Concentrer les compétences et les services constitue le leitmotiv des réflexions devant mener au nouveau plan hospitalier. (Photo : Christophe Olinger)

Concentrer les compétences et les services constitue le leitmotiv des réflexions devant mener au nouveau plan hospitalier. (Photo : Christophe Olinger)

Depuis le vote, en décembre 2010, de la loi portant réforme du système de soins de santé au Luxembourg, les réflexions et les consultations vont bon train quant à la mise en œuvre d’un nouveau plan hospitalier. Il doit prendre la relève de celui en vigueur depuis 2009, qui avait été établi pour cinq ans.

Ce plan, qui détaille l’organisation des structures hospitalières nationales, prévoit un total de 2.300 lits pour l’ensemble des trois régions de santé. Cela correspond aujourd’hui à environ quatre lits pour 1.000 habitants. Chaque structure hospitalière dispose d’un nombre de lits « alloué » par l’État, subventionné par la Caisse nationale de santé.

Qu’en sera-t-il dans le prochain plan sur lequel planche actuellement le ministre de la Santé Mars Di Bartolomeo ? Et quel en sera l’impact sur le budget global de la santé ? Ce sont évidemment tous les enjeux des réflexions actuelles, auxquelles a participé le bureau de conseil suisse Lenz Beratungen (à Zürich).

« Jusqu’à présent, le système luxembourgeois est piloté par l’offre, analyse le Dr Max J. Lenz, directeur de ce bureau de conseil. Avec le Plan hospitalier, le système se dote des premiers instruments de pilotage qui lui permettront de s’orienter davantage vers une gestion fondée sur les résultats. »

Même si tous les acteurs ont pour leitmotiv la qualité des soins de santé apportés aux patients, et une évidente mission d’utilité publique, une certaine concurrence se fait jour entre les différents acteurs désireux de se positionner au mieux lorsque sonnera l’heure de la répartition formelle des compétences, selon le principe du « Pas tout partout » exprimé par le ministre de la Santé, fervent partisan d’une concentration des compétences et des services.

Cette « concurrence » est, en outre, quelque peu exacerbée par la nature même des acteurs concernés. Car même si elle ne dit pas son nom, cette rivalité renvoie, d’une certaine façon, à la dualité Église-État, chacun jouant un rôle clé dans le secteur hospitalier.

Historiquement, les initiatives privées, qu’elles soient congréganistes ou laïques, se sont fortement développées entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, en marge de l’essor industriel du pays porté par une sidérurgie flamboyante. La Clinique d’Eich fut fondée en 1873 à l’initiative de la Fondation Norbert Metz. Les Sœurs Ste Élisabeth, St François ou encore Ste Thérèse, y allèrent également de leurs établissements. La clinique Ste Thérèse à Luxembourg fut fondée en 1924 et celle de Ste Marie à Esch en 1927.

Mais toutes ces petites structures éparses auraient été vouées à une disparition pure et simple sans la décision prise, dans les années 90, d’intensifier la coopération entre elles. En 1992 fut ainsi fondée la Fondation François-Elisabeth, regroupant les Élisabéthaines et les Franciscaines. Une première étape qui aboutit, quelques années plus tard (en 2003), à la création de l’Hôpital Kirchberg. Un projet auquel ne se joignirent pas, en leur temps, les Carmélites de Ste Thérèse, mais qui prit, à son bord, l’éminente Clinique privée du Dr Bohler.

L’Église reprend la main 

Porté par le vicaire général de l’époque, Mathias Schiltz, qui se pencha sur le sujet dès le début des années 80, ce mouvement de concentration a repris un élan nouveau, en même temps que l’archevêché a pris un coup de jeune. En octobre 2011, Jean-Claude Hollerich, 54 ans, a succédé à Fernand Franck, de 24 ans son aîné. Et Erny Gillen, alors âgé de 51 ans, qui suivait de près ce dossier en tant que directeur de Caritas Luxembourg, a pris la suite de M. Schiltz (qui avait 78 ans) aux fonctions de vicaire général.

Simple coïncidence de date, avec l’exigence économique de restructurer l’existant, ou réelle volonté de repositionner plus fortement l’institution religieuse dans le paysage luxembourgeois ? On peut poser la question, à l’heure où les relations entre l’Église et l’État doivent faire l’objet d’un débat parlementaire consécutif au rapport d’experts publié en octobre dernier. Toujours est-il que, depuis le printemps 2012, la réflexion « clinique » est engagée, à laquelle, cette fois, est fortement associée la ZithaKlinik.

Le 17 décembre dernier, le tout a été formalisé au travers d’un accord prévoyant le regroupement avec l’Hôpital Kirchberg (les deux institutions comptent quelque 2.200 employés et 250 médecins). « Il ne s’agit pas d’une coopération ou d’un rapprochement, mais bel et bien d’une fusion », explique Frank Wagener, qui, à côté de ses fonctions de président du conseil d’administration de la Bil, préside aussi celui de l’Hôpital Kirchberg et, à ce titre, le comité de pilotage qui planche sur le dossier. « Le but n’est pas de réduire les effectifs ou de tout regrouper sur un seul site. Nous allons garder les sites existants, mais il y aura des regroupements ou des transferts d’activités entre eux. Il ne s’agit pas d’un memorandum of understanding ou d’une lettre d’intention, mais bel et bien d’un contrat que nous nous engageons à remplir. »

D’ici à l’automne prochain, les différents groupes de travail devront avoir défini le contour exact de ce « nouveau » centre hospitalier : sa structure juridique, l’affectation des spécialités en fonction des sites, même si, pour certains, il n’y a pas de surprise à attendre (la Clinique Bohler continuera évidemment d’exercer dans le domaine de la néonatologie, par exemple).

