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Phot: Luc Deflorenne 

L’étoile projetant ses strass sur l’Eldorado du Golfe s’est-elle brusquement éteinte? A l’automne dernier, les nouvelles parvenant de l’Emirat laissaient en effet craindre le pire et affolaient les marchés boursiers de la planète. «Dubaï est en faillite», pouvait-on lire dans les colonnes de plusieurs médias européens, qui racontaient les déboires financiers du petit Etat «bling-bling».

Dubai World, la holding publique, propriétaire entre autres des îles artificielles en forme de palmiers et sa filiale immobilière Nakheel, incapables d’honorer leurs engagements financiers, annonçaient un rééchelonnement de leur dette (59 milliards de dollars, soit l’essentiel de celle de l’Emirat, estimée à plus de 80 milliards) jusqu’à mai 2010, au mieux. L’Emirat pétrolifère voisin, Abou Dhabi, est rapidement venu à la rescousse pour éviter la banqueroute, mais l’onde de choc n’a pas manqué de laisser des traces. Dans les esprits tout autant que dans la ville elle-même.

Des stigmates notamment visibles sur les chantiers démesurés, dont certains ont été brusquement arrêtés. A l’image de l’un des plus em­blé­matiques d’entre eux, Waterfront, un archipel d’îles artificielles sur lequel travaillait le groupe Jan de Nul, société de dragage maritime établie au Luxembourg, à Steinfort, sous le nom DMM (voir paperJam mai 2008). «Le chantier a été stoppé en plein milieu. L’archipel va finir par disparaître, car il n’a même pas été consolidé, indique David Lutty, manager business development du Group Jan de Nul. Nous n’avons pas été surpris de l’annonce faite en novembre, car dès l’été précédent, Nakheel nous avait prévenu qu’il n’y avait plus d’argent pour poursuivre les projets.»

Paiement à échéance

Dès le mois de juillet, le groupe a donc commencé à plier bagages et déplacer hommes et matériaux sur de nouveaux chantiers, aux quatre coins du monde: Amérique du Sud, Brésil, Pérou, Australie… Il conserve toutefois une antenne dans l’Emirat, qui fonctionne comme un site opérationnel pour la région du Golfe.Pour M. Lutty, la crise dubaïote marque la fin d’une époque. «Celle des mégaprojets, où tout était rassemblé en un point. Dubaï, c’était de la folie. Les chantiers de demain n’auront plus jamais cette ampleur, cette démesure…», estime-t-il.

Le groupe De Nul, malgré tout, se sort sans trop de dégâts de l’épopée. «Nous avons pu redéployer l’ensemble de nos équipes et de nos machines et nous avons eu la chance que toutes les dettes soient payées à échéance. Pour les projets encore sur papier, des accords ont pu être trouvés», indique-t-il, sans plus de précisions sur le montant de ces arrangements.

Une issue favorable qu’ont également connue plusieurs autres entreprises luxembourgeoises actives dans l’Emirat. Ainsi, Luxguard (groupe Guardian), fournisseur de 150.000 m2 de panneaux recouvrant la Burj Khalifa, la plus haute tour du monde, ou encore Secalt (fabricant d’accès suspendus), ont vu leurs factures honorées.

«Tout le monde a été payé», assure Jean-Claude Knebeler, directeur du Commerce extérieur au ministère de l’Economie. Pour lui, il est erroné de décrire un Emirat en friches. «La bulle spéculative a éclaté, la frénésie est retombée, certes, mais je ne pense pas que Dubai World va sombrer. Les banques vendent ses titres de créance à 70% de leur valeur. S’il n’y avait pas un espoir de redémarrage derrière, la décote serait bien plus importante», analyse-t-il.

Et M. Knebeler d’assurer que les feux sont toujours au vert sur la route du Golfe. «La région reste très attrayante pour les investissements et le commerce, nous continuons d’encourager les entreprises à travailler sur ces marchés, pour autant qu’elles aient de bons projets devant elles, des projets qui font du sens.»Le Board of Economic Development du ministère de l’Economie envisage d’ailleurs d’étoffer la présence luxembourgeoise dans cette  région du Moyen-Orient, en apportant du renfort au conseil honoraire établi à Dubaï, Albert Pansin, head of area de Cargolux. «Le responsable du Trade Office devra assurer la promotion du site luxembourgeois dans son entièreté et faire connaître le tissu économique du pays; donc le know-how industriel tout autant que celui des services, notamment celui de la place financière», précise Jean-Claude Knebeler.

Des produits recherchés

Du 11 au 14 janvier, une mission de promotion du secteur financier s’est rendue dans l’Emirat, dans le cadre d’une tournée des pays du Golfe. Les représentants de la Place, qui accompagnaient le ministre des Finances Luc Frieden et le Grand-Duc héritier Guillaume, n’ont eu de cesse d’y vanter les mérites du petit poucet de l’Union européenne, lors de séminaires organisés par Luxembourg For Finance (LFF). L’agence luxembourgeoise a également profité de l’occasion pour signer un Memorandum of Understanding (MoU) avec le Dubaï International Financial Center (DIFC), en vue de renforcer la coopération entre les deux places. 

«Le revers de cette crise, c’est une recherche de la qualité. Les produits luxembourgeois sont plus demandés que jamais, notamment pour leur capacité de structuration et de protection  des investissements», assure Gilles Dusemon, responsable de l’un des deux bureaux installés à Dubaï par des cabinets d’avocats luxembourgeois, Loyens & Loeff – auquel il appartient – et Arendt & Medernach.

L’avocat, qui a participé fin 2007/début 2008 à l’installation, dans le DIFC, d’un bureau qui compte actuellement quatre personnes, assure n’avoir jamais observé, depuis le début de la crise, «autant d’effervescence autour du Luxembourg qu’en ce moment. Les séminaires organisés dans le cadre de la mission de promotion de la Place ont attiré plus de public que jamais, avec des auditeurs de très grande qualité. Le travail de base qui a été fait à Dubaï, en termes de marketing pour le Luxembourg, a été bien fait. Et pendant la crise, les gens ont eu un peu plus de temps, pour se renseigner, écouter…» Pour M. Dusemon, il s’agit désormais de mettre les bouchées doubles pour approfondir ce travail de promotion et intensifier les collaborations avec d’autres places actives dans l’Emirat – et notamment les gestionnaires de fortune suisses, avec lesquels une complémentarité peut être trouvée. Le groupe de travail organisé par l’Alfi (lire encadré), le premier à être établi en dehors du Luxembourg, va donc, à ses yeux, exactement dans la bonne direction. Pour assurer le développement de la place luxembourgeoise, il s’agit pour lui, dans le même élan, de répliquer désormais le modèle dubaïote dans d’autres coins du globe: New York, Hong Kong, Singapour et pourquoi pas Paris et Francfort? Mais cela, c’est une autre histoire…