Selon Jean-François Thils, la technologie est un facteur différenciateur. (Photo: Annabelle Denham)

Selon Jean-François Thils, la technologie est un facteur différenciateur. (Photo: Annabelle Denham)

Monsieur Thils, en tant qu’acteur global dans le secteur de l’administration de fonds, comment Bank of New York Mellon utilise-t-elle la technologie pour mieux répondre aux besoins de ses clients?

«En développant des services et une plateforme qui puissent répondre au modèle développé par notre organisation. Aujourd’hui, nous sommes l’un des rares acteurs à pouvoir proposer des services à l’échelle globale pour toujours mieux servir le client local, peu importe l’endroit de la planète où il se trouve 
et le moment où il est actif. Nous avons mis en œuvre, ces dernières années, un modèle ‘follow the sun’. Par exemple, un promoteur international va pouvoir réaliser des transactions depuis les marchés asiatiques, alors qu’il est à peine passé minuit au Luxembourg. 
Dès le matin, les équipes européennes vont pouvoir prendre le relais, avec des opérations qui émanent d’Europe. Et sa journée va se terminer tard le soir, avec des activités de hedging ou de cash management qui pourront être opérées depuis les États-Unis. Pouvoir proposer une telle offre a notamment exigé de mettre en place des solutions technologiques qui tiennent la route, une plateforme applicative standardisée à laquelle on peut accéder 
de n’importe où dans le monde, permettant d’assurer un suivi optimal des opérations et de faciliter des transitions entre les acteurs. Cette plateforme pourrait être comparée à un bureau virtuel, permettant à des gens à travers le monde de travailler comme s’ils étaient les uns à côté des autres, d’opérer des transactions et d’émettre les documents qui y sont associés.

Depuis le Luxembourg, quelle est la responsabilité de l’informatique au cœur de ce modèle?

«Notre organisation globale s’appuie sur l’identification de différents centres de compétences. Le Luxembourg y est positionné comme un centre d’excellence relatif au métier d’agent de transfert pour tous les fonds luxembourgeois. Cela répond 
à une certaine logique, puisque l’administration de ces fonds doit répondre à une régulation stricte. Dès lors, nous assurons le développement de services utiles au client 
en lien avec cette activité. Notre deuxième responsabilité réside dans le sanction screening, autrement dit l’application des programmes de sanctions qui peuvent être prises par des autorités nationales et internationales diverses à l’égard d’acteurs économiques. Dans cette optique, notre rôle est de vérifier chaque jour si les noms d’individus ou d’entités à l’égard desquels des sanctions ont été prises ne figurent pas dans nos fichiers, et s’il est nécessaire, le cas échéant, de procéder à un reporting vers l’autorité requise et à un blocage de leurs avoirs. Ce monitoring répond à une obligation légale. Pour l’Europe, il nécessite plusieurs millions de validations de données chaque jour. Enfin, nous comptons aussi quelques développeurs attachés à une application qui a été créée 
par le passé au Luxembourg et qui tourne aujourd’hui depuis les États-Unis.

Quels sont les enjeux technologiques de Bank of New York Mellon aujourd’hui? Comment les développements ICT doivent-ils mieux répondre aux divers besoins 
du métier?

«Il faut aujourd’hui pouvoir répondre à énormément de besoins en lien avec l’ensemble des métiers développés par 
la banque, s’adapter aux nouvelles attentes des clients, à la manière dont évolue leur business model. L’enjeu, au niveau technologique, 
est de pouvoir travailler au développement d’une approche globale dans la manière de rendre ses services. Cela exige de simplifier 
au maximum la plateforme sur laquelle on travaille, de rendre moins complexes les livrables et les applications que l’on propose, afin notamment de faciliter leur intégration 
ou leur interfaçage avec d’autres solutions. Aujourd’hui, nous disposons d’un large portefeuille de 2.300 services et d’applications qui nous permettent de faire la différence vis-à-vis de nos clients. L’enjeu est de rendre leur utilisation flexible. Par exemple, pour ce qui concerne notre approche, nous avons décidé d’inclure dans notre offre un logiciel spécialisé de calcul des commissions pour 
les agents de transfert. Aujourd’hui, cette application peut facilement être intégrée 
à une solution package ou tourner de manière isolée. Pour chaque développement, nous réfléchissons à la manière dont peuvent s’imbriquer les éléments.

