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D'ici à fin 2001, France Télécom s'est engagé à couvrir (seulement) 65% de la population française avec son offre ADSL, soit un peu moins de 10% du territoire français. En effet, l'ADSL coûte à l'opérateur historique 400 millions d'Euro sur 2000-2002. Pour desservir toute la France, il lui faudrait équiper ses 12.000 centraux téléphoniques de ?DSLAM?, armoires de modems ADSL, à raison de 152.450 Euro chacune? 

Aujourd'hui, la Lorraine n'est ni un pôle privilégié, ni un pôle d'exclusion numérique. Dans les départements de la Moselle et de la Meurthe-et-Moselle, 21% et 43% de la population ont accès à l'Internet rapide. En Meuse et dans les Vosges, la proportion varie entre 15 et 21% (1). Mais qu'en sera-t-il d'ici quelques années? La Lorraine, comme beaucoup d'autres régions françaises, risque une ?fracture numérique? entre d'un côté des zones attractives qui bénéficieront du haut débit et, de l'autre, des territoires jugés "non rentables" (zones rurales et périurbaines) qui seront délaissés par l'Internet rapide et menacés par des délocalisations. "Aujourd'hui, l'écart de coûts pour l'accès aux hauts débits varie de 1 (zone où il y a de la concurrence) à 3 (zone où il n'y a pas de concurrence). Dans les trois à cinq ans à venir, lorsque les opérateurs s'intéresseront aux plaques urbaines, l'écart passera de 1 à 5", affirme Jean-Charles Bourdier, délégué général de la Communauté numérique interactive de l'Est (CNIE), directeur du développement du Républicain Lorrain et président de la mission haut débit auprès du secrétariat d'Etat à l'industrie.

Les politiques relèvent le défi

Cet enjeu territorial n'a, évidemment, pas échappé aux collectivités locales françaises; leur mission consistant à s'occuper de l'aménagement du territoire et à en assurer le développement économique. Mais ce n'est très récemment que l'Etat leur a reconnu le droit de se doter d'infrastructures de télécommunications à haut-débit (loi du 28/06/2001). Pourtant, dès les années 90, certaines collectivités locales s'étaient montrées audacieuses. Parmi elles, la Communauté Urbaine du Grand Nancy (CUGN), une structure intercommunale qui regroupe vingt communes de l'agglomération nancéenne, soit 265.000 habitants.

En décembre 1996, celle-ci prenait l'initiative de construire son propre Réseau Métropolitain de Télécommunications (RMT), une boucle locale en fibres optiques qui propose du très haut débit (jusqu'à 1 GigaBit/s). La première phase, dite RMT1, comptait 33 km de gaines et 2.000 km de fibres. La seconde, dite RMT2, y ajoutait l'année suivante 45 km de gaines et 3.000 km de fibres.

Attaquée en justice par France Telecom, la collectivité avait dû établir un constat de carence d'offres pour justifier sa construction. "Aujourd'hui, ce réseau est mis à la disposition du GFU universitaire (2), avec 46 sites, du GFU de la Communauté Urbaine, avec 35 sites qui seront prêts d'ici la fin de l'année, et une troisième catégorie d'usagers constituée d'opérateurs, de fournisseurs d'accès et de clients privés qui demandent des liaisons pour deux ou trois sites", précise Daniel Thiriet, chargé des télécommunications à la CUGN. Les opérateurs en question: Internext, Kaptech et la SEM Câble de l'Est.

Cette initiative a depuis fait des émules auprès d'autres villes en Lorraine avec chacune une problématique territoriale adaptée.

Un vecteur de coopération intercommunale

C'est le cas pour Bar-le-Duc dans la Meuse. Depuis 1993, cette ville s'est associée à Saint-Dizier (Haute-Marne) et à Vitry-le-François (Marne) dans un réseau de villes: le Comité de promotion du triangle. Créé dans le souci d'assurer le développement d'un territoire (les trois villes sont équidistantes de 25-30 km), ce réseau mène des actions concrètes de coopération en matière d'économie, de culture, de tourisme? et depuis peu de haut débit. "En tant que villes moyennes, on aurait été à l'écart des infrastructures. Chacune de nous, seule, n'intéresse pas les opérateurs.  Alors qu'à trois, nous représentons 200.000 habitants", justifie Frank Merelle, directeur du Comité. D'un montant de 4,5 millions d'Euro, l'infrastructure prévue est une boucle radio inter-ville en fibre optique. Son exploitation commerciale sera confiée à un tiers exploitant qui, en contrepartie, devra reverser une redevance annuelle au Comité. Un audit était en cours fin octobre pour connaître les besoins des acteurs du territoire afin de démarrer le plus vite possible. C'est dans un contexte analogue de proximité géographique que Metz, Trèves, Sarrebrück et Luxembourg ont décidé de s'associer pour créer, le 26 février 2000, un réseau de coopération transfrontalière.

