Les auditeurs du Kirchberg soulignent les efforts et progrès de la CJUE en matière de traitement des affaires, tout en suggérant plusieurs pistes d’amélioration. (Photo: Sébastien Goossens / archives)

Les auditeurs du Kirchberg soulignent les efforts et progrès de la CJUE en matière de traitement des affaires, tout en suggérant plusieurs pistes d’amélioration. (Photo: Sébastien Goossens / archives)

La Cour des comptes européenne a publié mardi son rapport spécial «Examen de la performance en matière de gestion des affaires à la Cour de justice de l’Union européenne», élaboré par la chambre V sous la présidence de Lazaros Lazarou. Un rapport qui entre dans la mission des auditeurs européens chargés d’optimiser la gestion des domaines budgétaires spécifiques au sein des institutions européennes.

«Notre examen visait à évaluer la performance de son processus de gestion des affaires et, plus précisément, à vérifier si les procédures en place favorisaient un traitement efficient des affaires introduites et si les délais de résolution de celles-ci pouvaient être améliorés», introduit le rapport, qui s’est donc intéressé aux deux juridictions de la CJUE: le tribunal de l’UE, notamment compétent pour toiser les recours à l’encontre des institutions ou organismes de l’UE, les recours des États membres contre une décision du Conseil ou de la Commission; et la Cour de justice, qui examine les renvois préjudiciels des juridictions nationales concernant une question de droit européen et qui agit également comme deuxième instance pour les décisions du tribunal de l’UE.

Toute incapacité de la CJUE à statuer dans un délai raisonnable peut entraîner des frais considérables pour les parties en cause.

Cour des comptes européenne

Le rapport intervient dans le sillage de la réforme de la structure de la CJUE entamée en 2015, qui a notamment conduit à la reprise des compétences du tribunal de la fonction publique par le tribunal de l’UE en septembre 2016, ainsi qu’au renforcement des effectifs. Le tribunal comptera ainsi 56 juges en 2019 contre 45 actuellement, et la Cour dispose désormais de 11 avocats généraux contre 8 auparavant.

«La qualité et la rapidité avec lesquelles la CJUE rend ses décisions peuvent avoir des conséquences non négligeables pour les individus, les personnes morales, les États membres et l’UE dans son ensemble», souligne le rapport spécial, qui s’étend sur 70 pages annexes comprises. «Toute incapacité de la CJUE à statuer dans un délai raisonnable peut entraîner des frais considérables pour les parties en cause, ainsi que des coûts directs pour le budget de l’UE, liés à tout préjudice résultant de la longueur excessive de la procédure.»

Le rapport note des «progrès» certains dans le délai moyen nécessaire pour prendre une décision judiciaire, qui s’établit en 2016 à 4,7 mois à la Cour et 18,7 mois au tribunal, soit 0,9 et 1,9 mois de moins qu’en 2015. La Cour des comptes n’est toutefois pas convaincue par les critères établis par la CJUE et aurait préféré que soit indiquée une durée standard de procédure plutôt qu’une moyenne.

1,1 million de pages traduites entre 2014 et 2016

Les auditeurs du Kirchberg ont examiné un échantillon de 60 affaires clôturées, 30 pour chaque juridiction, et déterminé le rôle de chaque intervenant tout au long du cycle de gestion des affaires. La Cour leur a toutefois refusé l’accès à certains documents – notes internes, memoranda, etc. – en vertu du secret du délibéré.

Ils ont également passé en revue les durées des procédures de 2.800 affaires clôturées en 2014 et 2015, soit 90% de toutes les affaires, et interrogé les différents protagonistes (greffe, magistrats, traducteurs…), afin d’identifier les facteurs influant la durée d’une procédure. Pour en déduire que la longueur d’une procédure tient grandement aux délais légaux et à la charge de travail des acteurs à tous les niveaux. Sans compter une spécificité de cette institution: la nécessité de traduire les documents et actes dans les langues de l’UE. Entre 2014 et 2016, 1,1 million de pages ont été traduites pour la CJUE, dont le tiers par des juristes-linguistes externes.

Avec un cas particulier pour le tribunal de l’UE, dont l’unique langue de délibéré est le français. Or, remarque la Cour des comptes, «entre 2014 et 2016, une proportion considérable des affaires portées devant la CJUE et, en particulier, devant le tribunal avaient l’anglais (28%) ou l’allemand (20%) comme langue de procédure, alors que le français ne représentait que 13%».

Le français pourrait perdre son statut de langue unique de délibéré

Et de suggérer une ouverture linguistique qui aurait des effets d’économie immédiats. «L’une des conséquences d’un tel choix serait que les notes internes, les rapports préalables, les arrêts ainsi que les ordonnances pourraient être rédigés directement dans ces langues. En outre, un certain nombre d’actes de procédure soumis en anglais ou en allemand ne devraient plus être traduits en français.» 

Le président du tribunal, le Luxembourgeois Marc Jaeger, avait d’ailleurs demandé une note à ce sujet au greffe de la Cour de justice – mais sa finalisation a été suspendue «en raison des incertitudes liées au Brexit».

Si le rapport note les effets positifs de la «gestion plus active» des affaires depuis 2015, il préconise un suivi encore plus étroit de chaque affaire afin de pouvoir diagnostiquer rapidement tout risque de retard ou de prolongation indue des délais. Un suivi qui gagnerait à intégrer des critères plus précis que ceux actuellement utilisés. Les auditeurs recommandent par exemple de distinguer les affaires à l’aune de leur complexité, de la charge de travail induite, des ressources nécessaires et de la disponibilité du personnel.

La mise en place d’un véritable système informatique intégré permettrait ce suivi alors que la CJUE est victime, comme d’autres grands ensembles, d’une incompatibilité entre plusieurs systèmes.

Côté ressources enfin, les auditeurs suggèrent une plus grande flexibilité dans l’affectation des référendaires en fonction des affaires à traiter.