Magali Maillot: «Être proche des gens permet de mieux faire accepter les évolutions.» (Photo: David Laurent)

Magali Maillot: «Être proche des gens permet de mieux faire accepter les évolutions.» (Photo: David Laurent)

Madame Maillot, quel regard portez-vous sur l’évolution de votre métier, ces cinq dernières années?

«Au début de la crise, j’étais encore en poste chez Lombard International; j’ai rejoint Allen & Overy en septembre 2012. Le Luxembourg a été épargné au départ, mais cette crise a tout de même nécessité un peu de créativité des RH, pour maîtriser les coûts. Il s’agissait de mesures ‘soft’: aménagement du temps de travail, congés sabbatiques…

Malheureusement, ces mesurettes – je parle là de ce que j’ai vécu chez Lombard – n’ont pas suffi et notre métier a alors énormément changé.

Ce fut aussi une opportunité pour les DRH; depuis longtemps déjà, il était question de rapprocher la fonction du business et là, cette crise nous a obligés à plonger dans le grand bain, à être beaucoup plus proches des comités de direction, à anticiper des mesures, à travailler sur des plans de restructuration.

J’ai senti une grande différence dans les deux entités où j’ai évolué. Chez Lombard, il y a une vraie place pour le DRH auprès du comité de direction. Dans un cabinet d’avocats, comme chez Allen & Overy, il n’y a pas de comité de direction, mais les associés sont attentifs aux recommandations que l’on peut faire.

Quelles différences notables avez-vous constatées entre ces structures?

«Dans un cabinet d’avocats, vous gérez des départements, soit, chez Allen & Overy, sept départements et donc sept entrepreneurs. On peut le nuancer un peu, car nous appartenons à un grand groupe international et certaines stratégies sont transmises par notre maison mère à Londres.

Mais nous avons tout de même sept associés responsables de leur département, avec des activités extrêmement différentes. Et tous ne sont donc pas confrontés à la crise de la même manière.

Quels en ont été les effets directs sur la fonction RH?

«Aujourd’hui, deux rôles sont prédominants pour les DRH: employee champion, c’est-à-dire être près des employés, les écouter, les conseiller, et celui de change agent, consistant à aider les organisations à la restructuration, à amener le business plus loin.

Ces deux fonctions ne sont pas toujours faciles à combiner, c’est même parfois un peu schizophrénique! Mais être proche des gens renforce les liens et permet de mieux faire accepter les évolutions.

Je l’ai vu lorsque j’ai dû gérer le plan social chez Lombard: le fait d’être proche de mes employés m’a aidée à communiquer avec eux et à leur faire comprendre ce qui se passait, même si ce fut évidemment très douloureux.

D’autres effets de cette crise se sont-ils fait sentir?

«Ils ont été nombreux! Chez Lombard, la stratégie RH était très axée sur le recrutement. Nous avons avancé vers l’intégration, la rétention… puis vers la restructuration, la sortie.

Notre rôle a donc beaucoup changé, ces dernières années. Mais nous sommes toujours dans une guerre des talents! Le recrutement reste l’une des activités phares des ressources humaines.

Ces recrutements sont-ils orientés sur un développement des activités ou pallient-ils essentiellement la rotation des effectifs?

«Chez Allen & Overy, nous avons un taux de turnover assez élevé, mais conforme au reste de la profession. La structure est extrêmement pyramidale, comme dans les Big Four… On recrute beaucoup à la base, puis on forme, on développe, on intègre…

Malheureusement, tout le monde ne devient pas associé. Donc, à un moment donné, certaines personnes vont s’orienter vers des structures plus petites ou changer d’environnement. Un cabinet d’avocats est un environnement extrêmement exigeant qui n’est pas toujours compatible avec certains choix de vie.

Nous continuons à croître, en termes de chiffre d’affaires et de profitabilité, mais sur les cinq dernières années, notre effectif est constant. Soit 85 avocats collaborateurs et une cinquantaine d’employés dans les activités de support.

Dans une organisation qui compte 10 associés et sept départements, est-il plus difficile qu’ailleurs d’instiller une culture d’entreprise?