Seule différence majeure: cette Quattropole s'est fixé comme premier objectif l'amélioration des infrastructures de télécommunication et des nouveaux médias (3). Dans un article du Républicain Lorrain daté du 21 septembre, Paul Helminger, le maire de Luxembourg, expliquait qu'un réseau haut-débit rendrait enfin possible "l'établissement d'une métropole virtuelle dans [la] Grande Région'. Un mois plus tard, le processus était lancé. Le 23 octobre, les quatre maires signaient à Luxembourg une déclaration d'intention avec trois opérateurs de télécommunication: le français Cegetel-Télécommunication Développement, l'allemand VSEN et le luxembourgeois Cegecom. Réunis en consortium, ces derniers prévoient de relier les infrastructures des quatre villes et d'offrir, dès janvier 2002, des services à des prix inférieurs aux tarifs internationaux. Près de 15.000 clients sont attendus, principalement des entreprises de la Grande Région transfrontalière.

Quel que soit aujourd'hui l'exemple retenu, il apparaît clairement que nombre de communes lorraines ont compris la nécessité de se doter d'infrastructures de télécommunications, seul moyen d'attirer les opérateurs.

Les départements lorrains revendiquent le haut-débit

Il en est de même, depuis peu, pour des territoires beaucoup plus vastes comme les départements. Celui de la Moselle l'illustre assez bien. En juillet dernier, il rendait public son projet de création d'un backbone de 510 km d'ici fin 2003. Estimé à 80 millions d'Euro, le tracé de la boucle a été conçu pour qu'il n'y ait aucune zone de peuplement ou d'activité à plus de 15 km d'un point de raccordement.

"Nous sommes partis du constat, fait au dernier semestre de l'année 1999, qu'il n'existait aucune plaque ATM en Moselle, alors qu'il y en avait en Meurthe-et-Moselle, notamment à Nancy" rappelle Patrick Bigot, directeur des réseaux et des systèmes d'information du Conseil Général de la Moselle - bien conscient qu'en Sarre, région frontalière, les tarifs actuels de communication, via le haut débit, sont inférieurs de 40 % aux prix français.

Au début de l'année 2000, une double étude quantitative (combien d'infrastructures haut débit sur le territoire?) et qualitative (quels besoins en haut débit?) a été confiée à Alcatel et réalisée par la Communauté numérique interactive de l'est. Présidée par Jean-Marie Rausch, maire de Metz, cette association rassemble 80% de la population mosellane, acteurs socio-économiques privés et publics. Dix-huit mois plus tard, l'enquête a révélé une forte attente des mosellans en matière de haut débit. "Le Conseil général de la Moselle a choisi d'intervenir sur les infrastructures avec deux objectifs: instaurer les conditions d'une vraie concurrence entre opérateurs en Moselle et lutter contre le risque de fracture numérique", souligne Patrick Bigot.

Il appartient désormais aux communautés de communes membres de la CNIE de se raccorder par la suite au backbone en choisissant la technologie qui leur convient (ADSL, BLR, câble?) en fonction de leurs priorités: accès PME-PMI, Internet citoyen, valorisation d'infrastructures existantes? Enfin, on peut supposer que cette boucle se prolongera dans les pays frontaliers avec la Moselle. Si ce département fait aujourd'hui figure de précurseur, il ne doit pas, pour autant, faire oublier les projets des trois autres départements lorrains.

En octobre dernier, le Conseil général de la Meuse a confié une étude au cabinet Iksen afin de définir des scénarii viables économiquement pour le département; les élus doivent faire le choix début février 2002. Ce rapport devra déterminer s'il est possible de mettre en place un réseau, sous quelle forme et pour quels besoins. Au Conseil Général des Vosges aussi, l'objectif haut débit s'affirme. Action ponctuelle cet été avec un cyber-bus parti distribuer Internet avec le satellite jusque dans les coins les plus reculés des Vosges; action à long terme avec un plan de déploiement sur cinq ans. Entré dans sa phase active en juin, ce plan concernera les collèges, les zones artisanales et les zones économiques du département.

