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La Chambre des métiers relaie les inquiétudes d’un secteur artisanal soucieux de sa pérennité face à la digitalisation et à la politique budgétaire actuelle. 

Rejoignant les critiques de l’opposition, la Chambre des métiers a livré mardi matin une analyse sévère du budget 2018 présenté par la coalition Gambie à la Chambre des députés le mois dernier.

«Les finances publiques semblent saines à première vue, avec un excédent de 333 millions d’euros, mais la réalité est moins rose», avertit Norry Dondelinger, directeur des affaires économiques de la chambre patronale, pointant un déficit de l’État central à 890 millions d’euros. Certes, l’excédent de la Sécurité sociale frise encore le milliard mais n'est pas durable. «Le gouvernement avait réussi à réduire le déficit entre 2014 et 2016, mais il a été multiplié par quatre entre 2016 et 2017», souligne M. Dondelinger.

À la défense du gouvernement, qui évoque des investissements sans précédent, la Chambre des métiers répond que hors investissements, les dépenses de l’administration centrale bondissent de 5,2% entre 2017 et 2018, soit deux fois plus que l’année précédente.

La Chambre des métiers appelle le gouvernement à une politique budgétaire plus prudente.

Norry Dondelinger, directeur des affaires économiques à la Chambre des métiers

Pire, les projections d’ici 2021 «ne sont pas plausibles»: le gouvernement prévoit de réduire le déficit de l’administration centrale de 820 millions à 89 millions d’euros en trois ans, alors que la croissance estimée va fondre de 4,4% en 2019 à 1,9% en 2021.

En cause: les transferts sociaux qui croissent automatiquement, la politique familiale du gouvernement, la réforme fiscale, l’application de l’accord salarial dans la fonction publique (+1,5% d’augmentation de la masse salariale), et une mise en œuvre partielle du Zukunftspak.

«La Chambre des métiers appelle le gouvernement à une politique budgétaire plus prudente — et la prudence serait de réduire le déficit quand la croissance économique est élevée», plaide M. Dondelinger. Une telle politique ménagerait une marge de manœuvre pour soutenir l’économie en cas de nouvelle crise, face à laquelle le Luxembourg sera encore une fois vulnérable en raison de sa taille, et pour assurer une «pension décente aux générations futures».

Nous devons éviter que la mobilité ne freine le développement économique.

Norry Dondelinger, directeur des affaires économiques à la Chambre des métiers

Au-delà de ce rappel à l’ordre, la Chambre des métiers salue plusieurs mesures du budget 2018, de la bonification de l’impôt pour les investissements — nécessaire pour la digitalisation des entreprises et l’acquisition d’une flotte électrique, même si l’infrastructure de charge ne suit pas encore — à la transition vers le numérique, en passant par la diversification. «Il nous faut des zones nationales et régionales d’activité offrant des terrains abordables, parce que les entreprises artisanales auraient besoin de 89ha de terrain, d’après notre enquête de 2016», poursuit M. Dondelinger.

L’organisation patronale appelle surtout le gouvernement à mener une politique d’investissement ambitieuse. «Ce n’est pas un luxe, il s’agit de rattraper le retard accumulé durant des décennies», assène le directeur des affaires économiques. En particulier en matière de transports, car «nous devons éviter que la mobilité ne freine le développement économique».

Reprenant les conclusions alarmantes du Conseil national des finances publiques concernant la soutenabilité des finances publiques à long terme — avec une dette dépassant 30% en 2033 et 60% en 2043 —, la Chambre des métiers enjoint l’État de modérer ses propres dépenses, notamment via la digitalisation, d’évaluer l’efficacité de la sélectivité sociale, de lancer une réforme structurelle du système de retraites et de se fixer des objectifs plus ambitieux en matière de politique budgétaire.

Nous avons peur de l’ubérisation de l’artisanat.

Marc Gross, directeur des affaires sociales à la Chambre des métiers

La Chambre des métiers se projette en tout cas dans cette perspective durable, soucieuse de pérenniser un secteur d’activité qui compte plus de 7.000 entreprises et plus de 90.000 salariés. Une mission qui relève du défi, dans le contexte de la digitalisation, qui implique à la fois un progrès et une menace pour le secteur face à une concurrence féroce sur internet de la part d’acteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes réglementaires. «Nous avons peur de l’ubérisation de l’artisanat», souligne Marc Gross, directeur des affaires sociales à la Chambre des métiers.

L’artisanat participe pleinement aux mutations engagées à travers son implication dans les travaux du Conseil national de la construction durable, Myenergy et du Centre de ressources des technologies et de l’innovation pour le bâtiment. Et le Pakt Pro Artisanat conclu avec le ministère de l’Économie et la Fédération des artisans démontre sa volonté d’agir sur le long terme pour faire évoluer le secteur dans un contexte post-Rifkin. La Chambre des métiers lancera d’ailleurs en 2018 une cellule digitalisation, vouée à orienter les entreprises.

La modernisation de l’artisanat passera également par une refonte des brevets de maîtrise, en cours d’ajustement à l’ère digitale. «Sur sept à huit ans, nous allons transformer les 37 brevets actuels en une douzaine plus modulables, répartis par domaine de métier, par exemple un seul brevet pour les bouchers, pâtissiers et traiteurs», explique Tom Wirion, directeur général de la Chambre des métiers.