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 (Photo: Jessica Theis)

L e secteur de la grande distribution connaît beaucoup de mouvements en ces temps de crise. Les vacances ont été marquées par la mise en faillite du groupe autrichien Dayli, qui avait repris un an plus tôt les 28 magasins Schlecker au Luxembourg. Mais ce début de saison automnale rime aussi avec l’ouverture le 25 septembre d’un deuxième Colruyt à Gasperich, en lieu et place des anciennes Messageries du livre. L’enseigne belge, cinq ans après son arrivée au Luxembourg, entend poursuivre son expansion sur le territoire et imposer sa formule, entre hard-discount et enseigne plus traditionnelle. «Notre volonté première est de proposer des marques nationales au meilleur prix, et non uniquement des marques ‘distributeur’ comme le font les hard-discounters», explique Éric Verstraete, responsable expansion de Colruyt sur la Belgique francophone et le Grand-Duché de Luxembourg. Le modèle de l’enseigne belge, qui entend concurrencer aussi bien les acteurs établis de la grande distribution que les hard-discounters, s’appuie sur une organisation logistique particulièrement bien huilée, une optimisation de l’espace et de la gestion des ressources. «L’enjeu est de faire le plus simple possible», poursuit le cadre de l’enseigne. Cela se traduit dansla présentation des produits en magasin, dans la politique de recrutement, mais aussi dans l’organisation de chaque surface et du groupe en général.

Multiplication des projets

Quitte à paraître un peu plus «cheap» qu’une enseigne traditionnelle, Colruyt fait du prix son cheval de bataille et a pris l’habitude de l’adapter à la baisse dès que quelqu’un «trouve moins cher ailleurs». D’autre part, plutôt que de proposer de multiples formats autour d’un même produit, Colruyt préfère souvent se contenter d’un seul conditionnement censé satisfaire le plus grand nombre. Il optimise de cette manière la surface utilisée.

En ouvrant en bordure du futur Ban de Gasperich, l’enseigne belge confirme sa volonté de croître au Luxembourg et risque, par là, de faire bouger certaines lignes au cœur d’un marché devenu, au fil des années, très concurrentiel. Occupé pendant de longues années par Cactus et Match, peu dérangés sur leur propre terrain, le secteur a vu il y a un peu plus d’une quinzaine d’années l’arrivée des premiers discounters. Aldi était en première ligne, suivi de Lidl, puis d’autres concurrents, que l’on qualifiera de plus traditionnels, comme Delhaize et Auchan, se sont installés. On le sait, une saine concurrence profite au consommateur. Toutefois, sur le petit marché luxembourgeois, on se demande jusqu’où elle peut se développer.

D’autant plus que chaque acteur, aujourd’hui, dit souhaiter développer de nouveaux projets. Colruyt entend ainsi rapidement ouvrir un troisième magasin. «Il a fallu un an ou deux pour fidéliser une clientèle à Mersch, commente Éric Verstraete. Mais la formule a finalement bien pris. La clientèle luxembourgeoise a tendance à papillonner, aller se servir chez l’un ou chez l’autre en fonction des promotions proposées. Il a fallu la convaincre autour de notre formule qui, justement, veut que l’on propose les meilleurs prix en permanence. Nous espérons qu’au niveau de Gasperich, où il y a plus de passage qu’à Mersch, le concept va convaincre plus rapidement. Mais, d’ores et déjà, l’ouverture de notre troisième magasin est prévue à Sanem dans le courant de l’année prochaine.»

Du côté des discounters, la tendance est aussi au développement. Après avoir agrandi son site de Bertrange et s’être installé à Pommerloch, Lidl précise avoir son lot de projets pour l’avenir. «La tendance est positiveet nous nous inscrivons dans une stratégie d’expansion, explique Julien Wathieu, porte-parole du groupe allemand pour la Belgique et le Luxembourg. La demande de la clientèle est là. Nous répondons à une attente et nous avons des projets très concrets d’ouverture au Grand-Duché.» Le responsable n’en dira pas plus.

