Michele Gallo, Hélène Michel, Jérôme Grandidier (Photo: Julien Becker)

Michele Gallo, Hélène Michel, Jérôme Grandidier (Photo: Julien Becker)

Il y a encore une quinzaine d’années, le Luxembourg n’existait pas aux yeux des acteurs de l’ICT qui envisageaient de s’implanter en Europe ou de s’y développer. Mais ça, c’était avant… Depuis, dans sa volonté de diversifier son économie, le Grand-Duché de Luxembourg a fait des efforts considérables pour doter la Place d’infrastructures dignes de ce nom, faisant de ce petit pays un réel nœud des autoroutes de l’information au cœur de l’Europe.

«Grâce à la mobilisation des acteurs publics et privés et au développement d’une connectivité de pointe, le Luxembourg parvient désormais à attirer de nombreux acteurs internationaux actifs dans le domaine de l’ICT et désireux de se développer sur le continent», précise Jérôme Grandidier, CEO de Telecom Luxembourg Private Operator. Mais si les facteurs que sont l’infrastructure et la connectivité sont importants, ils ne sont pas les seuls à prendre en considération.

Les acteurs de l’ICT envisagent de s’implanter au Luxembourg pour de nombreuses bonnes raisons. Pêle-mêle: la Place dispose de data centers de qualité et d’une des meilleures connectivités du continent; sa situation géographique centrale au niveau de l’Europe permet aux acteurs de profiter d’un temps de latence réduit pour leurs opérations et de proposer une meilleure expérience à l’utilisateur; son cadre fiscal et réglementaire est attractif, pour ce qui concerne la propriété intellectuelle et des revenus qu’elle permet de générer, par exemple, ou encore pour la préservation des données même en cas de faillite du data center qui les héberge.

À tout cela s’ajoutent des atouts propres à l’environnement économique local, comme son caractère multiculturel, son ouverture à l’international, la possibilité pour les acteurs d’accéder rapidement au pouvoir politique… «Pour toutes ces raisons, le Luxembourg figure souvent dans la short-list des Places d’Europe envisagées par les acteurs internationaux intéressés», précise M. Grandidier.

En matière de diversification ICT, l’État luxembourgeois est-il arrivé à ses fins? Non, car il y a toujours moyen de faire mieux. L’enjeu n’est désormais plus uniquement d’attirer, mais il est aussi de favoriser la création et l’innovation dans le domaine de l’informatique au Luxembourg.

Le rêve d’un hub innovant européen

Si les grands acteurs du secteur sont évidemment toujours les bienvenus, l’enjeu est aussi de permettre aux start-up d’éclore au sein d’un écosystème qui leur est favorable. «Pour les porteurs de projet innovant, les créateurs, il faut faire de Luxembourg un hub attractif. Il nous appartient désormais de créer les conditions favorables pour permettre aux start-up technologiques de s’implanter et de se développer», estime ainsi Hélène Michel, présidente de Europe4StartUps, organisation luxembourgeoise sans but lucratif qui entend aider les jeunes entreprises technologiques à s’implanter et à se développer en Europe.

Luxembourg en hub innovant, beaucoup en ont rêvé. En la matière, la Place jouit aujourd’hui d’une bonne réputation. Au point d’avoir été honorée récemment en tant que centre technologique émergent pour les start-up dans un article du célèbre New York Times. «On constate en effet une croissance globale de l’activité de start-up au Luxembourg, assure Michele Gallo, administrateur au sein du Technoport, incubateur de start-up technologiques. Au niveau de notre structure, nous avons établi une centaine de contacts en 2011. Nous en avons comptabilisé 117 en 2012 et 132 en 2013. Aujourd’hui, 26 start-up innovantes sont hébergées au sein de nos infrastructures.»

Plusieurs success-stories issues du Technoport, comme d’autres au Grand-Duché, dans d’autres incubateurs ou en dehors, sont de nature à encourager les acteurs à faire confiance à la Place. L’exemple de Skype, une des plus belles réussites dans le secteur de l’ICT au Luxembourg, fait évidemment toujours rêver. «Ces start-up technologiques innovent dans les domaines de l’e-gaming, de l’e-payment ou de l’e-money, directement en lien avec le secteur financier, de l’e-santé, dans le développement d’objets connectés ou encore d’applications Big data, précise Hélène Michel. Le champ des possibilités est vaste, les opportunités sont nombreuses. À nous d’inviter les créateurs, celles et ceux qui ont des idées, à les développer en Europe et, si possible, au Luxembourg.»

