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Erich François. (Photo:Andrés Lejona) 

Le 3 mai prochain, 8.000 coureurs prendront le départ du 3e ING europe-marathon Luxembourg. La course nocturne mobilisera quelque 1.200 person-nes et 40 groupes de samba totalisant 500 musi-ciens, pour un coût estimé à 1,3 million d’euros. Fruit de la rencontre entre un entrepreneur pluri-actif - mais néophyte en la matière - et une banque de détail néerlandaise à la recherche d’un meilleur ancrage local, le projet a fait son chemin, suivi par une vingtaine de partenaires et une soixantaine d’entreprises.

Agé de 42 ans, originaire de Bitburg en Allemagne, Erich François est photographe de profession, dans les domaines industriel et publicitaire. En 1988, il fonde sa propre société, en marge des études d’histoire de l’art qu’il poursuit à l’université de Trèves. Ce qui ne l’empêche pas, à l’époque, de s’intéresser par ailleurs aux éoliennes et à l’énergie propre. Au point de diriger actuellement sept entreprises actives dans le secteur et de posséder 18 éoliennes.

Quel lien entre la photographie, l’énergie renouvelable et le marathon? «Je m’ennuie très rapidement, confie-t-il. J’ai toujours besoin d’entreprendre quelque chose de nouveau. C’est pourquoi j’ai des activités professionnelles tellement différentes». Cependant, un principe de base demeure: «Vous avez toujours besoin de personnes avec qui pouvoir travailler en équipe. Et vous devez toujours trouver des gens qui vous paient pour ce que vous faites. Pour moi, il s’agit toujours de créer quelque chose». Néanmoins, de toutes ses occupations présentes et futures, la photographie reste et restera la principale.

L’idée d’organiser des marathons lui vient en 2003 à Cologne, sur les bords du Rhin, devant une Kölsch, la bière locale. Erich François cherchait un moyen de développer son activité photographique au Grand-Duché, un marché réputé dans ce domaine très fermé. Luxembourg restait en outre la seule capitale européenne qui n’avait pas son marathon: la niche est trouvée. Le concept est rapidement rédigé dans le train, puis envoyé à ING Luxembourg: la banque néerlandaise s’étant spécialisée dans le sponsoring de marathons à travers le monde, dont celui de New York, le plus prestigieux d’entre tous.

Une semaine de battement et cinq minutes d’entretien plus tard, il reçoit une enveloppe de 200.000 euros de l’institution financière. «ING était à la recherche d’un grand événement sportif à sponsoriser au Luxembourg, se souvient-il. Leur problème était leur manque de visibilité et d’y être peu connus. Maintenant tout le monde l’appelle le marathon ING».

Départ difficile

En l’espace de deux éditions, la course devient le plus grand événement sportif du pays. Jusque dans un rayon de 300 kilomètres. Au-delà, seules Mayence et Reims alignent chacune 8.000 coureurs. En comparaison, Bruxelles ne comptait l’année dernière que 4.000 participants.

8.000 inscrits! Un nombre d’ailleurs volontairement limité. «Nous voulons garder une qualité sportive et événementielle aussi élevée que possible. Bien que nous puissions aligner 10.000 participants d’ici quelques années, nous préférons néanmoins lui conférer un caractère très exclusif et luxueux», relativise-t-il. A l’exemple des douches mises à la disposition des coureurs à l’arrivée: la Coque compte 150 douches pour les coureurs. A Berlin, Erich François rappelle qu’il y 40.000 coureurs qui se partagent seulement 100 douches.

Les débuts de l’aventure marathonienne sont néanmoins difficiles. En 2003, il crée step by step, la société organisatrice de l’épreuve et s’installe dans les locaux de Luxair, au Findel, sur le site de Cargolux.

Il lui aura fallu ainsi trois ans avant de donner, en 2006, le départ du premier marathon. Une longue période qu’il nuance cependant: «généralement un entrepreneur ne gagne pas d’argent les deux premières années; il faut attendre la troisième année pour commencer vraiment à enregistrer des bénéfices. A la première édition, je n’en ai pas fait. Je savais pertinemment qu’il faudrait autant de temps», affirme-t-il.

Du temps pour se faire connaître. «C’était très dur au début, surtout parce que je n’étais pas Luxembourgeois. Mais j’ai découvert que c’était là mon plus grand avantage, car je n’étais lié et ne devais rien à personne. J’avais donc ce privilège de pouvoir dire non et de véritablement développer mon projet».

Du temps passé aussi à trouver et convaincre des sponsors: «Personne ne vous connaît, ni ne croit en vous». Pas même les responsables de la Ville de Luxembourg qui, lors de la première entrevue, ne le prennent pas au sérieux. Sauf ING Luxembourg: «ING était toutefois nerveuse, lors de cette première édition. Mais nous avons su garder toute l’organisation sous contrôle», décrit-il.

step by step emploie aujourd’hui cinq personnes et trois collaborateurs free-lance. Toute l’année: «L’organisation d’un marathon, c’est une masse de travail qui vous occupe tous les jours de l’année, du matin au soir, confie-t-il. Par exemple, vous avez 8.000 participants, chacun d’entre eux vous pose une question. Et vous devez répondre à 8.000 requêtes. Si vous omettez de répondre à l’une d’entre elles, vous risquez de retrouver votre nom mentionné sur un forum Internet quelque part dans le monde, et d’être catalogué comme peu crédible».