Un poids non négligeable

En une quinzaine d’années, les enseignes hard-discount ont pris une place non négligeable sur le marché, en s’adressant à une clientèle qui ne se limite finalement pas à la portion congrue des ménages bénéficiant de faibles revenus. Au contraire, affirme-t-on du côté de la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC), «ce type de magasin mérite sa place au Luxembourg! Leur nombre montre bien que leurs parts de marché n’ont pas tendance à se réduire, bien au contraire peut-être».

Si la CLC ne dispose pas de statistiques permettant de mieux rendre compte du poids du hard-discount au niveau du marché luxembourgeois, il suffit de considérer le nombre d’enseignes présentes au Grand-Duché pour se faire une idée de leur représentation. Sur la centaine de commerces pouvant être considérés comme faisant partie de la grande distribution, une vingtaine mettent en œuvre un modèle de hard-discount. «Si la proportion au Luxembourg n’est pas encore celle que l’on peut observer en Allemagne, où le hard-discount représente 40% du marché, elle n’est pas négligeable pour autant. Présents depuis une vingtaine d’années au Luxembourg, les acteurs du hard-discount occupent désormais une placeconséquente, reconnaît Laurent Schonckert, administrateur-directeur du groupe Cactus. On constate en outre que si le prix n’est pas le seul facteur déterminant dans le choix du client entre une enseigne ou une autre, il devient de plus en plus important.»

Au Luxembourg, où le pouvoir d’achat a encore été relativement épargné, les modèles traditionnels semblent donc bien résister. Le fait que les acteurs du hard-discount se soient implantés sur le marché sur le tard, en comparaison aux marchés voisins, explique en partie que ce modèle économique ne soit pas aussi développé. Mais d’autres facteurs entrent en ligne de compte. «Ces modèles venus de Belgique ou d’Allemagne doivent répondre à des ratios de coûts très stricts. Or, au Grand-Duché, si l’on ne considère que l’aspect foncier, l’investissement nécessaire pour toute nouvelle implantation peut peser fortement sur sa rentabilité, poursuit Laurent Schonckert. Cela constitue certainement un premier frein au développement du modèle sur notre territoire, une première barrière à franchir pour tout nouveau projet d’implantation.»

Les acteurs du hard-discount en sont bien conscients. Aussi, chaque développement doit être réfléchi en conséquence. «Nous ne voulons pas être présents dans tous les villages du Luxembourg, nous nous attachons plutôt à un rayonnement important autour de nos magasins. Nous ne voulons pas miser sur un créneau de proximité, mais faire de nos supermarchés des endroits où l’on se rend. L’idée est de pouvoir, à moyen terme, ouvrir six ou sept magasins sur le marché luxembourgeois», explique Éric Verstraete. La multiplication des acteurs a été jusqu’alors possible parce que le gâteau, que tous ont à se partager, a continué à grandir, malgré une crise latente.

La démographie grand-ducale est croissante, le pouvoir d’achat a été relativement préservé. Dès lors, les professionnels de la grande distribution doivent répondre à une demande en hausse. «Chacun, par le modèle qu’il développe, tente de satisfaire les attentes de la clientèle. Si nous ne pouvons pas copier le modèle des discounters, il nous faut valoriser nos autres forces que sont la culture d’entreprise, la motivation et le service à la clientèle, assure le dirigeant du groupe Cactus. Nous voulons aussi offrir à notre clientèle un large éventail de références. Si certains clients se contentent d’une offre de trois types de fromage, d’autres souhaitent pouvoir choisir entre une centaine de références. Il en va de même pour l’ensemble des produits.»

Les entreprises de la grande distribution sont réticentes à délimiter leur clientèle, à l’inscrire dans des catégories bien définies. En 20 ans, les modes de consommation et le comportement de la clientèle ont d’ailleurs fortement évolué. Elle est loin cette époque où les aficionados de Match s’opposaient aux adeptes de Cactus. L’offre s’est élargie au grand bonheur d’une clientèle qui se rend au gré de ses besoins et de ses humeurs dans n’importe quelle enseigne: Cactus, Match, Delhaize, Auchan, Cora, Lidl, Aldi, Colruyt ou encore auprès d’acteurs du cru comme les enseignes du groupe Pall Center. Et si des habitudes s’installent, elles ne durent pas forcément. Le client peut très bien aller chercher ses biens de consommation de base chez un discounter et choisir son vin dans une enseigne proposant une sélection plus qualitative. Difficile d’établir un comportement type.

