Jang Schiltz, directeur de la Luxembourg School of Finance depuis le printemps 2016 et enseignant-chercheur à l’Uni depuis 2004. (Photo: Edouard Olszewski)

Jang Schiltz, directeur de la Luxembourg School of Finance depuis le printemps 2016 et enseignant-chercheur à l’Uni depuis 2004. (Photo: Edouard Olszewski)

Monsieur Schiltz, le master en wealth management de la LSF entame sa cinquième rentrée universitaire. Quel est le profil des étudiants?

«L’année dernière, il y avait 23 nationalités différentes sur 35 étudiants – 50% d’Européens, 40% d’Asiatiques et quelques Américains et Africains. Nous avons des étudiants qui ont fait des études d’économie ou de finance, mais aussi d’autres qui ont étudié le droit et découvrent alors des cours un peu plus mathématiques – gestion de portefeuille, produits dérivés, analyse de données – que ce qu’ils ont connu auparavant. Pour les besoins de la Place, c’est un bon mélange.

Est-ce un master plutôt académique ou professionnalisant?

«C’est un master 2 dont une partie des cours est dispensée par des professeurs d’université et une autre par des praticiens. Cette dernière année d’études est destinée à donner aux étudiants les connaissances dont ils ont besoin pour travailler au Luxembourg. En pratique, ils ne vont pas tous dans des banques privées tout de suite. La gestion des très grandes fortunes sera confiée en général à des gens plus expérimentés. Ils commencent souvent à d’autres niveaux, par exemple en asset management, et une partie de nos étudiants commencent leur carrière dans les Big Four.

Cela dépend aussi de leur expérience: nous avons des jeunes qui ont fait un bachelor et un M1 quelque part à l’étranger, mais aussi des étudiants plus âgés qui ont juste un bachelor mais qui ont travaillé, parfois pendant longtemps, sur la place financière. Ceux-là connaissent déjà le métier et s’intègrent à un niveau plus élevé dans la hiérarchie après leur master.

Le master a-t-il donc su séduire la Place?

«Nous avons développé des relations de confiance avec ses principaux acteurs. Toutefois, les recrutements dépendent toujours de la conjoncture. Il y a des années où les banques privées recrutent davantage. L’année dernière, par contre, elles étaient un peu en attente avant l’introduction de Mifid II. Mais les étudiants qui veulent travailler au Luxembourg – la plupart – y trouvent tous un emploi assez vite. C’est vrai pour nos deux masters.

Les étudiants non européens rencontrent souvent des difficultés pour obtenir le droit de travailler.

Jang Schiltz, directeur de la Luxembourg School of Finance

Néanmoins, il est vrai que nos partenaires déplorent que trop d’étudiants retournent à l’étranger après leurs études. Certains ont reçu une bourse de leur pays et sont obligés d’y retourner, mais d’autres, non européens, rencontrent souvent des difficultés pour obtenir le droit de travailler.

Nous avons par exemple chaque année de très bons étudiants chinois. Une banque qui veut les employer doit prouver qu’il n’y a pas d’Européens ayant les mêmes capacités. Cela nécessite du travail supplémentaire et c’est donc un peu plus difficile. Comme la Place a besoin de plus de monde, cela devrait pouvoir se résoudre, mais c’est au niveau politique que cela doit être fait. Le gouvernement doit aider à permettre à nos étudiants d’obtenir des emplois stables par après, comme Étienne Schneider l’avait annoncé lors de son dernier discours de Nouvel An.

Comment restez-vous au plus près des besoins de la Place?

«Un comité d’accompagnement composé de trois professeurs (dont un ancien banquier privé, ndlr) et sept professionnels de la Place, venant de grandes banques privées, veille à ce que le programme évolue en fonction des tendances du marché du travail. Nous allons par exemple prochainement discuter de l’introduction d’un cours de fintech. Les réglementations financières qui changent sans arrêt nous conduisent à modifier régulièrement le contenu des cours. De plus, certains types d’investissements prennent plus d’importance au Luxembourg avec le temps, par exemple tout ce qui est finance verte, à laquelle la Bourse de Luxembourg a pris un grand intérêt, ou plus généralement tout ce qui est lié au développement durable. Mais il y a surtout la révolution digitale qui transforme le métier de banquier. On essaie d’adapter le contenu de nos masters pour que les étudiants comprennent ce qui se passe et sachent utiliser les outils dont ils auront besoin dans leur vie professionnelle.

Le métier de wealth manager a-t-il encore de l’avenir avec les robots-conseillers?

«Pour moi, oui. Je ne crois pas que les robots vont remplacer tout d’un coup les gestionnaires de fortune. Mais il est clair que le métier va changer. La jeune génération de clients veut pouvoir tout faire ou presque sur un téléphone portable, donc il faudra avoir des applications pour eux. Le développement de l’intelligence artificielle sera aussi intéressant pour aider les gestionnaires de fortune dans leur travail.