Le bouclage du parcours est une autre grande source de sueurs froides: cette année encore, quatre kilomètres de course ont dû être coupés, du fait de travaux à la hauteur du Bricherhaff, obligeant les organisateurs à revoir le trajet. «Changer le parcours signifie repartir de zéro. Car vous devez à nouveau exactement trouver 42,195 kilomètres linéaires de distance, sachant que votre départ et votre arrivée sont déjà prédéterminés et se trouvent à la Coque», explique Erich François.

Un tracé qui doit en outre respecter des considérations de circulation et de sécurité, sans gêner le trafic durant plus de deux heures de suite au sein des quartiers résidentiels. «Le parcours a toujours la forme d’une main: il traverse le plateau du Kirchberg, monte et redescend au -Limpertsberg, passe par Merl, Belair et par le quartier de la gare, au centre-ville puis revient au -Kirchberg. Avec tout autour la circulation qui continue à se déployer», détaille-t-il.

Une course capitale

L’itinéraire varie chaque année de quelques mètres, dicté par les événements: «Il y a toujours des travaux en cours; si le quartier Belair devait être interdit au marathon, nous aurions un sérieux problème», prévient-il. Des changements qui déplaisent en outre aux coureurs: évoluer d’une année à l’autre sur le même tracé leur permettant de mesurer le temps et les progrès effectués. «C’est toujours dur pour moi d’estimer le temps du marathon avant le départ, et par conséquent d’attirer les athlètes de haut niveau», reconnaît l’organisateur.

Cette année, quelque 52.000 euros de prix seront attribués pour un temps minimum défini. Un timing mal estimé peut générer des pertes importantes. Changer le trajet peut ainsi se révéler coûteux: à l’exemple des organisateurs du marathon de Francfort qui ont perdu 80.000 euros pour cinq secondes; les coureurs s’étant avérés plus rapides que prévu.

Aussi, en coulisses, l’organisation et la logistique de l’événement relèvent toute l’année du parcours du combattant: «Vous devez parler à toutes les administrations: Ponts et Chaussées, la Police, Circulation, services du SAMU... Préparer et mettre en place le Runner´s Lounge... Organiser la venue des musiciens. Mettre le jour-même les publicités sur toutes les barrières qui jalonnent ces 42,195 kilomètres, puis les retirer après la course, énumère-t-il. Le plus grand obstacle est et a toujours été de convaincre les gens que nous faisons quelque chose qui est important pour le Luxembourg, qui apporte de l’argent au pays et qui sera un succès».

Pourquoi avoir choisi la ville de Luxembourg pour organiser un tel événement et non pas une cité plus grande, en Allemagne notamment? «Luxembourg est une capitale. Ce qui rend l’épreuve intéressante: beaucoup de coureurs collectent les capitales. Celle-ci demeurait un point vide sur leur carte», affirme Erich François. Le marathon de Luxembourg compte en outre d’autres atouts. «Une chose était claire dès le début: le marathon de Luxembourg ne peut avoir le parcours le plus rapide. En tant que photographe, je souhaitais dès le début avoir un très beau parcours. Et que les gens aient une très belle image de l’une des plus belles villes en Europe. Je veux que les gens courent ici et reviennent ensuite pour visiter le pays».

Autre spécificité locale, la course est nocturne. «Tous les autres marathons débutent à 10 heures du matin, explique-t-il. Vous trouvez peu de monde dans la rue à cette heure-ci. Si on fait venir les gens qui, comme au Luxembourg, aiment sortir et être dans la rue, on peut les amener à regarder le marathon et en même temps organiser la fête dans la rue. Et par là-même intéresser les jeunes au marathon».

Le pari s’est révélé gagnant: selon un sondage, mené par step by step auprès de 2.000 participants, 37% d’entre eux souhaitent retourner au Luxembourg pour visiter le pays uniquement.

L’année dernière ils ont accouru de 64 pays. Pour Erich François, «l’industrie de la course est une industrie qui voyage véritablement: les coureurs de marathon vont à New York, puis à Majorque, ensuite à Prague...».

Retombées multiples

Les retombées commerciales s’avèrent par ailleurs importantes: selon ce dernier, les visiteurs et coureurs étrangers qui se rendent au Grand-Duché, durant ce week-end de l’Ascension à l’occasion de ce marathon, dépenseraient quelque deux millions d’euros en hébergement, repas, shopping...

En deux saisons, le concept simplissime, universel et apolitique est devenu un formidable vecteur social économique, marketing et social.«Une fois que les gens commencent à parler du marathon et à y penser, l’épreuve sportive devient partie intégrante de leur vie», remarque-t-il.