Une réunion doit avoir lieu prochainement avec les 515 maires du département. De son côté, la Meurthe-et-Moselle est encore dans une phase de réflexion avant quelque chose de plus concret d'ici janvier 2002. Si le haut débit a rouvert le débat de l'aménagement du territoire, il a aussi permis aux départements de rappeler leur vocation d'aménageur du territoire.

Ceci dit, n'est-on pas en train d'assister à une multiplication désordonnée de réseaux à haut débit où chacun cherche à mettre en valeur "son' territoire? Pour Nicolas Regrigny, directeur du développement économique de l'ADUAN, les réseaux n'ont aucune chance d'entrer en concurrence: "Le RMT, c'est de la fibre optique, donc une qualité de service irréprochable destiné à de grosses utilisations. La BLR de FirstMark [cf. encadré page précédente] est suffisamment fiable pour convenir aux PMEs et elle coûte moins cher", précise-t-il. Pour Jean-Charles Bourdier: "Plus on sera nombreux dans une partie territoriale, plus il y aura d'interconnexions et plus la force d'attraction sera importante". La Région Lorraine a, de son côté, prévu de jouer un rôle de coordinateur.

L'autre interrogation, plus difficile à résoudre, concerne les usages qui seront faits des hauts débits. Certes, de plus en plus d'entreprises manifestent leur besoin de télécharger des documents volumineux, de transférer des fichiers, de visualiser de la 3 D' Des applications plus pointues encouragent aussi le développement du haut débit: la visioconférence, la télémédecine, l'e-learning? Mais les citoyens veulent-ils du haut débit alors qu'un seul Français sur cinq est connecté à Internet et que seulement 6% des foyers disposent d'une connexion rapide (4)? C'est bien une réflexion sur les usages et les contenus à fournir qui devra désormais s'imposer.

(1) Sources: Tactis, Insee et France Télécom (juin 2001). Ces chiffres prennent en compte l'offre proposée par France Télécom, leader dans ce secteur.

(2) Groupe fermé d'utilisateurs.

(3) Les autres thèmes: l'offre Internet et Intranet du Quattropole, le tourisme et la culture, la mobilité et les moyens de paiement.

(4) Le Monde 06/09/2001: sondage CSA publié en août 2001 par le ministère de l'économie des finances.

Lancement

FirstMark à Nancy

Le 15 octobre 2001, FirstMark Communications France, opérateur de BLR (technologie par ondes hertziennes) inaugurait sa première Boucle Locale Radio en Lorraine, à Nancy. Depuis, son réseau couvre douze communes de l'agglomération nancéenne. S'adressant plus particulièrement aux PME-PMI, FirstMark propose un débit de 1 Mbits/s avec une garantie de 64 Kbits/s pour 290 euro / mois (offre Débiplus). Elle propose aussi un service d'accès à haut débit qui va de 1 à 4 Mbits/s avec une garantie de 128 Kbits/s à 2 Mbits/s. À titre de comparaison et selon cet opérateur, le chargement d'une présentation Powerpoint de 30 pages incluant tableaux, graphiques et dessins passerait de 5 min 40 s. avec un modem 56 bits/s à 1 min 36 s. avec sa BLR en 128 Kbit/s, et à 6 s. avec sa BLR en 2 Mbits/s. 

On the Web

Le haut débit en France

http://www.datar.gouv.fr

Présenté par le gouvernement, réuni en Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) le 7 juillet à Limoges, ce rapport s'est fixé "comme objectif la disponibilité d'une offre de connexion moyenne à 2 Mbits/s. à un coût abordable sur l'ensemble du territoire à l'échéance 2005". Le gouvernement a décidé d'octroyer 10 milliards de francs français de prêts bonifiés de longue durée et la Caisse des dépôts et Consignations, 1,5 milliard.

http://www.telecom.gouv.fr

Dans ce rapport "Réseaux à haut débit: nouveaux contenus, nouveaux usages, nouveaux services", remis en septembre 2000 au secrétaire d'Etat à l'industrie, Jean-Charles Bourdier démontre notamment que l'accès aux services de télécommunication conditionne le maintien ? ou le départ ? des entreprises et donc des emplois.

http://www.conseil-economique-et-social.fr

Il s'agit du rapport "Haut débit, mobile: quelle desserte des territoires'", d'André Marcon présenté le 21 juin 2001 au Conseil Economique et Social. Il appelle à l'implication forte de l'Europe, de l'Etat et des collectivités locales en vue d'une desserte équitable du territoire.