Jean-Lou Siweck attend davantage de détails quant à la réforme annoncée de l'aide à la presse.  (Photo: Luxemburger Wort)

Jean-Lou Siweck attend davantage de détails quant à la réforme annoncée de l'aide à la presse.  (Photo: Luxemburger Wort)

Monsieur Siweck, quelle est la genèse de ce changement important, qu’est l’offre Wort+, pour votre titre et votre groupe?

«Cette offre s’appuie sur les possibilités du digital qui n’existaient pas auparavant comme la rapidité de réaction; la publication de vidéos, d’images en complément de sujets; la constitution de dossiers complets ou la mise à disposition d’éléments d’archives, tout ceci pour créer de la valeur ajoutée. Ceci dit, le digital est à double tranchant, car les outils utilisés pour créer cette valeur ajoutée revenaient à offrir l’information gratuitement et à tout le monde en ligne.

Jusqu’il n’y a pas si longtemps, nous travaillions avec une certaine retenue sur le numérique, mais nous avons fait le choix il y a plus d’un an de passer de la marque Wort.lu à la marque Luxemburger Wort. Ceci pour affirmer notre vision d’offrir le même contenu, avec la même ligne éditoriale, le même niveau de qualité que ce que nous proposions dans le journal. L’idée était d’utiliser la version en ligne en allemand comme une prolongation directe du journal, en évitant d’entrer dans une course aux clics par le recours à certains types de contenus ou des manières de présenter un contenu. Nous étions arrivés à la conclusion que pour notre maison, notre marque, nos lecteurs ne s’identifient pas au Wort pour de tels procédés et que la course aux clics ne correspond pas au contenu de notre journal. À l’inverse, nous avons choisi de consacrer beaucoup de ressources à la valeur ajoutée. La décision de lancer Wort+ pour jouer la carte des abonnés qui sont au cœur de notre modèle est donc la prolongation de cette réflexion.

Vous évoquez un travail journalistique dans le journal et un autre en ligne. Cette scission était-elle perceptible avant le changement de nom sur votre site internet?

«Un premier pas avait été effectué en juin 2013, avant mon arrivée, en intégrant les équipes des rédactions print et online. La suite de la réflexion était d’appliquer avec la même rigueur nos productions print et online, car nous avions constaté que même si des articles marchaient bien en termes de clics, nous avions des retours de lecteurs qui nous indiquaient qu’ils n’attendaient pas ce type de contenu de la part du Wort.

La grande question qui subsiste est comment assurer une certaine qualité. Or lorsque nous regardons la structure de coûts, ce qui justifie le paiement d’un abonnement au journal n’est pas tellement le papier, mais c’est le contenu qui est imprimé sur le papier. Le numérique offre de nouvelles possibilités pour produire un journalisme de grande qualité, encore faut-il le financer, sans scier la branche sur laquelle on est assis. C’est la raison pour laquelle nous avons effectué ce choix via Wort+.

Le gouvernement souhaiterait réformer l’aide à la presse en revoyant la répartition des aides pour aider les titres online qui n’en bénéficient pas. Quelle est votre position à cet égard, compte tenu de votre nouvelle offre?

«L’une des annonces évoquées dans le cadre de cette réforme est le passage des journaux dans l’ère numérique, ce que nous avons fait avec beaucoup d’efforts. La question est de savoir quel modèle d’affaires le législateur veut encourager. S’il souhaite encourager le «tout gratuit» sachant que derrière on ne peut que financer des journalistes qui travaillent sur des communiqués de presse sans travail en profondeur ou sur le terrain, ceci ne peut pas faire avancer les choses.

Nous attendons de savoir dans quelle direction cette réforme peut aller, nous n’avons rien de concret à ce stade. En tant que maison active dans différents créneaux, nous nous attendons en cas de perte d’un côté à regagner d’un autre.

Le lancement de votre nouvelle offre confirme que, malgré la multiplication des canaux d’information, le lecteur recherche des marques fortes, des repères pour s’informer.

«Tout à fait, nous le constatons par exemple dans le cadre d’élections où nous partageons les mêmes infos, le même travail sur le terrain que RTL. Mais avec son historique radio, RTL est davantage une référence pour l’information directe pendant la soirée électorale, tandis que nous observons de bons scores nous concernant le lendemain, au moment de proposer des articles explicatifs, au-delà des chiffres bruts. Malgré les différentes offres en ligne, il reste dans l’esprit du lecteur l’association «ce que je recherche et où», soit du divertissement ou une info plus solide auprès de tel ou tel titre.

Vote investissement dans le digital est-il aussi passé par un changement de culture dans la rédaction?

«C’est un processus qui dure depuis plus de deux ans, impliquant beaucoup de formations et de discussions internes. Nous investissons ainsi dans la formation continue, par exemple dans les outils interactifs ainsi que dans la rédaction vidéo, et ce afin de présenter l’information en graphique ou de manière interactive. Ces outils sont accessibles à tout le monde, mais je n’ai pas vu d’autres rédactions qui l’employaient de cette manière.

Voulez-vous montrer l’exemple en quelque sorte via cette monétisation du contenu en ligne via l’abonnement?

«Nous constatons que l’affichage publicitaire sur internet montre ses limites. Pour prendre un exemple, nous ne sommes pas un titre international anglophone dont les histoires peuvent être lues mondialement, générant des clics et donc des recettes en rapport avec cette audience. Nous nous adressons à un pays de 550.000 habitants, avec un potentiel maximum de 400.000 lecteurs. Avec cette projection optimiste et la variété de supports proposés aux annonceurs, nous pensons que nous pouvons compter sur les abonnés pour financer une offre solide et indépendante. Il n’y a d’ailleurs pas un grand journal dans le monde qui propose l’ensemble de son contenu de manière gratuite. Je me demande comment un journal régional tel que le nôtre pourrait proposer tout gratuitement en ligne.

Qu’en est-il de votre approche du marché francophone? 

«Nous n’avons pas complètement abandonné l’information en français, mais fondamentalement toutes les appréciations en termes économiques restent valables ici aussi. Soit nous créons du contenu pour générer du clic, soit nous entrons plus dans la qualité, mais nous constatons qu’il est difficile de le faire sans ressource payante. Pas une seule rédaction ne le fait au Luxembourg, hormis de très petits sites qui ne sont pas vraiment dans l’information.

L’Essentiel Radio est annoncée prochainement sur le marché. Comment percevez-vous cette arrivée?

«Nous avions proposé à l’époque un modèle avec RTL, nous aurions aimé qu’il soit retenu, car il aurait permis de donner une pérennité à notre activité radio. Ceci n’a pas été possible. Nous attendons désormais l’arrivée de cette radio, certaines rumeurs évoquant un deuxième projet, avec des fréquences qui ne seront plus les mêmes que DNR. Je m’attends dans tous les cas à ce qu’un projet soit possible en tirant sur une synergie. Nous n’étions pas candidats pour le deuxième appel à projets radio. Nous observons donc avec intérêt sans attendre d’effet direct.