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Ce ne sont pas les bonnes intentions qui manquent ni les idées. Les responsables des institutions pédagogiques et les hommes politiques luxembourgeois n'arrêtent pas de souligner les très bonnes relations qu'ils entretiennent avec leurs collègues allemands, belges ou français ? et on peut y croire.

Pourtant, si des expériences concrètes à long terme font encore défaut, c'est parce que les différences de modèles de formation, de langues et de cultures ne sont pas si faciles à réconcilier. Si on ajoute des tendances sous-jacentes au protectionnisme national et des barrières bureaucratiques de différents ordres, on peut se faire une idée des obstacles à surmonter pour la concrétisation de projets pédagogiques transfrontaliers.

Les exemples que nous vous proposons ci-dessous ont quelques points en commun: suite à l'initiative engagée de décideurs politiques et institutionnels, on est vite passé à la pratique, sans s'attarder sur des longues études préliminaires. Les concepts de formation sont calqués sur des modèles venant de l'étranger mais lors de la mise en route les responsables n'ont pas omis les besoins spécifiquement luxembourgeois.

La «Medienakademie Luxemburg»

Le programme ambitieux de «e-Luxembourg» mentionne cette initiative rapidement en lui consacrant deux phrases dans le chapitre sur la formation aux nouveaux métiers d'avenir: «La Medienakademie Luxemburg, qui vient d'être inaugurée récemment, sera développée pour répondre aux besoins du secteur privé. Elle a été mise en place en étroite coopération avec la Medienakademie de Cologne.»

Plus concrètement, cette «académie» a été créée suite à un accord de coopération en matière de médias entre le Luxembourg et le Land de la Rhénanie et du Nord-Westphalie, représentés par Jean-Claude Juncker et Wolfgang Clement. Dans un premier élan d'enthousiasme, l'initiative luxembourgeoise a repris le nom de marque de son grand pendant allemand: «Medienakademie Luxem-burg». Assez rapidement les structures d'organisation ont été instaurées afin de pouvoir démarrer avec les premiers stages en novembre 2000. Epaulé par le Service des Médias et de la Communication du Ministère d'Etat, c'est le New Media Group du Centre de Recherche Public Henri Tudor qui a été chargé de la programmation et de l'organisation pratique des activités de la Medienakademie.

Depuis, les visions ont été confrontées aux réalités. De novembre de l'année dernière jusqu'à ce jour, cinq «training sessions» ont eu lieu, affichant des thèmes d'actualité du domaine complexe des nouvelles technologies: «online-marketing, online-publicity », «e-trade and logistices», «e-banking», «cost management» et «online redaction».

Les prochaines sessions s'annoncent pour les mois suivants: «legal aspects of the Internet», «business models for Internet publishing» et encore «technology turnaround». Se basant sur les études de l'Observatoire des Nouveaux Médias et sur leur bonne connaissance du marché, les organisateurs tiennent compte des besoins réels des entreprises luxembourgeoises.

Pour éviter une situation concurrentielle avec des organisations commerciales, les stages proposent exclusivement des thématiques bien précises de gestion globale et de conception en nouveaux médias. En s'adressant à un public cible de professionnels avertis, on évite volontairement des approches d'initiation technique ou de sensibilisation à grande échelle.

Quel pourrait être un premier bilan provisoire après les six premiers mois de fonctionnement? Les inscriptions allant de sept à quinze personnes selon le thème proposé, la Medienakademie tentera de se limiter à dix participants dorénavant, afin d'éviter des groupes composés de personnes avec des intérêts et des connaissances trop divergentes. Quant aux réactions des différents stagiaires, ils allaient d'appréciations très positives jusqu'à des critiques virulentes. Face à un public de professionnels initiés et de dirigeants d'entreprise, l'académie n'a guère le droit à l'erreur, ni quant au choix des intervenants ni quant à la définition des contenus. Quitte à annuler ou à écourter une session quand elle s'annonce mal ? un prix à payer pour une bonne initiative qui fait ses premiers pas vers l'excellence.

Le bon déroulement tient essentiellement à une présentation appropriée du sujet et au niveau d'expertise de l'intervenant. La sélection des formateurs est ainsi devenue le plus grand défi pour les organisateurs, vu que dans un domaine si évolutif que les nouveaux médias les experts de haut niveau avec quelques années d'expérience professionnelle sont rares, sinon difficilement abordables.

Pour l'avenir, la Medienakademie Luxembourg compte continuer ses activités dans la voie engagée en proposant des formations sur des thématiques de logistiques, de rédaction ou de marketing en réseau. C'est au niveau de la structure même de l' «académie des médias» que des changements s'annoncent: dans le cadre de «e-Luxembourg», les responsabilités du Service des Médias passeront aux mains du Ministère de l'Education Nationale et de la Formation Professionnelle; l'organisation pratique sera assurée par l'administration de Sitec, structure commune de l'Institut Supérieur de Technologie et du CRP Henri Tudor. Un comité scientifique composé de représentants des différents partenaires définit le programme des formations quelques mois à l'avance.