«Cette culture existe depuis longtemps, avec des visions, des valeurs communes. Le cabinet luxembourgeois a été fondé il y a plus de 20 ans, il est devenu Allen & Overy en 2000. Et la plupart des associés fondateurs sont toujours là.

Parmi ces valeurs, je citerais le respect, le partage, la relation client, l’investissement dans les collaborateurs, leur développement… Nous veillons aussi à organiser régulièrement des événements sociaux, avec l’ensemble des équipes. C’est important, car nous occupons deux bâtiments et maintenir une ‘unité de corps’ est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur. Il n’est pas sain de travailler dans une entité qui a différentes politiques de gestion.

Dans le cabinet, nous maintenons également une forte culture entrepreneuriale et nos collaborateurs doivent avoir un certain goût pour la prise de risques. Par exemple, nous avons mis en place une initiative purement luxembourgeoise, l’implantation de desks à l’étranger, le plus souvent dans des cabinets d’Allen & Overy. Leur mission est de mettre en avant, dans les pays étrangers, les solutions luxembourgeoises. Nous avons actuel­lement quatre international desks (Moscou, New York, Amérique latine et Hong Kong).

Notre cabinet est perçu comme très compétitif mais aussi comme ‘très humain’, prenant le temps de former et de développer les gens. D’ailleurs, nous avons pour nos collaborateurs un cursus de formation très solide.

Le recrutement est hautement stratégique, dans un cabinet de votre ampleur. Quelle est votre approche?

«La difficulté principale qu’Allen & Overy rencontre, c’est de chercher les meilleurs des meilleurs: on écrème les universités pour ne recruter que des candidats avec de grandes distinctions, ayant des parcours académiques absolument époustouflants, souvent des doubles masters, suivis d’un LLM(donnant une qualification anglo-saxonne)… La difficulté réside donc dans la sélectivité, sans négliger la personnalité du candidat qui donne le sésame pour un entretien.

Nous recevons beaucoup de candidatures spontanées. Pour améliorer nos recrutements, nous entretenons des relations privilégiées avec des associations d’étudiants: un dîner de Noël avec l’Aneled (Association nationale des étudiants luxembourgeois en droit), des rencontres avec les associés, des drinks… Ceux qui sont repérés se voient proposer des stages d’été d’un mois et peuvent revenir d’année en année, avec des évaluations réciproques. Certains en profitent pour se faire une place dans le département qu’ils ont choisi, d’autres pour tester différentes spécialités…

Nous accueillons ainsi, chaque été, près de 35 étudiants en stage. L’an dernier, 60% des jeunes avocats que nous avons recrutés avaient fait un stage d’été chez nous. C’est énorme, et cela constitue vraiment le premier moyen de fidéliser nos collaborateurs.

Quel intérêt trouvez-vous à recruter des juristes tout juste sortis des études?

«Le premier intérêt est de sélectionner la crème de la crème. Nous prenons énormément de temps pour les former (juridiquement, mais aussi à nos méthodes de travail…) et les retenir. Il est très motivant pour les collaborateurs de savoir qu’ils peuvent progresser en interne et, si tout va bien, que ce n’est pas une personne recrutée en externe qui va soudainement passer au-dessus de leur tête! On sait que les talents sont chez nous, c’est un message assez fort qu’on leur donne.

Certes, il nous arrive de recruter à l’extérieur, si nous avons perdu la compétence en interne ou si une nouvelle activité se développe, mais c’est extrêmement rare. 80% des arrivants sont des débutants.

Si vous chassez rarement chez vos concurrents, eux, en revanche, débauchent parfois vos talents…

«C’est en effet un souci. Nous faisons partie des cabinets de référence qui forment très bien, avec des critères de progression très exigeants. Nous subissons donc des attaques assez importantes chaque année. Nous perdons beaucoup de collaborateurs et restons une proie facile pour nos concurrents, qui leur font notamment miroiter des postes d’associé alors qu’ils sont encore très jeunes…

Chez Allen & Overy, il n’est possible d’évoluer vers un poste d’associé qu’après 10 années de barreau environ, avec des décisions prises à la fois localement et à notre siège de Londres.