Convergences

Dès lors, chacune des enseignes entend pouvoir parler au plus grand nombre. «L’enjeu est de pouvoir toucher tout le monde, en développant notre offre. Aujourd’hui, par exemple, nous voulons nous positionner en tant que spécialistes du frais, explique Julien Wathieu, chez Lidl. Au concept de hard-discount, nous souhaitons aujourd’hui ajouter celui de ‘smart-discount’. Nos nouveaux magasins présentent des assortiments plus grands, sont plus spacieux. Il faut pouvoir plaire autrement à la clientèle tout en continuant à proposer des produits de qualité à travers nos marques ‘distributeur’».

Alors que les discounters n’hésitent pas à intégrer quelques marques nationales pour répondre aux spécificités du marché local – Colruyt a notamment ouvert son premier entrepôt au Luxembourg à cette fin –, les enseignes traditionnelles ont développé leurs propres marques. Delhaize présente une gamme de produits «premiers prix» sous le label «365». Il y a quelques années, autre exemple, Cactus a développé la marque «Winny». «Notre volonté n’est pas de concurrencer le hard-discount sur son propre terrain, mais de répondre à des besoins de clients qui viennent chez nous pour tout autre chose et qui pourraient aussi trouver leur compte via ces produits», assure Laurent Schonckert.

Loin de dénigrer le hard-discount, bien au contraire, les historiques de la grande distribution doivent s’adapter, développer d’autres stratégies. En l’occurrence, Cactus a décidé de renforcer sa proximité en développant de nouvelles implantations de moyenne envergure, plus décentralisées, comme à Windhof par exemple. «Au-delà de nos deux hypermarchés à Bascharage et à Bertrange avec la Belle Étoile, ces magasins de plus petite envergure parviennent à proposer un nombre conséquent de références, sans pour autant accueillir toute la gamme de produits. Le public, en tout cas, semble répondre favorablement, explique Laurent Schonckert. En outre, il faut rester vigilant et ne pas sous-estimer les acteurs du hard-discount. Ils évoluent, nous devons nous aussi évoluer.»

Pas de doute, la multiplication des acteurs et l’arrivée de nouveaux modèles commerciaux obligent les uns et les autres à se remettre en question. Et la fin des drogueries de proximité Dayli (les quelque 110 employés attendaient toujours un repreneur à l’heure où nous clôturions cette édition) donne aussi matière à réflexion. Le Luxembourg n’est pas en cause, mais la question des limites d’un modèle (trop) discount est clairement posée.

En outre, s\\'il est clair que le marché ne grandira pas éternellement, il reste difficile de déterminer le moment où il arrivera à saturation. Mais à ce moment, certains pourront courir le risque de subir le revers d’un développement trop rapide, eu égard à la taille du Grand-Duché.

Emploi

Chacun sa politique salariale

La grande distribution au Luxembourg, c’est donc une centaine de magasins répartis sur le territoire. Un nombre qui ne cesse de gonfler au rythme des ouvertures. Rien qu’au niveau de Gasperich, les consommateurs auront bientôt le choix entre Colruyt et Auchan, qui construit là un nouveau site. Ces développements ont notamment pour avantage de générer de l’emploi. Car il en faut du personnel pour gérer, organiser, entretenir ces magasins et pour servir la clientèle. En matière d’emploi, chaque enseigne développe sa propre politique salariale. Au niveau de Colruyt, par exemple, on promeut la plus grande polyvalence dans le chef de chaque membre du personnel. Chacun doit pouvoir tout faire. Ce qui permet de fonctionner en s’appuyant sur une équipe relativement réduite. Au niveau des enseignes plus traditionnelles, où on veut miser sur un service plus qualitatif, il faut recourir à un personnel plus spécialisé. Pour son ouverture à Gasperich, Colruyt va s’appuyer sur une équipe de 20 personnes. Celle-ci devrait grandir avec le chiffre d’affaires du magasin. Lidl, de son côté, pour faire fonctionner ses sept magasins sur le territoire grand-ducal, s’appuie sur une équipe de 90 collaborateurs.