Je ne crois pas, par contre, que les personnes fortunées vont laisser de côté leur banque. Elles ne veulent pas seulement inter­agir avec une machine, mais aussi pouvoir parler avec quelqu’un de confiance. Le gestionnaire de fortune joue souvent également le rôle de confident et de conseiller pour des problèmes non financiers.

D’ailleurs, le rôle des gestionnaires de fortune, surtout au Luxembourg, n’est de toute façon pas seulement de dire quelles actions il faut acheter. Une des forces de la Place est que nous sommes capables de maîtriser des situations multijuridictionnelles, et donc d’aider les clients qui ont des actifs dans de nombreux pays ou d’organiser la succession pour des familles vivant dans plusieurs pays.

Les statistiques montrent par ailleurs qu’il y a de plus en plus de gens riches. A priori, la gestion de fortune devrait donc avoir un bel avenir. Il faudra cependant s’adapter au fait que c’est en Asie que les fortunes privées augmentent le plus rapidement pour l’instant. Mais de toute façon, le Luxembourg essaie depuis un certain temps déjà d’attirer des clients d’ailleurs et il s’est bien adapté aux besoins de la clientèle asiatique, moyen-orientale ou russe. Nous commençons par contre à faire face à une concurrence grandissante parce que Singapour, Hong Kong et Shanghai essaient également de plus en plus d’étendre leur clientèle au-delà de l’Asie.

C’est pour cela que nous organisons à la fin de chaque année universitaire une semaine académique à la Singapore Management University, où les étudiants apprennent à connaître les différences entre les marchés asiatique et européen, les spécificités des clients asiatiques, etc.

Le master en wealth management est-il amené à grandir?

«Nous avons plus de demandes que de places disponibles, mais l’affluence n’est pas encore aussi grande que nous le souhaiterions. Nous sommes donc en train de réfléchir à notre stratégie de publicité. Pour le master en banking & finance, nous voulons créer trois branches pour la rentrée prochaine, risk management, investment management et banking, qui pourront évoluer en masters complets si assez d’étudiants sont intéressés. Nous voudrions en profiter pour créer une plus grande palette de cours optionnels qui serait à la disposition de tous les masters. À moyen terme, nous allons probablement compléter notre offre par une première année commune.

Des discussions sont également en cours pour voir s’il y aura un jour un bachelor en finance à la faculté de Droit, d’Économie et de Finance. Ce serait assez logique, selon moi, mais cela dépend de la stratégie générale du rectorat et du conseil de gouvernance de l’Université.

Qu’attendez-vous du nouveau recteur, Stéphane Pallage, attendu pour début 2018?

«Pour nous, c’est une bonne chose d’avoir un recteur qui connaît très bien le milieu académique en économie et finance et ses spécificités. Par exemple, le recrutement des post-docs en finance est organisé au niveau mondial lors d’une conférence aux États-Unis qui se déroule chaque année début janvier. Tous les bons candidats et des universités du monde entier s’y retrouvent pour faire des entretiens. Les CV des professeurs en finance sont par ailleurs assez différents de ceux d’autres disciplines puisqu’il faut en moyenne plus de cinq ans pour publier un bon article dans les journaux reconnus au niveau mondial.

Nous devons aussi proposer de la formation continue.

Jang Schiltz, directeur de la Luxembourg School of Finance

Comme il a géré une école de commerce à Montréal, Stéphane Pallage saura également apprécier l’importance des liens de notre faculté avec le milieu économique. Un bon tiers du PIB luxembourgeois provient de sa place financière, et si l’Université veut assumer pleinement son devoir de service au pays, il faudrait qu’on puisse former plus d’étudiants au marché du travail, participer à la formation continue, particulièrement dans le contexte de la révolution digitale, faire des projets de recherche avec la Place, etc.

Mais pour cela, nous devons d’abord grandir. Nous ne pouvons pas assurer tout cela avec seulement neuf professeurs qui enseignent aussi dans les bachelors et masters en économie.

Est-ce à l’ordre du jour de vos discussions avec le conseil de gouvernance dans le cadre du plan quadriennal budgétaire de l’Uni?

«Nous demandons effectivement plus de professeurs. Comme nous savons bien que le budget de l’Université est limité, nous demandons également la possibilité d’aider nous-mêmes à gagner l’argent nécessaire à leur recrutement. Nous aimerions pouvoir utiliser une partie des frais d’inscription de nos masters, qui s’élèvent actuellement à 17.500 euros, pour recruter de nouveaux collègues et financer les activités de recherche de la LSF.

De même, le fait de pouvoir garder un certain pourcentage de tout l’argent qu’on réussit à obtenir de sponsors privés inciterait les collègues à devenir plus actifs dans ce domaine. L’application de ces quelques règles économiques de base, qui sont en vigueur dans la plupart des universités anglo-saxonnes et de plus en plus ailleurs dans le monde, serait sûrement bénéfique, autant pour les professeurs que pour l’Université et la place financière.»