En matière d’infrastructure et de plateforme de gestion, comment cela 
a-t-il pu être rendu possible?

«Cela a nécessité de passer au préalable par des étapes de standardisation et virtualisation poussées. Aujourd’hui, l’étape suivante est d’héberger tout service adapté dans un cloud dédié. Cela fonctionne donc sur un modèle infrastructure as a service. Aujourd’hui et demain, l’enjeu 
est de permettre l’émergence d’un portail unique, à partir duquel le client pourra facilement disposer d’informations utiles, d’une vue intégrée de l’ensemble des données le concernant, mais aussi de services facilement accessibles, quel que soit l’endroit où il se trouve et le moment auquel il se connecte.

La régulation luxembourgeoise, en matière de protection des données, ne constitue-t-elle pas un frein à l’émergence d’une telle plateforme de service, ou 
plus simplement au transfert de données 
dans le développement d’une solution globale?

«Sans aucun doute. Mais il faut rela-tiviser. Ce que je viens de vous expliquer est la big picture, le projet auquel les différentes entités de la banque à travers le monde s’attèlent. D’ailleurs, jusqu’à présent, ce qui a trait au métier des agents de transfert ne s’inscrit pas encore dans le modèle que 
je viens de décrire. Au Luxembourg, et 
sur les métiers nous concernant, il est vra
que la régulation peut constituer des freins. Toutefois, je pense que cette régulation contraignante constitue aussi un avantage pour la Place. Les aspects inhérents à la protection des données sont également considérés avec attention par les acteurs du marché. Cela a encore été renforcé dernièrement, avec la fuite de données personnelles ou mal protégées qui a conduit à une vague d’indignation. Le Luxembourg, en se positionnant comme champion de la protection des données, terme que je préfère à celui de secret bancaire, a un rôle à jouer face à ces inquiétudes. Cela devrait conduire à un gain en maturité des acteurs ICT sur ces questions, qui finalement doit nous conduire 
à trouver des réponses aux freins créés 
au départ par le régulateur.

Quelle est aujourd’hui l’importance de la dimension technologique dans le soutien aux métiers de l’administration de fonds?

«Il est considérable. Si je prends la situation 
de la banque, qui compte 50.000 emplois à travers le monde, 12.000 personnes travaillent sur des aspects technologiques. C’est un ratio bien au-dessus de la normale, qui s’établit généralement entre 7 et 9% de la masse salariale. Le fait que chez nous ce rapport se situe à près de 25% démontre l’importance que nous accordons à la technologie et à la manière dont elle peut faciliter le business.

En quoi la technologie vous différencie-t-elle de vos concurrents?

«Dans le développement de nos activités, il y a plusieurs facteurs différenciateurs. Le premier n’est cependant pas la technologie, mais le modèle opérationnel global que nous avons développé. Derrière, l’apport de services technologiques permet de mieux répondre aux attentes de nos clients. C’est donc un vecteur nous permettant de convaincre plus facilement nos prospects. 
La plateforme globale sur laquelle nous nous appuyons permet de répondre à un vaste panel de besoins, en prenant en considération de nombreuses caractéristiques locales, liées à la culture ou encore aux réglementations en vigueur dans les pays. L’enjeu, pour nous, est donc d’anticiper en permanence afin de proposer des services adaptés aux besoins futurs.

Comment parvenez-vous justement à anticiper?

«Cela exige d’être en discussion permanente avec les personnes du métier, avec les clients, pour pouvoir déterminer comment se porte le marché, se rendre compte des orientations empruntées par l’industrie, évaluer les tendances… Cette discussion continue nous permet de nous assurer que notre offre technologique est bien en adéquation avec les attentes.

De quelle manière avez-vous anticipé les changements ces dernières années?

«Ces deux dernières années, nos efforts ont plus porté sur des projets réglementaires, comme Fatca ou AIFMD, que sur le développement de nouveaux services. On a un peu ralenti le rythme à ce niveau, sans pour autant relâcher la vigilance en matière de veille et d’anticipation des besoins. Ces projets réglementaires ayant abouti, et en attendant que d’autres arrivent, nous allons pouvoir nous concentrer à nouveau sur le futur.