Soucis d’efficacité

Les autres grandes structures hospitalières, publiques, ne sont évidemment pas en reste, portées par une histoire beaucoup plus récente. Le rôle de l’État en matière hospitalière ne s’est vraiment dessiné qu’à partir de la fin des années 60. Un rapport commandé à deux médecins de l’OMS (Les Drs Aujaleu et Rösch) insista sur le rôle à jouer par l’État en matière d’organisation de la santé, des secours pré-hospitaliers ou encore de la planification hospitalière.

Il en découla la loi du 10 décembre 1975 qui créa le Centre Hospitalier de Luxembourg, avec une participation financière étatique de 60 %. L’établissement regroupa sous le même toit la maternité Grande-Duchesse Charlotte, créée en 1946 ; la Clinique pédiatrique (fondation Grand-Duc Jean et Grande-Duchesse Joséphine Charlotte), ouverte en 1960 et le tout nouvel hôpital municipal.

Dans la foulée fut adoptée la loi du 29 août 1976 portant planification et organisation hospitalières. À cette époque, le Luxembourg était le seul pays de ce qui s’appelait encore la CEE à ne pas disposer d’une législation hospitalière récente, les textes remontant à plus d’un siècle…

« Mais la législation de 1976 sur les hôpitaux est restée quasi lettre morte », rappelait, en 2010, Roger Consbruck, conseiller de gouvernement au ministère de la Santé, dans le cadre d’un exposé sur l’histoire des hôpitaux au Luxembourg. «  Les établissements se méfiaient de l’intervention de l’État et leurs missions n’étaient pas claires. »

Depuis, chacun a œuvré dans son coin pour gagner en efficacité. Dès 2004, la clinique d’Eich fut intégrée dans le périmètre du CHL. Le Centre Hospitalier, fort aujourd’hui de plus de 2.000 employés, vit, pour l’heure, au rythme de son plan stratégique 2008-2015. Une nouvelle maternité est en train de naître sur le site historique de Strassen ; le projet de modernisation partielle de l’Hôpital municipal a été étudié et l’extension de l’Institut national de chirurgie cardiaque et cardiologie interventionnel a été planifiée… Et dans le descriptif des axes stratégiques généraux apparaît, noir sur blanc, l’évolution économique dans la prise en compte des patients, puisqu’il est question d’« améliorer les relations et la satisfaction des clients en prenant en considération leurs attentes ».

Plus au sud, à Esch, le Centre hospitalier Émile Mayrisch, qui regroupe près de 1.900 salariés et 250 médecins, est, lui aussi, engagé dans un processus stratégique à l’horizon 2020. Et lui aussi est déjà le fruit de rapprochements stratégiques. En 2004, l’Hôpital de la Ville d’Esch-sur-Alzette (créé en 1924 à l’initiative de la ville, de l’Arbed et de la Société métallurgique des terres-rouges), avait fusionné avec l’Hôpital de la Ville de Dudelange (1901). Une alliance à laquelle l’Hôpital Princesse Marie-Astrid de Niederkorn (1981) avait ensuite pris part en 2008.

Quand le patient devient client

Le projet « CHEM 2020 » va se traduire par la création d’un nouveau centre hospitalier à Esch, sur le site « Elsebrich ». C’est le scénario retenu parmi les sept proposés par une étude menée en 2009 par des experts luxembourgeois associés aux Suisses du bureau Lenz. « Mais nous conserverons tout de même des services de médecine de proximité sur les sites existants, afin de pouvoir mieux nous spécialiser », indique Lydia Mutsch, bourgmestre d’Esch-sur-Alzette et présidente du conseil d’administration du CHEM.

Un projet chiffré à 400 millions d’euros, « mais qui va permettre une réduction des coûts estimée à 15 % par an sur 20 ans, soit un total de 900 millions d’euros, indique Mme Mutsch. Sans parler des autres aspects, comme des soins plus personnalisés, une plus grande sécurité pour le patient et une meilleure prise en charge, un cadre meilleur pour les personnels ou encore des meilleurs bilans énergétiques. Cela va créer une réelle plus-value pour la région transfrontalière. »

Avant la fin de l’année, il est prévu – ou tout du moins espéré – de pouvoir lancer le concours d’architectes pour l’élaboration du futur bâtiment. « Il s’agira d’un bâtiment très moderne, presque passif, inspiré du nouvel hôpital de Maastricht », précise la bourgmestre d’Esch.

Toutes les cartes, ou presque, sont désormais dans les mains du ministre Di Bartolomeo, pour mettre en musique le prochain plan hospitalier, qui attribuera les compétences et les spécialisations de chacun. Avec la promesse que structures privées et publiques seront traitées sur un même pied d’égalité.

« Il faut qu’il y ait une offre privée qui soit forte au Luxembourg, complète M. Wagener, qui mesure lui aussi parfaitement la mutation économique des utilisateurs des structures de santé. Le patient, qui est aussi un client, doit avoir le choix de se tourner vers le public ou le privé. Dans la structure que nous préparons, tous les médecins seront indépendants, ce qui n’est pas le cas dans les autres infrastructures, où il y a un mix avec le statut de fonctionnaires. »

L’enveloppe budgétaire à allouer à ce projet de fusion est en voie de finalisation. Mais plus rien ne devrait être désormais officiellement communiqué avant l’automne prochain. « Tout le monde se positionne dans un contexte plus difficile aujourd’hui, indique M. Wagener. Tous les acteurs sont conscients que le cadre budgétaire va se rétrécir. Il faut donc gagner en efficience. Ce qui n’est que ‘nice to have’ devra être éliminé tout ou tard… »