Stefan Van Geyt, Alexandre Gauthy, Philippe Ledent, Ilias Abou Haidar. (Photo: Edouard Olszewski)

Stefan Van Geyt, Alexandre Gauthy, Philippe Ledent, Ilias Abou Haidar. (Photo: Edouard Olszewski)

Et le Brexit dans tout ça

Philippe Ledent – L’année 2017 a été marquée, fin mars, par la déclaration de la volonté d’un Brexit et, début décembre, par l’accord concernant les conditions préliminaires à la négociation. 2018 sera l’année de la négociation commerciale, une période pendant laquelle la situation pourrait redevenir plus sereine. En 2019, il faudra entériner l’accord, pour autant qu’il en existe un, et gérer la période de transition. Ce sera à nouveau plus tendu.

Stefan Van Geyt – Effectivement, mais les conséquences les plus importantes seront au niveau du Royaume-Uni lui-même. Le pays connaît actuellement une des croissances les plus faibles au niveau mondial. Les conséquences sont donc assez lourdes pour l’économie britannique.

À qui profite la réforme fiscale de Trump?

Alexandre Gauthy – On voit clairement que la baisse d’impôts prévue pour les personnes physiques va avantager les plus hauts revenus. Si on regarde à l’horizon des 10 prochaines années, le gain d’impôts pour les personnes physiques représentera plus de 1.000 milliards de dollars. De cette somme, le 1% des personnes aux plus hauts revenus vont en bénéficier à hauteur de 20%. La réforme fiscale aura certainement un impact positif à court terme sur la consommation, et donc sur l’économie américaine, mais à plus long terme, elle entraînera plus d’inégalités au sein de la société et une augmentation de la dette. Les prévisions pour 2019 envisagent un déficit proche des 5%, ce qui n’a jamais été le cas hors situation de crise financière ou de guerre. Cette réforme sera avant tout financée par une augmentation de l’emprunt public. Les entreprises bénéficieront aussi de baisse d’impôts, ce qui a supporté les actions américaines récemment.

Stefan Van Geyt – Il y aura effectivement un effet dopant à court terme. Pour 2018, nous avons chiffré l’effet entre 0,3% et 0,4% de croissance supplémentaire, mais il est clair que le problème de l’endettement américain ne sera pas résolu avec ces mesures. Au contraire, on rajoute une couche au problème. À moyen et long termes, l’endettement reste un souci.

Ilias Abou Haidar – Il est aussi prévu des mesures pour les entreprises qui rapatrient leurs liquidités sur le territoire américain, ce qui peut avoir un impact sur le marché. Ça reste hypothétique, mais ces mesures pourraient encourager des fusions ou acquisitions, vu que cet argent devra être investi alors que les taux sont bas et que le niveau de l’investissement productif est déjà très élevé. Si c’est le cas, on pourrait voir un nouvel élan pour les marchés d’actions.

Alexandre Gauthy – Je vous rejoins sur ce point. Cette mesure pourrait supporter les cours boursiers de certaines entreprises à travers l’augmentation des dividendes et des rachats d’actions. À court terme, elle devrait aussi contribuer à renflouer les caisses de l’État. Quant à l’effet de la réforme fiscale sur les entreprises européennes, il sera limité pour les entreprises domestiques, tandis que celles qui ont des succursales aux États-Unis bénéficieront de réductions d’impôts. 

L’évolution des marchés

Stefan Van Geyt – En 2017, on a vu des chutes plus importantes sur les marchés obligataires que sur les marchés d’actions. Le risque de volatilité est donc au moins aussi grand sur le marché obligataire. C’est une chose que pas mal d’investisseurs sous-estiment. Et si on regarde vers 2018, cette volatilité devrait se poursuivre. Par ricochet, on doit aussi s’attendre à la voir s’intensifier sur le marché des actions.

Philippe Ledent – Je pense aussi que le point de la volatilité est très important. Nous sortons d’une période où elle a été faible. Généralement, les périodes de hausse de taux de la Fed sont associées à la hausse de la volatilité des marchés. Nous sommes donc convaincus qu’en 2018, à un moment ou un autre, on devrait ressentir plus de volatilité. On a parlé des marchés obligataires. Vu les prix actuels, de petites variations de taux provoquent des variations de prix obligataires qui peuvent être conséquentes. C’est très important parce qu’on sort d’une longue période où une part très importante des gains en portefeuille était liée aux marchés obligataires, vu qu’on était dans une période de baisse de taux. Ensuite, il y a la question de la valorisation des marchés. La valorisation du marché américain est déjà très importante, mais le train pourrait continuer à avancer grâce à la réforme fiscale, qui peut apporter du carburant aux marchés boursiers. En zone euro, il existe encore plus de capacité à alimenter le marché par de la croissance bénéficiaire. On n’a pas encore connu le grand mouvement de rush bénéficiaire des entreprises. Il devrait alimenter le marché européen des actions. La danse n’est donc sans doute pas terminée sur le marché boursier, même si on s’attend à plus de volatilité. Par contre, la grande inconnue, c’est la manière dont les marchés risquent d’anticiper dès 2018 les craintes par rapport à l’après-2018. À ce niveau, nous n’y voyons pas encore très clair.

Ilias Abou Haidar – Vu les valorisations atteintes, les 10 années à venir ne seront plus comme celles que l’on vient de connaître. Mais ça ne veut rien dire sur l’évolution des marchés sur un an. Les conditions sont réunies pour que la hausse se poursuive.

Stefan Van Geyt – Pour les raisons déjà évoquées, je pense effectivement qu’il y a peu d’alternatives aux actions en ce début d’année. Pour 2019, par contre, c’est un peu plus compliqué.