De là à faire du Luxembourg un équivalent européen de la Silicon Valley? N’exagérons rien. Les idées, il est vrai, éclosent partout. Mais pour qu’elles se développent, il faut plus qu’une infrastructure et une connectivité optimales. «Faire venir des acteurs de l’ICT, des compétences dans ce domaine, aujourd’hui, c’est très facile, poursuit Jérôme Grandidier. De manière générale, les profils de compétences recherchés sont ceux de jeunes personnes, qui n’ont pas 20 ans d’expérience. Il s’agit de talents, avec des idées, prêts à se déplacer pour peu qu’ils trouvent ce qu’ils cherchent.»

Recherche investisseurs, désespérément

Mais qu’attendent en priorité les porteurs de projets innovants? «Avant tout, des financements!, assure M. Grandidier. Et c’est ce qui manque aujourd’hui au Luxembourg. Localement, les start-up peinent à trouver des fonds. Or, on constate que la plupart du temps, malgré toutes les qualités que peut offrir le Grand-Duché, les porteurs de projet s’installent là où est l’argent. Actuellement, on constate que beaucoup d’entre eux viennent au Luxembourg, trouvent un intérêt, mais repartent à défaut de trouver les moyens de se lancer. Si le Luxembourg parvient donc à les convaincre grâce à la qualité de son environnement, par son écosystème performant, il doit encore parvenir à retenir les talents.»

Luxembourg ne dispose pas de réels acteurs prêts à aider les jeunes structures innovantes. Les venture capitalists de la Place investissent dans des structures déjà plus matures. Pour des petites structures actives dans l’ICT, dont les besoins en seed money se situent entre 150.000 et 1 million d’euros, il est extrêmement difficile de trouver des investisseurs.

Il y a bien entendu des aides, mais y accéder peut, parfois, relever du parcours du combattant. «Le pays dispose de nombreuses structures de qualité présentes pour accompagner les start-up et faciliter leur développement, note Hélène Michel. On constate cependant que les procédures d’accès aux aides étatiques sont complexes et longues, peu adaptées à ces jeunes pousses. Elles exigent le plus souvent de faire la preuve de l’innovation développée. Faire du critère d’innovation un facteur déterminant de l’accès à l’aide n’est sans doute pas le plus opportun. D’autres facteurs, comme celui de la création d’emplois ou de valeur, sont sans doute plus pertinents pour le développement d’un écosystème plus efficient.»

L’innovation, en effet, n’est pas forcément synonyme de création d’emplois. Or, c’est de cela, avant tout, dont le Luxembourg a besoin. «Créer un écosystème sans emploi, cela ne peut pas fonctionner. L’enjeu principal devrait être de créer des sociétés durables, qui pourront se développer depuis le Luxembourg et contribuer à son économie», précise Mme Michel.

En outre, devoir plaider toute demande d’aide, la justifier avec un dossier conséquent, en ce compris le business plan d’une structure mature, n’a rien d’évident pour des start-up. Le Luxembourg pourrait, pour favoriser leur installation et leur développement, s’inspirer d’autres exemples dans des pays désireux eux aussi de les attirer. «Sur d’autres Places, au lieu d’exiger des garanties, on regarde avant tout le projet, l’équipe, et on assortit les aides de procédures d’accompagnement de qualité pour favoriser le développement de ces projets», explique Hélène Michel.

Mieux accompagner

L’accompagnement est donc primordial. Il faut pouvoir aider la start-up à se structurer rapidement, lui donner les outils qui lui permettront de parler efficacement à d’autres investisseurs, de les convaincre. «On se rend compte que, pour convaincre, les jeunes entreprises innovantes doivent pouvoir proposer leur proof of concept, une solution tangible. Ce sont les étapes précédant son développement qui sont souvent les plus difficiles à financer», précise Michele Gallo.

Dans sa volonté de donner aux jeunes entreprises qu’il accompagne toutes les chances d’y arriver, le Technoport invite ceux-ci à rapidement faire la preuve de la plus-value business qui se trouve derrière leurs idées et à proposer dans les meilleurs délais une application de leur concept.

La structure travaille à partir de «labs». Il a ainsi été développé un «Living Lab», qui donne la possibilité aux créateurs de confronter leurs idées à des utilisateurs potentiels très tôt dans le processus de développement du projet, afin de recueillir leurs avis et pouvoir en tenir compte. «Cela permet de s’assurer très vite que l’on répond bien à une attente, de valider les idées», explique l’administrateur du Technoport.

À côté de cela, le «Fab Lab», atelier de fabrication numérique, permet, à l’aide d’équipements tels qu’une imprimante 3D ou une découpeuse laser, de développer des prototypes. «Pour les créateurs, cela constitue des preuves tangibles à pouvoir proposer à des potentiels investisseurs.»