Quant à la collaboration avec la Medienakademie de Cologne, on est quasiment resté à l'étape «pourparlers» sans qu'il y ait eu des suites concrètes sous forme d'échanges de formateurs ou de modules de formation. Les soi-disant partenaires se voient confrontés à des différences de culture, de langues et de taille des marchés et des structures. En plus, du côté luxembourgeois, stagiaires, intervenants et organisateurs sont majoritairement francophones. Même si l'Anglais est promu comme langue véhiculaire pour les stages, on sait qu'en réalité la communication se fait encore le plus souvent en français et les organisateurs en tiennent compte. On a l'impression que pour les Allemands la Medienakademie du Luxem-bourg est un partenaire parmi une centaine d'autres ? sur leur vaste site www.medienakademie-koeln.de on ne l'évoque d'ailleurs qu'une seule fois sous la petite rubrique «Kooperationen».

Vu l'évolution des choses, on peut se poser la question pourquoi une formation incluse dans des programmes gouvernementaux luxembourgeois se rallie ouvertement à cette grande structure de la Medienakademie Köln, entreprise filiale de la fameuse fondation Bertelsmann (cf encadré). Peut-être que les activités futures de la Medienakademie luxembourgeoise apporteront des précisions à cet égard.

Selon Geneviève Carentz, responsable de la Medienaka-demie Luxembourg pour le New Media Group, les organisateurs sont en train de préparer le terrain pour d'éventuels événements en commun tels des conférences par exemple. Quant aux prochaines «training sessions», on essaiera de mettre l'accent davantage sur l'interactivité entre intervenants et participants et donner une préférence aux rencontres avec plusieurs intervenants afin d'élargir la panoplie des compétences et des points de vue. En attendant, cette initiative a le mérite d'exister et le plus grand mérite de se poursuivre.

Diplômes d'Etudes Supérieures Spécialisées

Dans un tout autre domaine de spécialisations et suivant un autre modèle de formation continue que la Medien-akademie, les Diplômes d'Etudes Supérieures Spécialisées (DE-SS) en Administration des En-treprises (CAAE) et en Direction et Gestion des Ressources Humaines (DGRH) se fondent sur une politique semblable de coopérations transfrontalières.

C'était en 1996 que la Chambre des Employés Privés du Luxembourg (CEP-L) a pris du devant en signant un accord avec l'Institut d'Administration des Entreprises de l'Université Nancy 2. Des contacts avec d'autres universités de la Grande Région avaient abouti au constat que si on voulait vite passer à l'action, la CEP-L devait importer des modèles déjà existants au Luxembourg.

Alors qu'en Allemagne des diplômes de 3e cycle universitaire étaient presque inexistants à l'époque, les universités françaises avaient des années d'expérience avec ce genre d'enseignement.

La formule suivante fut lancée: la CEP-L prête son concours administratif et logistique alors que «toutes questions des domaines contenu et enseignants sont de la compétence de l'université». Etant donné que le premier DESS lancé, nommé Certificat d'Aptitude à l'Administration des Entre-prises (CAAE) est un diplôme de l'Etat français clairement défini quant aux contenus, la marge de man'uvre des Luxembourgeois à cet égard était limitée dès le départ.

Certes, les contenus faisant référence à la législation et à des dispositions françaises furent remplacés par des contenus axés sur le marché luxembourgeois, mais le DESS reste néanmoins un modèle d'enseignement très franco-français de par sa logique et par les matières proposées. Pour les participants, l'avantage est de pouvoir suivre une formation universitaire bien définie sur le terrain luxembourgeois qui aboutit après presque deux ans d'études à des diplômes strictement équivalents à ceux décernés par les universités françaises.

Depuis son lancement en 1996, le DESS-CAAE a connu un grand succès au niveau des inscriptions. De façon à encourager les responsables du CEP-L à proposer un deuxième diplôme depuis 1997, celui s'adressant aux professionnels des Res-sources Humaines. En l'an 2000, la 7e promotion CAAE démarrait avec 29 participants alors que la 3e promotion DESS-DGRH se compose actuellement de 23 personnes.

Contrairement aux autres séminaires et stages proposés par la CEP-L qui sont ouverts à tous les employés, ces formations sont réservées à des cadres désireux de faire valider leurs connaissances acquises au sein de l'entreprise ou des employés titulaires d'un diplôme bac +4. L'admission des candidats se fait d'ailleurs après l'examen d'un dossier professionnel, des épreuves écrites et un entretien avec un jury.

Selon Roger Melmer, responsable de l'Institut de Formation des Adultes au Luxembourg, la collaboration avec les partenaires français s'est toujours passée en bonne entente. S'il y a eu des réclamations des participants, il s'agissait majoritairement de problèmes d'organisation auxquels la CEP-L pouvait réagir rapidement.

Il est vrai que le statut indépendant de la CEP-L et l'approche pragmatique et flexible de ses décideurs détermine le bon déroulement de ce modèle complexe de formation. Un des points forts de l'enseignement DESS, c'est l'implication de professionnels de haut niveau (consultants, chefs d'entreprise, experts) comme intervenants dans la formation.

Face à un public d'étudiants critiques et exigeants, les responsables luxembourgeois et français doivent s'adapter aux exigences du marché, tenir compte des évolutions économiques, sociales et techniques et trouver les contenus et les formateurs adéquats. Surtout quand il y a décalage entre les demandes des différentes promotions luxembourgeoises, composées de personnes multilingues d'origines diverses, et des propositions de formules purement françaises.

Si donc pour certains une ouverture vers des approches germaniques et anglo-saxonnes fait défaut, pour d'autres l'intérêt de cette formation «importée» consiste dans le fait de son efficacité prouvée, de sa renommée et de la précision des contenus.