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Certains l'ont déjà constaté dans nos colonnes et ailleurs: une grande partie de l'économie luxembourgeoise est basée sur de la main d'oeuvre étrangère, qu'elle soit frontalière ou au-delà. C'est une des raisons pour lesquelles la nomination de M. Marc Hoffmann est un petit événement en soi? Il est luxembourgeois, il est jeune, et il est à la tête d'une des plus grandes banques de la place? 

Votre nomination à la tête de Dexia BIL est-elle une «surprise» ou était-elle prévue?

Il est difficile de parler de soi-même dans ce genre de situation, mais il y avait une succession qui était prévue. M. Roelants avait clairement indiqué qu'à 60 ans il voulait se consacrer à d'autres activités dans sa vie (ndlr: voir la coverstory du mois dernier). Il avait clairement l'intention de ne pas continuer au-delà de 60 ans, et donc avait en quelque sorte donné les grandes lignes de la succession et de la continuation de la banque. L'affaire Clearstream est arrivée de manière imprévue, et tout le mouvement a été un peu précipité.

Vous êtes jeune pour accéder à un tel poste? de plus, il est rare de trouver à ces responsabilités un luxembourgeois. Ces 2 critères ont-ils joué?

Je pense que l'âge n'a été un critère ni disqualifiant, ni avantageux. Il est clair qu'à 43 ans, c'est un peu jeune. Les gens se posent des questions. A-t-il suffisamment d'expérience, suffisamment de jugement, de recul' De manière générale, cela a été plutôt neutre. Idem pour la nationalité. Je ne pense pas que cela ait réellement compté. Je pense que cela s'est plus fait sur base du mérite, plus qu'aucun autre critère. Ceci étant, être luxembourgeois n'a pas forcément déplu. Je crois que l'on reste quand même une banque luxembourgeoise. Il est clair que les gens du pays «préfèrent» avoir un «compatriote» au poste que j'occupe. Et encore, préférer est une notion relative. Mais donc ça n'a pas été un critère déterminant.

Dexia est une banque très présente dans le monde Internet. Avec les retournements de tendance en cours actuellement, ces investissements ne pèsent-ils pas?

Je crois que la compréhension du phénomène Internet évolue. Et en ce qui concerne l'Internet Banking, elle évolue rapidement.

Il y a eu la période de l'euphorie complète. Elle a eu lieu fin 99, et les six premiers mois de l'année 2000. Le monde était convaincu que tout ne passerait plus que par Internet. C'est à ce moment-là qu'on a vu un nombre d'expériences invraisemblables surgir. Je dirais même qu'on pensait que l'acquisition de nouveaux clients, tout, passerait par là.

Depuis lors, je crois qu'il y a eu un certain revirement. Aujourd'hui, nous sommes en tous les cas convaincus que l'humain, le conseiller, la personne de contact, rentre de nouveau au centre de la relation avec le client. Internet devient dès lors un moyen de communication avec la banque et une partie intégrante très importante de ce que l'on appelle aujourd'hui la «banque multicanal». Internet y est un canal à côté des autres.

De manière générale, on perçoit aujourd'hui dans le marché que c'est ce type de banques multicanal qui est en train de s'imposer.

Il y a toujours des expériences purement "cyberbank". Zebank par exemple. Je crois que comme tous les groupes nous étions dans une période où nous voyions un foisonnement d'initiatives, et il était difficile de savoir laquelle allait émerger comme modèle gagnant. Ce que nous avons fait à l'époque, c'était d'être présent sur un nombre de ces expériences. On ne savait pas qui allait «gagner». Quand on a plusieurs chevaux qui courent, les chances de gagner sont évidemment plus élevées. À l'époque, on s'est allié avec le groupe de Bernard Arnault sur Zebank. Aujourd'hui, Zebank fonctionne. L'établissement n'a pas connu un succès tel qu'on l'imaginait à l'époque, mais il fonctionne, recrute des clients. On ne peut pas encore juger de manière définitive.

Encore une fois, pour reprendre ce genre de projets, une des grandes difficultés était la perception  que le marché voulait donner à ces efforts. Au début d'Internet, on pensait qu'on avait devant soi quelque chose de totalement nouveau, qui allait révolutionner le monde de manière dramatique, et que la première des priorités n'était pas la recherche de rentabilité mais celle de la part de marché.

Beaucoup des projets Internet se sont faits sur cette base, cette dynamique. Et puis un jour on s'est mis à compter les sous, et on s'est dit que «nom d'une pipe», ça faisait quand même des trous.

On a commencé à réaliser qu'on avait investi tellement d'argent pour acquérir des clients que jamais on ne pourrait réussir à rentabiliser l'opération. C'était devenu une équation qui ne tenait plus debout. C'est à ce moment-là qu'on a vu un certain renversement, lorsque les premiers modèles Internet où la rentabilité propre existe sont revenus hanter les investissements. On est à nouveau reparti «terre à terre», sur des critères de jugement traditionnels.

Comment Dexia-BIL est-elle intégrée dans le groupe Dexia?