Economiquement, l’événement procure un effet multiplicateur fort, en termes d’opportunités d’affaires. Tout d’abord pour la vingtaine de sponsors cette année. Tous étant du moins censés faire des bénéfices à cette occasion. Les sociétés désirant soutenir l’événement doivent en effet être en mesure de démontrer qu’elles feront des affaires. Dans le cas contraire, elles ne seront pas retenues. «Si tu as des idées pour faire de l’argent de l’événement, je te prends comme sponsor. Si tu n’as pas d’idées, je ne souhaite pas ta participation. Je ne veux pas de donation, mais je veux que tu gagnes de l’argent, pour être à nouveau partenaire l’année suivante, résume ainsi l’organisateur. Le sponsoring n’est pas une activité de donation, c’est du business: c’est ce que je veux que les sponsors comprennent!». Par ailleurs, des opérations telles Télévie, Runner´s Lounge et Run for Success (voir encadré ci-dessous) assurent aux entreprises une présence sur l’événement, et une publicité auprès de leurs clients et employés. L’impact politique pourrait être tout aussi important, Erich François étant presque un groupe de pression à lui tout seul. «Je me demande souvent si le marathon a un poids. Je ne sais pas. Nous verrons certainement, aux prochaines élections, si j’ai de nouveaux amis. Toutefois, je ne pense pas que nous ayons un poids politique quelconque. Certainement plus sur le thème de la santé», indique-t-il. Et de rappeler que l’inactivité sportive coûterait quelque 30 euros par an et par personne en dépenses de sécurité sociale, au sein de l’Union européenne. «Le marathon contribue donc à réduire ces charges de santé incombant à la communauté», se félicite-t-il.

En termes d’organisation même, le budget global de l’épreuve se monte à 1,3 million d’euros et inclut tous les coûts (heures prestées, services de la Ville de Luxembourg...) dédiés à l’organisation de l’événement. Pour sa part, ING Luxembourg apporte une contribution fixée cette année à 210.000 euros, en plus des autres frais que la banque consacre à l’événement et à sa propre publicité. «Pour faire du bon sponsoring, une entreprise doit affecter la même somme à son propre financement publicitaire». Interrogé par contre sur les résultats de step by step, son fondateur ne souhaite pas communiquer sur le sujet.

Quel bilan tire-t-il néanmoins de ces cinq années d’existence dont trois d’organisation effective? «Le bébé a bien grandi: si nous réussissons notre marathon cette année, je pense que nous serons bien implantés».

Maintenant que l’affaire s’avère rodée et que les portes du Grand-Duché lui sont ouvertes, quelles nouvelles activités envisage-t-il? «Un événement plus grand que le marathon, à travers la société step by step. Luxembourg étant très petit, on n’a pas besoin de beaucoup de contacts pour organiser des choses extraordinaires. Le Grand-Duché est un pays qui se prête parfaitement au sport. Pour ma part, je n’ai jamais entrepris une activité que je n’aimais pas. Ce sera donc quelque chose que j’aime».

 

 

Evénementiel: Autour de la course

Le marathon est un support propice aux événements extra-sportifs.Runner’s Lounge et Run for Success figurent cette année parmi les principales manifestations connexes.

Dubusiness à la philanthropie, en passant par la musique et la gestion des ressources humaines, les thèmes porteurs gravitant de près ou de loin autour de la course ne manquent pas, pour qui a la fibre des affaires. «L’objectif est de faire grandir l’événement, de le rendre plus important, et de pouvoir en retirer des revenus, qui seront directement réinvestis dans le marathon», indique Erich François, le directeur de step by step, la société organisatrice du marathon ING.

Le plus exclusif d’entre eux, le Runner´s Lounge, donne la chance aux sociétés non sponsors du marathon de participer indirectement à l’événement. Dans l’enceinte de la Coque, une zone leur est ainsi réservée pour leur permettre d’inviter ou de rencontrer clients, partenaires et amis. Le concept avait, l’année dernière, fait venir quelque 600.000 personnes.

Un autre événement, destiné aussi aux entreprises, voit cette année le jour. Son objectif est de motiver leur personnel et de «booster» leur image de marque, cette fois en récompensant l’entreprise la plus en forme lors du marathon, sur la base du nombre d’employés participants, et la plus grande distance parcourue, rapportés à l’effectif total. «Les entreprises constituent l’épine dorsale du marathon, commente Erich François. A elles seules, elles alignent quelque 2.000 coureurs». Pour Rik Vandenberghe d’ING Luxembourg, «Run for Success récompense l’entreprise la plus solidaire. Tant celle-ci que ses employés s’investissent dans cette course, créant ainsi une émulation, une certaine fierté et un esprit d’équipe». Le produit de ces événements est pour le moment directement réinvesti dans le marathon: «pour payer les musiciens, les cinq à dix athlètes de haut niveau que nous avons fait venir, avec comme finalité de rendre l’événement encore plus important et faire à l’avenir des bénéfices», explique son organisateur.