Face aux problèmes de financement, il faut aussi pouvoir penser à d’autres solutions. Comme un incitant fiscal en faveur de l’investissement privé dans de jeunes entreprises économiques. «Dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni, ce genre d’outils a démontré toute sa pertinence, commente Jérôme Grandidier. Le crowdfunding, d’autre part, n’est pas développé au Luxembourg. Il pourrait être un moyen de financer les premières étapes d’un projet de start-up tout en permettant de décomplexer les privés face à des investissements ou à la prise de risque.»

Une autre idée serait de créer un fonds, rassemblant investissements publics et privés, dont la fonction serait de soutenir des projets innovants. «Les banques, aujourd’hui, précisent ne pas pouvoir prendre des risques au départ de l’épargne de leurs clients et être soumises à des exigences plus importantes en la matière. Je comprends cela parfaitement. Mais pourquoi ne pourraient-elles pas se rassembler, en créant un fonds dans lequel banques et fonds investiraient une infime partie des plus-values réalisées sur leurs encours et qui aurait pour objectif de soutenir des start-up technologiques, sans forcément engendrer des coûts associés?, s’interroge Jérôme Grandidier. Aux start-up qui les solliciteraient directement pour un crédit, les banques pourraient alors justifier leur impossibilité de les aider, mais pourraient les conseiller de passer par un tel outil, qu’elles auraient développé dans cette optique.»

Ne pas laisser passer les opportunités

Luxembourg n’est pas la seule Place à se positionner en tant qu’écosystème favorable à l’émergence de start-up innovantes. Le chemin parcouru en quelques années est exceptionnel. On ne peut que s’en réjouir. «La supply-chain, avec les structures d’accompagnement, les services aux entreprises et l’infrastructure, est aujourd’hui complète», estime Hélène Michel. Il faut désormais la rendre plus efficiente, en permettant aux start-up de s’installer rapidement.

Jérôme Grandidier, lui, regrette que l’«on passe à côté de nombreuses opportunités, parce que l’on n’arrive pas à convaincre des start-up de rester». «Si l’on ne trouve pas de meilleurs moyens de financer les projets, l’image du Luxembourg pourrait en souffrir et ces opportunités qui passent profiteront à d’autres Places», craint-il.

«Les porteurs de projet sont mobiles. Il n’est pas rare que des entrepreneurs luxembourgeois soient attirés par les forces de la Silicon Valley ou d’autres Places. L’enjeu est de pouvoir leur donner la possibilité de développer leurs idées ici», conclut Hélène Michel.

Culture

Accompagner pour la réussite et face à l’échec

Au Luxembourg, l’échec est un aveu de faiblesse. Alors que dans les pays anglo-saxons, l’échec est une source d’apprentissage. «Jusqu’il y a peu, ici, un entrepreneur qui faisait faillite n’avait plus la possibilité de relancer un business, commente Jérôme Grandidier (Telecom Luxembourg Private Operator). Cela a changé, heureusement. Mais l’aveu d’échec est souvent mal perçu.»

Or, développer une start-up, c’est toujours un risque, principalement dans l’univers changeant des technologies de l’information et de la communication. «Pour réussir, aux États-Unis, il est établi qu’il faut avoir échoué deux ou trois fois, précise Hélène Michel (Europe4StartUps). Ici, malheureusement, celui qui échoue est mal perçu et n’est en aucun cas accompagné. C’est une erreur.»

Beaucoup d’entrepreneurs acquiesceront. «Il faut encore mieux accompagner les entrepreneurs, dans leur réussite mais aussi face aux difficultés qu’ils rencontrent, précise Michele Gallo (Technoport). Il faut pouvoir développer la culture de la prise de risque, avec tout ce qu’elle comprend.»

Innovation

Une tendance, plusieurs idées similaires

Permettre aux start-up de s’installer rapidement et de se développer dans un laps de temps réduit est un enjeu essentiel. «Il faut savoir qu’une bonne idée n’éclot jamais seule, à un endroit. Généralement, l’émergence d’idées et de concepts est le fruit de tendances, s’inscrit dans un momentum particulier. Il n’est pas rare de voir des concepts plus ou moins similaires naître plus ou moins en même temps à divers endroits du globe», explique Jérôme Grandidier (Telecom Luxembourg Private Operator, TLPO).

Si l’on ne considère que le Luxembourg, proche d’un système financier, on a vu naître au même moment plusieurs start-up proposant des solutions en matière de paiement mobile. «Il ne faut donc pas louper le coche. Si l’on ne permet pas à ces start-up de se développer rapidement, soit elles iront ailleurs, soit ce sont d’autres personnes qui développeront l’idée. Il faut donc saisir les bonnes opportunités quand elles se présentent», poursuit le CEO de TLPO.