Patrick Zurstrassen (Institut Luxembourgeois des Administrateurs) (Photo: Laurent Antonelli/Blitz)

Patrick Zurstrassen (Institut Luxembourgeois des Administrateurs) (Photo: Laurent Antonelli/Blitz)

Monsieur Zurstrassen, en quoi être administrateur de société, aujourd’hui, est-il foncièrement différent d’hier?

«Par le passé, dans beaucoup de cas, cette fonction était purement statutaire, cérémoniale. Il fallait qu’une société dispose d’un conseil d’au moins trois personnes, honorables et compétentes. Elles étaient là pour approuver les comptes, procéder aux nominations et poser des actes indispensables. Pour le reste, elles pouvaient très bien rester où elles voulaient, à jouer au golf ou cultiver leur jardin. Cette fonction n’a pas toujours été forcément ‘glorieuse’. L’image perdure un peu aujourd’hui, alors que le contexte est totalement différent.

A la suite des crises que l’on a connues avec les affaires Enron, Parmalat ou encore Ahold, le monde a vraiment changé. On a alors compris qu’il était indispensable d’avoir, entre les actionnaires et la direction d’une société, un organe qui fonctionne et qui est, justement, ce conseil d’administration, que l’on désigne aussi par ‘conseil de surveillance’ selon les pays (dans le régime allemand notamment, ndlr.). Son rôle est de tenir la direction à l’oeil afin qu’elle respecte bien et préserve les intérêts de l’actionnariat, sachant que ce relais de gouvernance constitue la seule voix dont dispose vraiment cet actionnariat.

A la suite de toutes ces affaires sont arrivés une série de codes, de principes, de recommandations, voire de directives au niveau européen, qui ont donné un profil moderne aux administrateurs. Au Luxembourg, on a aussi tendance à croire que le rôle d’administrateur est facile, surtout en considérant que les grosses affaires ont eu lieu ailleurs. On entend souvent le discours du ‘ce n’est pas pour nous’. Or, ce ‘ce n’est pas pour nous’ ne fonctionne pas trop bien si le Luxembourg veut se positionner en tant que centre européen, sans vouloir jouer le jeu ni tirer les leçons de ce que nos voisins ont appris. Cet argument d’isolation villageoise ne tient plus.

Dans ce profil moderne, la responsabilité des administrateurs est désormais tout autre…

«Il est vrai que lorsqu’on évoque la crise financière, plus précisément, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de gens qui sont jugés responsables: on parle parfois des agences de notation, du dépositaire, du prime broker ou encore de l’auditeur... Mais s’il y en a bien un qu’on ne loupe jamais, c’est le conseil d’administration! Il peut déléguer, mais s’il le faut, il doit savoir ouvrir l’oeil. C’est lui qui doit surveiller la banque dépositaire et être capable de séparer les bonnes des mauvaises opinions. Et si la notation d’une agence ne constitue pas un critère de décision suffisant, c’est à lui d’en trouver d’autres. Par défaut, le responsable d’une société est le conseil et la direction générale. D’ailleurs, si vous regardez le code de gouvernance en matière de fonds d’investissement (disponible sur le site de l’Alfi, www.alfi.lu, ndlr.), les huit articles commencent par la phrase ‘le conseil d’administration doit…’

Un administrateur a donc plus de devoirs que de droits?

«Clairement, oui. Depuis quelques mois, il existe une circulaire qui stipule que le risk management doit être une préoccupation incontournable et permanente du conseil d’administration. Pour ce faire, il doit évidemment comprendre ce qu’on lui dit et accepter la formation adéquate pour qu’il en soit ainsi. Le conseil doit désormais être capable de pouvoir interrompre des risques jugés anormaux, vérifier le risque d’approbation des produits et le processus d’innovation des produits. Tout cela n’existait pas il y a deux ans. En matière de rémunération, aussi, tout est plus compliqué, car on ne peut plus payer ce que l’on veut à qui l’on veut. Et il y a aussi de nouvelles responsabilités en matière d’exercice des droits de vote. En conséquence, préparer une réunion de conseil d’administration ou une assemblée générale est aussi plus complexe aujourd’hui.

Tout cela n’est-il pas de nature à décourager ceux qui voudraient devenir administrateurs?

«Oui, ça peut faire peur à certains. KPMG a fait une étude cet été, avec des sociétés cumulant 3.000 milliards d’actifs sous gestion… 50% des personnes interrogées ont répondu qu’elles seraient en effet découragées à être administrateur dans ces conditions-là. Il y a un réel problème de motivation.

A cela s’ajoute un autre souci: le marché n’accepte pas encore les rémunérations d’administrateurs en ligne avec les responsabilités de dirigeants. Si un administrateur a les mêmes compétences que celles d’un directeur général, il est normal que la somme de ses rémunérations soit celle d’un directeur général. C’est le cas pour des grandes sociétés cotées en Bourse, mais pas le cas pour bon nombre d’autres, surtout au Luxembourg.

Il y a eu, jusque récemment, la perception, par les administrateurs, que cette fonction était dangereuse, mais que les accidents étaient rares et n’arrivaient qu’aux autres. On acceptait des mandats pour faire plaisir et on ne se posait pas toutes les questions. Et si on se sentait mal à l’aise, on prenait quelques jours de congé plutôt que de démissionner.