Il faut dire qu'aujourd'hui Dexia-BIL représente un métier au sein du groupe Dexia. Ce métier a plusieurs composantes. Il regroupe la banque privée, la gestion d'actifs et l'administration de fonds auquel on va ajouter, via l'acquisition de Kempen, la partie «Equities», donc actions. Nous les représentons à travers l'ensemble du groupe, et pas seulement à Luxembourg. Nous sommes responsables pour le développement de ces activités au sein du groupe, et dans toutes ses sociétés. Nous avons une mission fonctionnelle qui va au-delà du Luxembourg.

Le marché de Dexia-BIL est un marché européen, voire mondial' Est-ce que le changement de PDG a changé la stratégie de Dexia BIL

C'est le changement dans la continuité! Il y a certainement une continuité dans ce que nous allons faire, mais il faut ajuster la manière de le faire; nous avons des situations de marchés différentes, avec des situations concurrentielles qui évoluent.

Nous avons une volonté de développement de nos activités. Pour reprendre notre stratégie, sur le private banking, nous visons les marchés on-shore et les marchés off-shore. Nous allons continuer. Dans le domaine asset management, c'est clairement une volonté d'accroître les fonds sous gestion. La manière dont on travaille évolue tout le temps. Il faut dire aussi qu'il y a des moments différents dans les cycles conjoncturels. Nous avons connu une croissance forte des marchés. Aujourd'hui, la situation est un peu plus difficile. Nous avons fait de nombreuses acquisitions, nous allons donc nous consacrer à un effort d'intégration important. À chaque chose son moment.

En quoi le marché a-t-il évolué? Y'a-t-il une simple panne conjoncturelle, ou le «mal» est-il plus profond'?

Structurellement, nous sommes convaincus que ce marché est extrêmement porteur; nous sommes simplement dans une phase conjoncturelle difficile. Nous ne savons pas très bien si nous allons éviter la récession ou si l'économie américaine ? et a fortiori les économies européennes ? vont y plonger. Hormis ceci, fondamentalement, rien d'autre n'a été bouleversé. Nous allons continuer une politique de croissance très vigoureuse, nous croyons dans ce métier.

Les fusions, acquisitions, intégrations, ont été nombreuses au cours de l'année. Cela a-t-il été facile à gérer?

Rien n'est jamais facile! Il ne faut pas se faire d'illusions là-dessus! Non seulement la tâche en elle-même est ardue, mais la phase conjoncturelle par laquelle nous passons n'aide pas les choses.

Comment êtes-vous arrivé au métier de banquier?

Par hasard! Je voulais vivre à New York. Je suis allé là-bas, chez des amis. On m'a dit que la meilleure manière d'avoir un visa était d'aller travailler pour une banque. Je me suis donc présenté dans différentes banques, et c'est comme ça que tout a commencé. La première fois que j'ai franchi la porte d'une banque, je n'avais aucune idée de ce qui se passait derrière

Pourquoi aimez-vous ce travail' Qu'y appréciez-vous en particulier?

Vous trouvez ici des gens qui ont des traits de caractères très différents et qui ont du succès dans ce métier. Certains sont «rigoureux et quantitatifs», d'autres «littéraires et visionnaires». Chacun peut trouver sa voie. Il n'y a pas de profil type.

De manière générale, ce que j'aime beaucoup dans les banques, c'est qu'il y a une remise en question perpétuelle. Vous me direz que c'est peut-être partout la même chose, mais dans les banques c'est très frappant.

Je crois qu'il y a un environnement avec une concurrence effrénée, où vous devez vous démarquer. Vous devez réussir à vous remettre en question, que ce soit à propos de la manière que vous avez de faire les choses ou des produits que vous offrez. Les produits ont un cycle de vie relativement court. Vous ne pouvez pas protéger ce que vous faites.

Contrairement à l'industrie, il est impossible de faire un dépôt de brevet. Si vous avez une bonne idée, vous devez courir très vite pour l'exploiter le mieux possible. Vous savez très bien que le jour où vous l'aurez et que les gens la verront, vous aurez 100 concurrents qui seront à vos trousses. C'est un environnement très ouvert, excessivement concurrentiel, mais où il y a un lien très fort avec l'économie.

On n'est pas détaché de l'économie réelle en général. Ce qui se passe dans les banques est le reflet de ce qui se passe dans l'économie. Et puis les banques sont, pour beaucoup, des environnements de personnes. Je crois que ce sont les individus qui vont faire toute la différence. C'est la capacité d'exploiter le talent des gens qui fait toute la différence.

Pour revenir sur l'environnement luxembourgeois? On le dit depuis des années menacé...

 Il faut remonter à l'origine de ce qui a fait le succès de Luxembourg. Il n'est pas venu des banquiers, mais des autorités qui ont eu l'idée de développer des niches législatives dans lesquelles les banques pouvaient se développer.

Les banques s'y sont mises, se sont développées - et ont certes réussi à faire mûrir des environnements où l'on peut considérer que le Grand-Duché a une masse critique importante et un ancrage dans des métiers qui va au-delà d'avantages réglementaires ou législatifs qu'on aurait pu avoir.