Il doit être frustrant pour une DRH de ne pouvoir les retenir… 

«Je trouve que c’est plutôt sain. Cela évite les promotions au chantage; tout le monde a des chances équivalentes, avec des critères identiques, partout dans le monde. Les comités de promotion au niveau partnership sont constitués des mêmes personnes, avec les mêmes exigences. Certes, elles sont souvent plus élevées que dans d’autres cabinets locaux.

En termes de rémunération, nous sommes très bien placés. Mais il faut savoir que pour les avocats, les titres sont parfois plus importants que la rémunération!

Vous pratiquez une gestion des talents à la fois exigeante et performante. Quels sont les piliers de cette politique de formation?

«Pour nous, tous les collaborateurs sont des talents. Allen & Overy dispose d’un curriculum de formation très solide, établi par nos bureaux londoniens. Il est, je crois, très apprécié par nos collaborateurs. Tous ont l’occasion de participer à des stages à Londres, qui portent, en alternance, sur des softs skills – prise de parole en public, assertivité, délégation des tâches, gestion du temps, etc. – et des compétences juridiques pour les avocats, avec des spécialisations de type corporate, banking, tax…

À côté de cela, nous avons développé un catalogue de formations qui se déroulent au niveau local, soit en interne, soit dans des organismes luxembourgeois, comme le Centre de langues (CLL). La majorité des personnes que nous recrutons passent par le CLL, notamment pour des cours de luxembourgeois car nous demandons à nos avocats de viser l’inscription au barreau en liste1, même si nous leur laissons du temps pour apprendre la langue nationale.

Allen & Overy est fortement engagé en termes de RSE. Comment cet engagement se traduit-il au Luxembourg?

«Notre prochaine actualité, en matière de responsabilité sociale des entreprises, est la signature de la Charte de la diversité, que nous effectuerons fin septembre. Lorsqu’elle a été lancée, l’an dernier, je venais d’arriver dans le cabinet et je voulais m’assurer que cette signature était en cohérence avec l’organisation. C’est bien le cas et nous signerons donc cette année!

Dans ses politiques de gestion humaine, Allen & Overy est très engagé en matière de diversité culturelle et d’égalité hommes-femmes, et la charte va bien sûr nous permettre de consolider l’existant.

La RSE est bien sûr un enjeu important pour notre cabinet; nous avons un comité pro bono très actif. Une partie de son activité découle de l’engagement fort d’Allen & Overy au niveau mondial, notamment auprès de l’ONG AfriKids. L’an dernier, deux de nos collaborateurs luxembourgeois ont d’ailleurs fait partie d’un voyage humanitaire au Ghana.

Mais parallèlement à cela, nous avons également des coopérations avec des ONG d’ici, telles que SOS Villages d’Enfants et la Stëmm vun der Stroos. Au niveau local, nous ne réalisons pas de collecte de fonds mais nous offrons un soutien juridique, essentiellement en due diligence. Nous avons également participé au Marathon ING, sous les couleurs d’AfriKids.

Vous avez intégré, en juin, le conseil d’administration du POG (HR Community of Choice). Que vous apporte ce type de réseautage?

«Je suivais les activités du POG depuis mon arrivée au Luxembourg. Pour moi, ce type de think tank est très intéressant, car il permet de sortir du cadre des RH et d’identifier des initiatives qui ne sont pas encore sur le marché. Cela permet de voir des choses très nouvelles et puis… les DRH constituent une communauté plutôt sympa!»

Parcours

La voie du changement

Magali Maillot a commencé sa carrière en France, chez Motorola, après un master en «économie et management», suivi d’une spécialisation (post-graduat) en «management des ressources humaines», à Toulouse. Elle est alors responsable du recrutement pour six unités de production en France. Arrivée au Luxembourg en mai 2001, elle est consultante RH chez GRH Management (devenue Securex) puis entre chez Lombard Inter­national Assurance en 2004. À ce poste, elle traverse tous les épisodes de la crise financière et elle est amenée à préparer un plan social très difficile et controversé. En 2011, elle est diplômée de la London Business School en «human resources strategies in transforming organizations». En septembre 2012, elle intègre le cabinet d’avocats Allen & Overy, l’un des plus emblématiques de la place financière luxembourgeoise. Magali Maillot est coach certifiée (International Coaching Institute) depuis 2010 et membre du réseau professionnel POG, dont elle a intégré le conseil d’adminis­tration en juin 2013. F.