Claude Marx, président du Consistoire israélite du Luxembourg. (Photo: DR)

Claude Marx, président du Consistoire israélite du Luxembourg. (Photo: DR)

Lorsqu’en 1986, dans «l’Étoile juive au Luxembourg», Paul Cerf, précurseur d’une recherche moins docile sur le problème juif au Luxembourg durant la période nazie, écrivait «on ne sait pas de quelle façon le fichier des juifs a été établi. On frémit à l’idée que la commission administrative ait prêté son concours à cette sale besogne», le pavé qu’il jetait alors dans la mare tranquille d’une bonne conscience collectivement adoptée fut perçu comme la manifestation paranoïaque d’un journaliste dénué de toute culture historique, en mal de célébrité.

Lorsqu’en septembre 2012, l’historien Serge Hoffmann, dans une lettre ouverte publiée au Tageblatt, remettait en cause la responsabilité de l’État luxembourgeois par rapport à la Shoah, il amorçait un processus dont les conséquences remettent définitivement en question l’historiographie lénifiante qui durant 70 ans a jeté le voile pudique de l’héroïsme national sur une difficile vérité.

Dans la foulée, le député Ben Fayot prenait au bond, le 28 septembre, la balle lancée par Serge Hoffmann en posant sur le sujet une question parlementaire au gouvernement.

À l’occasion d’une carte blanche sur RTL en février 2013, l’historien Denis Scuto donnait à la bonne conscience collective un coup de grâce définitif en dévoilant la responsabilité de la commission administrative dans l’établissement d’une liste de 289 enfants juifs, rejoignant ainsi les soupçons justifiés formulés 27 ans auparavant par Paul Cerf.

Cette mise en cause incite le Premier ministre de l’époque, Jean-Claude Juncker, à mettre en place en 2013 un comité scientifique à la tête duquel se trouve un jeune historien, Vincent Artuso, dont l’indépendance vis-à-vis de l’establishment historique luxembourgeois rendra les travaux plus crédibles.

À l’ombre de ce projet très médiatisé, le Premier ministre charge, le 13 septembre 2013, l’ex-député Ben Fayot d’une mission de concertation afin de mettre en place une Fondation de la mémoire de la Shoah à Luxembourg et lui explique également les missions qui lui seront confiées. Moins voyant, ce projet revêt, aux yeux de la communauté juive de Luxembourg, une importance capitale dans la mesure où il comporte des objectifs dont les plus importants sont de nature pédagogique.

Remis par son auteur au Premier ministre M. Xavier Bettel le 26 juin 2014, le rapport sera prochainement étudié par le gouvernement et des membres désignés au sein de la communauté juive. D’ores et déjà, l’un des objectifs a été entériné par le gouvernement et la Ville de Luxembourg, qui ont proposé conjointement la construction en ville d’un monument à la mémoire des victimes de la Shoah.

Afin de compléter le tableau des événements, il importe de revenir sur une proposition de loi du 20 décembre 2000 de M. Ben Fayot qui avait aboutie à la mise en place le 20 septembre 2001 d’une commission spéciale d’étude sur la spoliation des juifs à Luxembourg.

Placé sous la direction de M. Paul Dostert, cette commission a fonctionné jusqu’en 2009.

Imparfait, incomplet, lacunaire à bien des égards, le rapport de cette commission qui circule sur internet sans avoir été véritablement publié a le mérite d’exister et de soumettre des propositions au gouvernement, qui ont partiellement constitué les objectifs définis dans le projet de la Fondation.

Qu’en est-il aujourd’hui des attentes de la communauté juive? De récents témoignages individuels, ajoutés aux travaux de Paul Cerf, au rapport de la commission sur la spoliation, aux nombreuses études réalisées par les historiens et, bien entendu, à ce qu’il est convenu d’appeler le rapport Scuto, constituent aujourd’hui une base de travail crédible.

Comme souligné par l’auteur à diverses reprises, le rapport Scuto ne constitue en aucun cas un aboutissement, mais le début d’une ère de recherches libérée des tabous et des poncifs. Le verrou que constituait antérieurement ce que Denis Scuto qualifie de «protection des élites» devrait, en sautant, permettre une introspection objective et désinhibée.

Il serait bon que ce travail soit confié à un organisme indépendant tel cet Institut d’histoire du temps présent qu’appelle de ses vœux Renée Wagener.

Malgré les restrictions financières qu’impose le nouveau conventionnement, la communauté juive de Luxembourg ne se contente pas de se pencher sur un douloureux passé, mais s’investit dans des projets d’avenir tant cultuels que culturels.

La priorité est accordée à tout ce qui peut représenter une ouverture vers la société contemporaine et les autres modes de pensée, dans la perspective, non pas du vivre ensemble, mais du bien vivre ensemble.