Quid des matières premières?

Alexandre Gauthy – Nos estimations prévoient une légère hausse des prix pétroliers à l’horizon 2019-2020. Nous estimons que le potentiel de croissance de l’offre pétrolière de l’Opep et du non-conventionnel américain sera insuffisant pour maintenir un équilibre entre l’offre et la demande à moyen terme.

Philippe Ledent – Si on laisse de côté les impondérables de la géopolitique, l’élément-clé est effectivement de savoir dans quelle mesure la production de l’Opep peut être compensée par les pétroles et gaz de schiste aux États-Unis. Les avis sont divergents, nos analystes matières premières ont l’avis inverse du vôtre, mais sur base du même argument. Ils pensent que les producteurs américains, aux prix actuels, vont à nouveau pouvoir produire. Mais il est évident que la chute des matières premières a été un élément-clé de la restauration de la consommation des ménages, notamment en zone euro où elle a permis des augmentations de pouvoir d’achat. Le rôle des pétroles et gaz de schiste est donc très important. Tout se joue entre ceux qui essaient de fermer les vannes et les autres qui peuvent facilement produire avec des prix au-dessus de 50 dollars.

Le bilan de santé du Luxembourg

Philippe Ledent L’économie du Luxembourg n’est pas facile à suivre. La situation est beaucoup plus volatile, elle est très fortement exposée au secteur financier. Les chiffres peuvent donc fortement varier d’un trimestre à l’autre. Mais c’est une économie qui, justement, de par cette spécialisation, a très bien performé ces dernières années. Il n’y a pas de raison que cela change à court terme, mais il faut quand même bien comprendre que cette performance est liée à une attractivité de plus en plus grande et qui se poursuit. La main-d’œuvre des pays frontaliers alimente toujours le marché du travail et de l’immobilier. Tout ceci est le résultat d’une mécanique qui a très bien fonctionné. Mais si un jour le Luxembourg devait perdre son attrait, s’il n’y avait pas un supplément de main-d’œuvre qui arrive chaque année par un surcroît d’activité, la mécanique pourrait s’inverser. C’est important pour le système de pensions. Actuellement, la pyramide de la population active est conservée, il y a toujours plus d’actifs que de retraités. Mais il ne faudrait pas que l’afflux cesse. L’économie doit donc développer d’autres pôles de croissance pour éviter que la pyramide ne s’inverse.

Alexandre Gauthy – Par rapport à d’autres pays développés, l’État dispose encore d’une marge de manœuvre pour s’atteler à cette problématique étant donné le faible endettement du pays. Le gouvernement est aussi conscient de la forte dépendance de l’économie aux services financiers et tente de se diversifier.

Stefan Van Geyt – Les challenges que le pays a déjà traversés avec son système financier montrent là aussi qu’il a très bien géré la situation. Le secteur financier a su passer correctement à travers une période de transformation assez importante, et l’industrie des fonds a continué à investir pour montrer qu’elle avait un grand rôle à jouer aux niveaux européen et mondial.

Ilias Abou Haidar – Le gouvernement opère aussi une transition vers le secteur de la technologie. Une stratégie numérique globale est mise en place (Digital Lëtzebuerg) visant à positionner le Luxembourg comme centre d’excellence high-tech, ce qui créera la croissance de demain.

Philippe Ledent – D’où l’importance du développement de l’Université du Luxembourg qui permettra, après cinq à dix ans, de diversifier l’économie, d’obtenir un flux continu de diplômés dans différents domaines, ce qui reste le premier pilier du développement d’une économie. C’est un challenge très important qui, pour le moment, est plutôt bien géré.

Les mystères du bitcoin

Alexandre Gauthy – Les cryptomonnaies, dont fait partie le bitcoin, sont l’actif le plus spéculatif aujourd’hui. Il est probable que l’utilisation de ces monnaies privées reste limitée par rapport à l’usage des devises conventionnelles. La technologie sous-jacente des cryptomonnaies, la blockchain, est, elle, prometteuse. Dire que l’offre en «monnaies alternatives» est limitée, c’est faux. Tous les jours, de nouvelles cryptomonnaies sont créées. Leur offre potentielle est donc illimitée. On en recense plus de 1.300 à l’heure actuelle, le bitcoin n’est que l’une d’entre elles. Il est aussi en train de perdre son avantage concurrentiel par rapport à d’autres cryptomonnaies sur le temps de transaction. Certaines sont devenues plus performantes sur le temps de passage d’un compte à l’autre.

Stefan Van Geyt – Je pense effectivement que la technologie est intéressante et va continuer à se développer. Mais l’élément le plus important autour de ces cryptomonnaies, c’est le manque de réglementation. Les investisseurs doivent être conscients que ce marché n’est pas du tout régulé. C’est dangereux.

Philippe Ledent – Je suis convaincu que du bitcoin, l’histoire retiendra la blockchain qui, elle, poursuivra sa vie. Mais sous d’autres formes, je ne suis pas convaincu par la blockchain décentralisée où chaque acteur valide chaque transaction. Une blockchain centralisée sera notamment moins énergivore. Quant au bitcoin, peut-on vraiment parler d’un actif? Il n’y a rien derrière. Si vous fermez le serveur, c’est terminé, il n’existe plus. Tout ce qu’on entend aujourd’hui, comme quoi les cryptomonnaies seraient les monnaies du futur, ce n’est pas vrai.

Ilias Abou Haidar – Tout à fait! Une monnaie est un moyen d’échange unanimement accepté, inscrit au passif des banques et adossé aux créances détenues par celles-ci. De ce point de vue, le bitcoin n’a rien d’une monnaie.