Pour l'administration des fonds, notamment, nous sommes dans un cadre réglementaire à peu près à pied d'égalité avec nos voisins européens, mais le marché est capturé. On peut être relativement serein: ce marché va rester porteur pour le Luxembourg, va s'y maintenir.

Il y a d'autres marchés que l'on n'a pas vraiment réussi à capturer, malgré des efforts. Par exemple, la gestion d'actifs. Vous trouvez aujourd'hui très peu de groupes ? et chez Dexia nous sommes quelque part l'exception - qui font de la gestion réelle, pas l'administration, mais les décisions d'achat-vente, à partir de Luxembourg. Le souhait de voir cette activité venir à Luxembourg a été exprimé à maintes reprises. Ça n'a jamais été le cas.

On ne réussit pas non plus toujours dans ces marchés. Celui auquel vous faites référence, c'est celui du private banking et du secret bancaire en particulier.

Je crois que son abandon ne sera pas facile à vivre pour le private banking à Luxembourg. Si nous l'abandonnions sans concession comparable en Suisse et dans les autres pays concernés, il y aurait un désavantage pour le Luxembourg, évidemment. Nous assisterions clairement à une perte de parts de marché. Si nous sommes dans un cas de figure où il y aurait un abandon comparable du secret bancaire dans l'ensemble de la zone OCDE, à ce moment, le Luxembourg aurait un niveau concurrentiel identique à ses voisins. Là, je crois que nous aurions des armes pour nous battre. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aurait pas de concurrence, c'est clair.

Mais nous avons nos avantages. Nous avons dans ce métier un réel savoir-faire. Une manière d'approcher le client, de le traiter, de le gérer, que peut-être nos voisins ne connaissent pas tellement. Nous avons aussi de nombreux désavantages. Beaucoup de voisins par exemple ont développé des stratégies multicanal, avec Inter- ? ?net comme un moyen puissant? chose que les banques luxembourgeoises n'ont jamais vraiment développé? Tout simplement parce que pour les banques du Grand-Duché, Internet ne se calque pas facilement sur leur modèle. Donc, si on est dans un environnement compétitif, sans désavantages, on survivra. Aucun doute. Nous aurons notre place au soleil. Par contre, si on a un désavantage concurrentiel, il y a peu de chances.

Peut-on rattraper cette faiblesse possible par l'acquisition de nouvelles compétences, ou de nouveaux développements?

Cette faiblesse dépasse la notion de compétence. Si demain le secret bancaire est aboli ici et qu'il existe encore à côté, on ne peut rien faire. C'est un désavantage concurrentiel qui n'a rien à voir avec la maîtrise de certaines compétences. Si vous mettez sur un plan d'égalité tous les acteurs, et bien nous pourrons faire jouer nos compétences et en développer d'autres pour rester en compétition, je ne me fais pas d'illusion là-dessus.

Quelles sont les perspectives de développement de Dexia?

Je risque de vous décevoir un peu par la simplicité de ma réponse! Nous nous considérons vraiment comme européens. L'Europe est notre marché domestique. Nous avons encore une place énorme à y prendre. Notre priorité ne sera pas l'Amérique Latine, ne sera pas l'Asie? Les Etats-Unis, c'est autre chose: ils vont devenir de plus en plus importants. Nous sommes une banque européenne, avec une assise très forte dans le Benelux et la France.

Nous allons continuer notre expansion en nous intéressant plus particulièrement à l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne. Nous avons l'impression d'avoir tellement de place pour notre croissance qu'on ne va pas chercher midi à 14 heures? Je ne parle pas pour nos concurrents, je parle pour le cas particulier de Dexia. À chacun sa spécificité!

Nous nous concentrons sur ce qui nous paraît le plus évident. Nous connaissons ces marchés, nous savons comment y faire les choses. Il y a beaucoup de marchés avec des potentiels extraordinaires. J'en ai cité deux: Espagne et Italie. Ce sont des marchés qui, en termes de pénétration de produits financiers, ont encore un énorme chemin à faire? Ce sont des marchés extraordinairement porteurs pour nous.

Les événements aux Etats-Unis concernent-ils Dexia?

Dexia n'est pas «directement» concernée. Indirectement, nous sommes tous logés à la même enseigne. C'est-à-dire qu'un climat politique et économique incertain n'est pas bon pour nous. On préférerait plutôt arriver à une sérénité beaucoup plus grande sur le plan international.

Y'a-t-il des réorganisations, restructurations, prévues chez Dexia?

Aujourd'hui pas plus qu'avant? La question est permanente. De manière générale, dans un environnement comme le nôtre, un projet qui est porteur et profitable ne va pas être remis en question. Ceux qui ne le sont pas, il est évident que vous avez à les questionner.

Dans 10 ans, où êtes-vous?

D'un point de vue personnel, j'espère pouvoir garder «tout sous un chapeau», réussir une vie professionnelle fort engagée avec une vie familiale et privée équilibrée.