Pourtant, aujourd’hui, il y a une bonne douzaine d’administrateurs luxembourgeois qui sont assignés devant la justice, parfois pour des sommes importantes pouvant dépasser le niveau de leur patrimoine. Ce qui était jusqu’alors théorique peut très vite devenir pratique… Dans le cas où certains actionnaires sont appelés à devenir administrateurs, ils sont soumis à des obligations contraignantes de communication de tout mouvement d’achat ou de vente de titres.

D’un côté, ne pas détenir la moindre action est une bonne chose en termes d’indépendance, mais il faut aussi reconnaître que cela est moins avantageux en termes d’implication, car on ne regarde alors pas la société de la même manière.

Comment vous positionnez-vous par rapport aux discussions sur la diversité et la parité au sein des conseils d’administration?

«C’est un vrai débat qui ne touche pas seulement la question homme/femme, mais qui concerne aussi les compétences et les expériences professionnelles. Dans un conseil, ne faut-il pas avoir, au moins, un comptable, un auditeur, un risk manager et un spécialiste en rémunération? En considérant toutes les disciplines indispensables à la bonne connaissance d’une entreprise, on arrive à au moins cinq ou six personnes…

Concernant la représentation des femmes, oui, il est clair qu’il serait bien d’avoir un nombre conséquent de femmes au sein des conseils. Nous avons ouvert le débat à l’ILA. Le code de conduite établi par la Bourse de Luxembourg contient une recommandation de diversité. Nous avons, avec la Confédération européenne des administrateurs, répondu positivement à la consultation européenne qui a été menée sur la question.

Nous estimons que le jugement et la sensibilité de la femme sur des décisions difficiles à prendre sont utiles. Par ailleurs, à partir du moment où l’on s’impose de telles contraintes dans la composition d’un conseil, on se rend compte que c’est tout le processus de sélection qui devient plus documenté et professionnalisé. On cesse alors de se passer les postes entre copains.

Quelles sont les statistiques en matière de présence de femmes dans les conseils d’administration au Luxembourg?

«On doit être à moins de 5% dans les sociétés inscrites au Registre du Commerce. Pour les sociétés cotées en Bourse, le pourcentage est très faible (lire encadré, nldr.). Pour l’heure, on se contente de faire en sorte que la recommandation du code de la Bourse soit suivie, de manière à générer un effet boule de neige. On va observer pendant quelque temps ce qui se passe et on verra ensuite s’il est nécessaire ou pas d’imposer des quotas. Le thème des quotas est discuté à Bruxelles, mais il n’est pas très populaire. Beaucoup de femmes trouvent qu’il serait dommage d’imposer un chiffre et non pas une compétence. D’un autre côté, l’expérience norvégienne montre que les quotas, ça peut marcher.»

 

Etablissement à Luxembourg - ECGRF: ça se précise

En juin 2009, l’European Corporate Governance Institute (ECGI) et l’Université du Luxembourg ont signé un accord entérinant le prochain établissement, au Grand-Duché, de l’European Corporate Governance Research Foundation (ECGRF), pour ce qui sera le premier centre mondial de compétences en termes de gouvernance d’entreprise.

«Cette nouvelle a évidemment été très bien accueillie aussi bien par la place financière que non financière, commente M. Zurstrassen. Les pouvoirs publics, eux, estiment que c’est une très bonne chose que le Luxembourg puisse accueillir un tel centre de recherches et y voit des retombées sur les différentes pratiques. Il faut savoir que 40.000 personnes viennent tous les mois sur le site Internet de l’ECGI. Ils y verront bientôt flotter le drapeau du Luxembourg.»

Le dossier a, depuis plus d’un an, suivi son petit bonhomme de chemin. Les discussions sont en voie de finalisation avec le secteur privé, de sorte que tout pourrait être bouclé dans les prochaines semaines.

«Tous les grands noms des universités sont derrière ce projet et tous acceptent de partager leurs recherches et de travailler via le futur site luxembourgeois. C’est un développement exceptionnel», se réjouit d’avance M. Zurstrassen.
J.-M. G.

 

Sociétés cotées Luxembourgeoises - Moins de 3% de femmes

Le nombre de femmes présentes dans les conseils d’administration des entreprises de droit luxembourgeois cotées en Bourse à Luxembourg et reprises dans l’indice LuxX est pour le moins infinitésimal.

Considérons les huit sociétés qui répondent à ce profil (ArcelorMittal, BIP Investment Partners, Foyer, Intercultures, Luxempart, Reinet Investments, RTL Group et SES). Sur un total de 76 administrateurs (16 pour SES, 11 pour ArcelorMittal et BIP Investment Partners, 9 pour Luxempart, 8 pour Foyer et RTL Group, 7 pour Intercultures, 6 pour Reinet Investments), on ne compte que… deux femmes: Vanisha Mittal Bhatia chez ArcelorMittal (âgée de 29 ans, elle est la fille de Lakshmi Mittal et était, précédemment, membre du conseil de Mittal Steel depuis décembre 2004); et Bridget Cosgrave chez SES (âgée de 49 ans, elle est la directrice générale de Digitaleurope et est entrée au sein du conseil de l’opérateur de satellites en avril 2008).

Statistiquement, donc, le pourcentage de femmes dans les conseils d’administration de sociétés luxembourgeoises de l’indice LuxX est de… 2,6%.