L’histoire peut paraître banale, mais pourrait bien provoquer des remous dans un pays aussi truffé de stations-service que l’est le Grand-Duché. Tout est parti d’une boulangerie-pâtisserie située à l’entrée de Differdange et qui avait pour clients habituels les salariés des industries environnantes, d’ArcelorMittal à Chronospan. Des salariés heureux de trouver des croissants frais avant de prendre leur tranche matinale à 6h ou après la fin du travail en pleine nuit. «Les ventes tôt le matin payaient un salaire», explique Me Jean-Paul Noesen, avocat du boulanger. «Mon client, qui travaille à partir de 3h le matin, pouvait ouvrir à ces horaires jusqu’à ce que la loi soit réformée et réserve ce droit aux stations-service.»
La loi du 21 juillet 2012 a en effet réformé celle du 19 juin 1995 qui prévoyait une dérogation au bénéfice des petits commerces de détail. «Ils pouvaient ouvrir à des heures insolites afin de se créer une niche face aux grandes enseignes», rappelle Me Noesen. Une dérogation abolie en 2012, laissant de ce fait le monopole aux stations-service qui, elles, sont exclues du champ d’application de la loi de 1995 et sont caractérisées par des horaires libres.
Le boulanger ne peut donc plus ouvrir avant 6h alors que plusieurs stations-service aux alentours étaient autorisées à ouvrir boutique et à vendre des viennoiseries dès 5h. Une situation jugée discriminatoire par le boulanger qui a sollicité une dérogation auprès du ministère de l’Économie en juin 2015, dérogation sèchement refusée au titre que les boulangeries-pâtisseries font déjà l’objet d’un régime préférentiel. Coriace, le boulanger differdangeois saisit le tribunal administratif afin de contester la décision qui lui est ainsi opposée.
Le monopole des stations-service jugé discriminatoire et infondé
Et les juges accueillent favorablement son recours, reconnaissant que la suppression pure et simple d’un article de la loi de 1995 a placé le boulanger devant une obligation d’horaires qui n’est pas imposée aux stations-service concurrentes. Suivant la suggestion de Me Noesen, le tribunal administratif a donc formulé dans sa décision du 27 octobre 2016 une question préjudicielle à l’intention de la Cour constitutionnelle quant à la constitutionnalité d’une telle différence de régime entre deux enseignes vendant le même produit.
Une nouvelle occasion pour la Cour constitutionnelle d’étoffer sa jurisprudence sur le principe d’égalité devant la loi consacrée par l’article 10 de la Constitution. Considérant que la «disparité» entre les boulangeries-pâtisseries astreintes à des heures de fermeture définies et les stations-service autorisées à ouvrir 24h/24h «ne procède pas de critères objectifs et n’est pas rationnellement justifiée», la Cour constitutionnelle conclut que les dispositions de la loi de 2012 ne sont pas conformes à l’article 10 bis de la Constitution puisqu’elles créent une discrimination en termes d’égalité de traitement.
L’arrêt de la Cour constitutionnelle vient d’être publié au Journal officiel et a donc force de chose jugée. Au législateur de revoir sa copie pour effacer la discrimination introduite en faveur des enseignes pétrolières – même si aucun délai ne lui est pour l’instant, ce point faisant l’objet de réflexions dans le cadre de la rédaction de la nouvelle Constitution.