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A condition de véhiculer une identité, un savoir-faire et des valeurs, les marques constituent une source de promesses pour laquelle le client est prêt à délier les cordons de la bourse, quel qu’en soit le prix.

«Il est primordial pour une marque de savoir qui elle est et ce qu’elle veut devenir. Si je ne sais pas qui je suis, d’où je viens et où je vais, je ne peux pas exister librement», confie Jean-Claude Biver, CEO et actionnaire (minoritaire) de Hublot. En mai 2004, lorsqu’il prend la tête de la société horlogère basée à Genève, le Luxembourgeois s’emploie immédiatement à redéfinir les contours d’une marque en manque de repères. «Dès sa naissance, en 1980, Hublot a été associé à la créativité et à l’innovation avec une dose mesurée de provocation, explique-t-il. Quand on vend une montre à 20.000 dollars, voire à un million de dollars pour certaines, avec un bracelet en caoutchouc, la démarche est assez piquante, non?»

Un ADN à définir et transmettre

Pour asseoir une marque, son historique est un élément qui compte, mais il ne constitue pas l’essentiel. «Une marque, cela se construit avec beaucoup de patience, de temps et cela se détruit très rapidement, constate Charles-Antoine de Theux, gérant de Villeroy & Boch, entreprise fondée en 1748. L’historique est étroitement lié à la crédibilité, mais il ne peut servir qu’à tirer les leçons nécessaires à son avenir. Pour une marque, le plus important est d’être capable de rebondir très régulièrement.»

Pour avoir une chance d’attirer l’attention du consommateur, une marque doit véhiculer certaines valeurs, des éléments concrets ou plus subtils auxquels on peut s’identifier. «Lors de mon arrivée, mon rôle a été de définir le véritable ADN de Hublot, reprend Jean-Claude Biver. Personne n’avait jamais effectué ce travail pourtant primordial. Notre essence se traduit aujourd’hui par une formule: l’art de la fusion dans l’horlogerie. Nous marions une tradition horlogère vieille de 400 ans et la mettons en contact avec le futur. Notre volonté est de sortir l’horlogerie du musée, d’ouvrir la fenêtre pour y faire entrer de nouvelles tendances, de nouvelles matières, de nouvelles techniques, concepts et idées.»

C’est à partir de cet ADN, commun à tous les engrenages de l’entreprise, et dont le principal vecteur de transmission est la marque, que tout peut commencer. «A l’origine de toute marque, il y a un produit, explique Maurice Léonard, CEO de Gold & Wood, société basée à Hosingen et référence mondiale de l’optique de luxe. C’est notre méthode artisanale, dans la plus pure tradition de la haute lunetterie, l’utilisation de matériaux nobles comme l’or, le bois et la corne, qui font qu’aujourd’hui Gold & Wood est une marque appréciée et plébiscitée.»
Pour assurer la pérennité de la marque, les trois patrons insistent surtout sur l’innovation, la recherche et la remise en question permanente qui les animent.

«L’art de la fusion, cette faculté de combiner hier et demain, Hublot l’applique à tous niveaux. Tant que nous intégrerons le futur dans nos objets, nous serons vivants. Nous sommes condamnés à la créativité et à l’innovation», résume l’horloger suisse. «Un axe fondamental a toujours été celui de la recherche, de l’originalité, de la nouveauté, confirme Charles-Antoine de Theux. Cela demande beaucoup d’imagination. Cela consiste aussi à ne rien exclure a priori. Une marque capable de se projeter dans l’avenir, en prenant des risques, a toutes les chances de réussir.»

Tisser un lien concret avec le client

Dans leur conquête du marché, les marques jouent sur cette image novatrice, heureux mélange de savoir-faire et de culot. «On communique sur cet artisanat du luxe ‘made in Luxembourg’, poursuit M. Léonard. Pour continuer à grandir, on fait référence à notre métier de fabricant de lunettes. Nous invitons d’ailleurs tous nos clients à visiter notre usine où chaque pièce est fabriquée à la main.» Au sein de laquelle l’homme reste un maillon fort.

