sont pas publics et auxquels personne n’a accès.

Dans ce cas-ci, n’importe qui pouvait lire et télécharger les documents avec le lien, disons 16.227. Si je vous avais envoyé ce lien, vous auriez pu le lire sans devoir entrer de mot de passe.

Donc pour être sûr de bien comprendre: il suffisait de modifier l’un ou l’autre caractère dans l’URL?

«C’est cela. Nous avons vu des documents allant jusqu’à 16.000. Le document 16.001 était un projet de loi, 16.002 était une question parlementaire, 16.003 était un ordre du jour d’une commission parlementaire publique, et ainsi de suite. Mais 16.004, cela pouvait être un procès-verbal d’une réunion du bureau de la Chambre qui n’est pas destiné au public. 16.005 pouvait de nouveau être un document ordinaire.

Ces deux catégories auraient dû être séparées dans le système informatique de la Chambre. On ne peut pas mélanger les deux, c’est inconcevable.

La Chambre a pourtant affirmé, explicitement, que l’accès à ces documents n’aurait pas été simple. Selon elle, il y avait une intention délibérée d’accéder aux documents. Implicitement, vous reprocherait-elle une fraude?

«La pratique montre que ce n’est pas possible. L’utilisateur de Twitter a obtenu les documents sans l’avoir voulu et sans même se rendre compte qu’il s’agissait de documents confidentiels. Il s’est dit qu’en téléchargeant le document sur le site de la Chambre, il ne pouvait que s’agir d’un document public.

Nous n’avons vraiment pas mis longtemps – et nous ne sommes pas des spécialistes informatiques – pour comprendre qu’il y avait une structure qui n’existe pas dans les URL des autres sites internet.

N’importe qui, qui aurait fait une faute de frappe en entrant une URL dans son navigateur, aurait donc accédé aux documents censés être protégés.

Indépendamment de tout cela, il se peut que de nombreuses personnes aient pu avoir accès à ces documents, peut-être même avec de mauvaises intentions. Mais le réel problème est que le Parlement avait cette faille.

Le Parlement a tout de même saisi le Parquet...

«Le président de la Chambre, Mars Di Bartolomeo (LSAP), avait expliqué vendredi que la Chambre n’allait pas porter plainte à ce stade et allait juste donner ses informations au Parquet. Il appartiendrait au Parquet de prendre une décision.

Nous prenons l’affaire très au sérieux et nous sommes prêts.

Jean-Claude Franck, rédacteur en chef de la radio 100,7

Mais sur votre antenne, vous estimiez ce matin que la Chambre tenterait en quelque sorte de dévier la faute vers ceux qui auraient accédé aux documents.

«La Chambre n’a pas encore entrepris grand-chose pour éclairer l’affaire. Elle n’a même pas encore révélé combien de temps le système serait resté ouvert, combien de gens auraient eu accès à ces documents avant nous ou si ces informations auraient circulé sur internet.

Tout ce qu’elle fait pour l’instant, c’est soulever la question d’une intrusion et mettre en garde les gens qui pourraient utiliser les documents.

Nous le prenons clairement comme un avertissement dirigé vers nous pour ne pas utiliser les informations dont nous disposons.

Une intimidation donc?

«Oui. Mais nous ne nous laissons pas intimider.

En effet, jeudi dernier sur RTL, vous annonciez que vous alliez bel et bien utiliser ces documents. Expliquez-nous votre approche.

«Quand des journalistes tombent sur des informations – et c’est tout le temps le cas –, il faut faire le tri entre les informations pertinentes et non pertinentes.

Certaines choses ont une grande envergure et d’autres sont plutôt dans le domaine de la sphère privée. Nous décidons tous les jours ce que nous allons annoncer à la radio, et vous, ce que vous allez écrire sur votre site.

Cette affaire ne se distingue pas de cette approche. Si nous trouvons dans les documents de la Chambre des informations que nous estimons être d’intérêt public, alors nous les publierons. Si nous trouvons des informations à caractère personnel, nous les traiterons évidemment dans le respect de la vie privée. Nous ne les publierons pas et ne contribuerons pas à la diffusion de ces informations.

Faut-il s’attendre à des révélations dans ces documents? Avez-vous encore beaucoup de documents à parcourir?

«Nous avons encore des choses à traiter et nous n’avons pas encore pu tout analyser dans le détail. Nous n’allons en tout cas certainement pas publier pour tirer vite.

Dernière question: est-ce que vous avez sollicité un conseil juridique au cas où vous seriez confrontés à des poursuites?

«Nous prenons l’affaire très au sérieux et nous sommes prêts.»