Comment décidez-vous d’investir ou non dans un projet?

«Concernant les investissements, il faut d’abord préciser que nous devons travailler dans un cadre de restriction. Les budgets sont sous pression, ce qui nous pousse à nous réinventer en permanence et à veiller à ce que chaque investissement soit le plus profitable possible. Nous devons donc nous concentrer sur des développements technologiques très 
en ligne avec les besoins des métiers, qui pourront créer de la valeur, être gage de différenciation sur les marchés. Dans la gouvernance mise en place, nous veillons aussi à l’efficience de chaque développement, afin qu’il ne réponde pas uniquement à un besoin local, mais qu’il puisse profiter, si pas à l’ensemble du groupe, à un nombre conséquent d’acteurs. Il y a un réel enjeu 
de mutualisation et de standardisation.

Comment, d'ici, pouvez-vous donner de la voix dans ce contexte global?

«En tant que responsable luxembourgeois, au regard des différents développements qui peuvent être envisagés, j’ai la responsabilité de m’assurer que les solutions et services répondent aux exigences du cadre réglementaire luxembourgeois. En la matière, je suis en relation directe avec le CIO EMEA. Au niveau européen, ensuite, je fais partie du comité de direction relatif à la technologie pouvant servir au métier d’agent de transfert. À ce niveau, je peux faire entendre ma voix à propos des opportunités de solutions à développer et suivre ces développements afin qu’ils puissent répondre aux besoins de notre activité locale.

Comment la technologie pourra-t-elle répondre aux évolutions du métier?

«Quand j’ai commencé, notre clientèle était essentiellement retail. Et on utilisait le téléphone pour passer des ordres de transaction. Puis, la transformation digitale a commencé. Le business s’est transformé. Aujourd’hui, nous ne traitons quasi plus avec le end user, mais avec des institutionnels. La chaîne est automatisée. On est majoritairement en mode straight through processing. La tendance s’inscrit dans une forme de continuité. Le client voudra profiter de tout, tout de suite, disposer d’un accès plus rapide aux informations, venir chercher l’information plutôt que de l’attendre. Il pourra certainement voir un nouveau service mis en place en un temps record.

Que pensez-vous des ambitions du Luxembourg en matière d'ICT?


«Le secteur offre un réel support de qualité à notre activité et, en la matière, il laisse encore entrevoir de belles années à l’industrie des fonds au Luxembourg. Ensuite, vu les investissements qui ont été réalisés dans les infrastructures et la connectivité, le pays est parvenu à bien se positionner en Europe et même à travers le monde. Je pense que la volonté du gouvernement et des acteurs ICT est de nature à rendre ce développement possible.»

Parcours

De Cetrel 
à BNY Mellon
Jean-François Thils a rejoint 
la banque pour laquelle il occupe actuellement le poste de CIO 
en 1999.
À l’époque, elle ne s’appelait pas Bank 
of New York Mellon, mais RBS Trust Bank. Elle n’a été rachetée par Bank 
of New York qu’en 2000. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la banque a connu des hauts et des bas, voyant en 2001 quelque 85% de son activité partir du jour au lendemain… «Il a fallu reconstruire. Assister à la montée en puissance d’un acteur mondial a été une aventure passionnante», explique-t-il. En 2007, BNY fusionne avec Mellon Funds Services. «À partir de ce moment a débuté le développement progressif d’une offre de services cohérente à l’échelle globale, un rapprochement des diverses entités autour d’un modèle commun», poursuit le CIO, aujourd’hui âgé de 47 ans. «Cela a exigé un décloisonnement des activités pour que, tous ensemble, on puisse apporter un service à haute valeur ajoutée à nos clients à travers le monde.»  Avant de rejoindre cette aventure, Jean-François Thils, diplômé d’un baccalauréat d’analyste programmeur et d’un master en sciences économiques, a travaillé chez Cetrel, en tant que responsable de projet puis comme responsable du team interbancaire. Il connaît juste un intermède d’un an chez PanEuroLife.