Dans cet univers du goût, la préhension physique du produit est fondamentale. «Pour les objets de la table, le marketing commence par le produit, détaille Charles-Antoine de Theux. Villeroy & Boch consacre beaucoup d’efforts au design des formes. Bientôt, nous ouvrirons un atelier sur notre site où les visiteurs pourront découvrir et s’initier au travail de la porcelaine.»

Deuxième étape, pour placer le produit dans les mains du consommateur final, les marques misent sur les points de vente, vecteurs de transmission des valeurs véhiculées au cœur de l’entreprise. «C’est là, dans nos 180 boutiques, que le consommateur retrouve le lien indispensable entre la marque et le produit qu’il achète», précise le gérant de Villeroy & Boch.

Au départ de la Suisse, les montres Hublot sont distribuées via un réseau de 400 détaillants dans le monde. «Le fait d’avoir, dans certains points stratégiques du monde, sa propre boutique permet à la marque de consolider son image et de présenter le concept dans toute sa plénitude, assure Jean-Claude Biver. Pour nous, rien ne remplace le prestige d’une boutique place Vendôme à Paris, sur Madison Avenue à New York ou à Ginza, quartier le plus luxueux de Tokyo. D’ici la fin de l’année, nous aurons développé un réseau de cinquante boutiques Hublot à travers le monde.» Une option que ne suit pas Gold & Wood, dont les lunettes sont vendues dans 40 pays, essentiellement par l’intermédiaire des opticiens. «Une marque comme la nôtre a besoin du relais de l’opticien, explique Maurice Léonard. Nous sommes présents sur tous les continents, particulièrement aux Etats-Unis, en Europe, mais aussi en Asie où nous enregistrons une très forte croissance actuellement. On n’arrive pas de façon opportuniste, on y est implanté depuis dix ans, avec succès.»

Si le point de vente reste un vecteur prépondérant des valeurs de la marque, dont le but ultime est d’amener le consommateur vers l’acte d’achat, les chefs d’entreprise ne négligent pas pour autant les autres canaux que sont Internet, les forums et les réseaux sociaux. «Après, il faut avoir une véritable vision d’avenir. La volonté de conquête est fondamentale et fédératrice, précise Charles-Antoine de Theux. D’ici vingt ans, Villeroy & Boch réalisera 75% de son chiffre d’affaires hors Europe. Mais pour y arriver, la marque doit être capable d’appréhender la multiculturalité. Cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner ses valeurs d’origine. Mais on ne peut pas avoir l’ambition de devenir le rêve de gens différents si on ne respecte pas les particularités culturelles et les aspirations personnelles de chacun d’entre eux.» Le succès est à ce prix.
 

Hublot - Marketing novateur
«Vu notre ADN, nous ne ferons jamais du marketing comme les autres, constate Jean-Claude Biver. L’innovation se trouve à tous les niveaux de l’entreprise. Machines de production, personnel, design, marketing…» Et, en la matière, si l’objectif reste de marquer les esprits, Jean-Claude Biver veut aussi dépoussiérer les pratiques. «Nous voulons quitter le cliché traditionnel du luxe ‘18e siècle’. Hublot est entré dans le monde du football, de la Formule 1, du ski, domaines où le luxe était absent jusqu’à présent. Nous avons choisi de descendre dans la rue, de donner une nouvelle visibilité à notre marque. La nouvelle génération des 16-24 ans ne peut peut-être pas s’acheter une montre Hublot, mais ils nous connaissent. En décloisonnant les pratiques, nous ouvrons de nouveaux marchés. A ce propos, je dirais que la visibilité obtenue grâce à la Coupe du Monde en Afrique du Sud a été capitale. 30 milliards de téléspectateurs ont vu le nom Hublot sur leur écran de télévision. Cela a évidemment un coût, mais nous avons pu profiter de belles opportunités à une époque où beaucoup de sponsors se retiraient…»