Le jugement prononcé aujourd'hui est très attendu par les défenseurs des lanceurs d'alerte comme par les pourfendeurs des pratiques fiscales dommageables. (Photo : Sven Becker / archives)

Le jugement prononcé aujourd'hui est très attendu par les défenseurs des lanceurs d'alerte comme par les pourfendeurs des pratiques fiscales dommageables. (Photo : Sven Becker / archives)

Le procès LuxLeaks, le plus retentissant que la justice luxembourgeoise ait connu, s’est achevé il y a sept semaines, laissant le sort de trois hommes dans les mains des juges de la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Retour sur les moments-clés du procès.

Une «particularité» ou une faille?

Le président du tribunal, Marc Thill, rappelle les chefs d’accusation à l’encontre des trois prévenus. Antoine Deltour et Raphaël Halet sont poursuivis pour vol domestique, violation du secret professionnel, violation de secrets d’affaires, blanchiment et accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données, tandis qu’Édouard Perrin, journaliste de l’émission Cash Investigation, est accusé par le Parquet d’avoir été co-auteur ou complice des infractions de divulgation de secrets d’affaires et de violation de secret professionnel et, comme auteur, de l’infraction de blanchiment-détention des documents soustraits par Raphaël Halet.

La partie civile appelle à la barre Anita Bouvy, auditrice interne chez PwC et responsable de l’enquête qui a mené à l’identification d’Antoine Deltour puis, deux ans plus tard, de Raphaël Halet comme les sources des fuites relayées par l’émission Cash Investigation sur France 2 en juin 2012 et par l’enquête LuxLeaks de l’ICIJ en novembre 2014. Elle concède qu’Antoine Deltour, qui n’était pas censé avoir accès aux décisions fiscales anticipées, a pu les voir apparaître lors d’une recherche annexe et même les copier sur son disque dur externe en raison d’une «particularité technique de Microsoft qui n’était pas connue». D’aucuns parleront de faille informatique ubuesque au vu de la sensibilité des informations stockées par un Big 4.

L’«anticapitaliste» qui s’ignorait

Deuxième témoin: le commissaire Roger Hayard, responsable de l’enquête de la police judiciaire luxembourgeoise après la plainte de PwC contre X en juin 2012. Il qualifie Antoine Deltour d’«anticapitaliste» puisqu’il «a de la peine à constater que le commun des mortels paie des impôts quand les multinationales en paient très peu». Il est aussi «abonné aux Verts» et suit l’actualité de Mediapart «dont le fondateur Edwy Plenel est connu en France pour sortir des scandales socio-politiques».

Un débat difficile à élargir

Les avocats d’Antoine Deltour ont tenté de remettre les actes des lanceurs d’alerte dans une perspective plus européenne, voire mondiale, à travers les témoignages des eurodéputés Fabio de Masi (Gauche unitaire) et Sven Giegold (Verts), ainsi que de Tove Maria Ryding (Tax Justice Network Europe). «La publication des LuxLeaks dans les médias a été un véritable game changer», affirme Sven Giegold, détaillant les actions prises par la Commission européenne pour faire appliquer les règles en matière de rescrits. Le juge Marc Thill, qui ne veut pas que ce procès soit celui des rescrits, presse les avocats d’en terminer avec des questions jugées «peu pertinentes».

Les intentions des lanceurs d’alerte passées au crible

Les huit audiences du procès auront permis de mieux cerner la personnalité des uns et des autres alors qu’Antoine Deltour avait déjà relaté son histoire par médias et conférences interposés depuis son inculpation en décembre 2014. Posé, réfléchi, s’exprimant de manière construite avec des mots choisis, l’ancien auditeur s’avère un  «lanceur d’alerte 100% pur chimiquement», selon son avocat William Bourdon. L’histoire d’un homme qui a vu ses préoccupations de justice sociale heurtées par les pratiques observées dans son entreprise, qui a démissionné pour rejoindre une fonction publique française bien moins rémunératrice, et qui a copié «sans intention particulière» des fichiers de rescrits trouvés par hasard et finalement remis au journaliste Édouard Perrin.

Raphaël Halet, resté dans l’ombre jusqu’à l’ouverture du procès, s’est dévoilé, authentique, parfois maladroit dans son expression, impressionné par le tribunal mais au final «libéré». Lui qui était contraint au silence par un accord transactionnel passé avec son ancien employeur PwC, craignant de se voir réclamer 10 millions d’euros en cas de faux pas, a pu s’expliquer en toute liberté, revendiquant enfin son statut de lanceur d’alerte. Avec pour preuve le premier courriel envoyé à Édouard Perrin dans lequel il confie être choqué par le système des rulings auquel il a contribué à son insu. Il relate encore dans le détail le véritable système mis en place entre PwC et Marius Kohl, du bureau 6 de l’Administration des contributions directes, qui revient à une sous-traitance administrative assurée par le cabinet afin de soulager les secrétaires du fonctionnaire devant la masse de documents à traiter.

Mais pour le procureur comme pour les avocats de PwC, les deux anciens salariés n'étaient pas des lanceurs d'alerte au moment de la commission du vol de documents et ne méritent donc pas cette appellation ni l'indulgence qui en découlerait.

Quant à Édouard Perrin, il ne dévie pas de sa ligne: il a fait son travail de journaliste en récupérant des informations qui lui étaient offertes et en les relayant auprès du grand public pour mettre au jour des pratiques fiscales dommageables. Le ministère public comme le juge n’ont pas épargné l’audience de raccourcis, renvoyant le journaliste au rang de chercheur de scoop, alors même que le procureur d’État adjoint, David Lentz, le «félicite pour [son] travail acharné afin de démontrer des pratiques douteuses et [son] opiniâtreté à aller au bout des choses».

Soutien jusqu'au bout

La pression est remontée progressivement ces dernières semaines après une accalmie post-procès. Le comité Help Raph a publié chaque jour une citation marquante du procès et lançait lundi un clin d’œil à la proche fin du suspense.

Les comités de soutien ont poursuivi leur œuvre de sensibilisation sur les réseaux sociaux et ont prévu une nouvelle action ce mercredi à 14h sur le parvis de la cité judiciaire, avant le prononcé du jugement. «Pour les inculpés et pour nous, il n’y a pas d’autre issue acceptable que la relaxe», soulignent les organisateurs - le comité de solidarité avec les inculpés au Luxembourg, le comité français Support Antoine et le comité français Help Raph. «Toute condamnation serait injustifiable au regard de l’importance des informations révélées par Antoine Deltour, Raphaël Halet et Édouard Perrin pour l’intérêt général.»

Une «fan-zone» de soutien sera également installée devant l’ambassade du Luxembourg à Paris par plusieurs ONG de la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires.

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