Le président de la Commission européenne défend l'action de son équipe qui a enchaîné 12 textes législatifs liés à la transparence et à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Le prochain concernera les intermédiaires tels que les avocats et gestionnaires de fortune. (Photo: Licence CC)

Le président de la Commission européenne défend l'action de son équipe qui a enchaîné 12 textes législatifs liés à la transparence et à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Le prochain concernera les intermédiaires tels que les avocats et gestionnaires de fortune. (Photo: Licence CC)

Deux mois après sa visite quelque peu décevante au Grand-Duché, la commission Pana se réunissait mardi à Bruxelles pour l’audition très attendue de Jean-Claude Juncker, suivie de celle de Fernando Rocha Andrade, secrétaire d'État chargé des affaires fiscales du Portugal. Un intermède entre deux séries de visites dans différents États: après le Royaume-Uni, Malte, Luxembourg et les États-Unis, la commission enverra une délégation au Portugal, à Chypre et en Suisse.

«Nos invitations se sont partout heurtées à des refus de la part d’avocats, de banques et de politiques exposés auparavant», déplore Werner Langen, eurodéputé démocrate-chrétien (Parti populaire européen) et président de la commission Pana. La délégation de la commission a été particulièrement mal reçue à Malte, qui assure la présidence tournante de l'UE jusqu'au 30 juin. Pas de satisfecit non plus du côté de Bruxelles puisque le Conseil refuse de communiquer tous les documents du groupe informel Code de conduite, au sein duquel de nombreuses discussions fiscales entre États membres ont eu lieu.

L’objectif n’est pas de porter des accusations contre quelqu’un.

Werner Langen, président PPE de la commission Pana

Déjà passé au gril des questions de la commission taxe dans le sillage des LuxLeaks, le président de la Commission européenne en a repris une louche de la part des eurodéputés, malgré l’avertissement préliminaire de Werner Langen - «l’objectif n’est pas de porter des accusations contre quelqu’un».

Car officiellement, Jean-Claude Juncker intervient afin de présenter les actions et projets de la Commission afin de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales dans l’UE. «Je me présente devant vous parce que nous partageons le même objectif devant l’enjeu majeur qu’est la justice fiscale, indispensable en soi et plus nécessaire que jamais», introduit le Luxembourgeois, ajoutant que «nos concitoyens ont raison de s’indigner contre une fiscalité des entreprises qui reste opaque et inadéquate, au profit de multinationales qui abusent des disparités fiscales entre les pays».

«Ne doutez pas de l’ardeur de la Commission pour lutter contre l’évasion fiscale», assure-t-il, saluant l’action de ses commissaires aux finances, Pierre Moscovici, et à la concurrence, Margrethe Vestager. Et d’égrainer la dizaine de législations produites par la Commission depuis 2014, de l’échange automatique d’informations sur les rescrits fiscaux à la fin du secret bancaire, sans oublier les enquêtes impliquant Fiat, McDonald’s ou encore Apple.

Je ne me suis jamais occupé d’accords fiscaux matériels avec une entreprise.

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne et ancien Premier ministre luxembourgeois

Prochaine étape selon lui: l’assiette fiscale commune puis l’assiette commune consolidée pour la taxation des entreprises, «qui permettra de supprimer les disparités entre les systèmes nationaux tout en respectant le droit de chaque nation de décider de son propre taux». Une conviction loin d’être partagée par le Grand-Duché lors des discussions à Bruxelles. En attendant, la Commission planche sur une directive destinée à endiguer la facilitation de la fraude fiscale par des intermédiaires (avocats, conseillers, gestionnaires de fortune).

«Votre Commission a fait beaucoup plus que les précédentes et a abattu un travail colossal, même s’il n’est pas fini», reconnaît Louis Michel, eurodéputé belge (Alliance des libéraux et démocrates ALDE). Les autres députés de la commission Pana n’hésitent pas à reprendre un feu nourri d’attaques contre le président de la Commission, de la surreprésentation des intermédiaires luxembourgeois dévoilés par les Panama Papers à la légalité des ports francs, en passant par les récentes révélations sur les visites de l’ambassadeur luxembourgeois à Madère et les rescrits accordés à la pelle par le Luxembourg. «Je ne me suis jamais occupé d’accords fiscaux matériels avec une entreprise», martèle Jean-Claude Juncker, à peine agacé par l’interrogatoire poli qu’il subit une nouvelle fois.

Je suis en faveur de la concurrence fiscale, mais elle doit être équitable et ne l’a pas toujours été.

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne et ancien Premier ministre luxembourgeois

David Coburn (Ukip, Groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe EFD) évoque avec ironie la «route de Damas» qui a conduit le Premier ministre luxembourgeois, premier défenseur de la concurrence fiscale entre États, à vouloir la restreindre. «Il n’y a pas de différence entre l’ancien et le nouveau Jean-Claude, et je vous rappelle que j’étais à l’origine de la directive sur la TVA de 1991 alors que l’on comptait 250 règles différentes sur les taux minima», précise le Luxembourgeois. «Je suis en faveur de la concurrence fiscale, mais elle doit être équitable et ne l'a pas toujours été», ajoute-t-il, concédant avoir «négligé cette dimension». «Maintenant, je me concentre davantage sur la concurrence déloyale.»

M. Juncker milite même pour une modification ultérieure des traités afin que les décisions en matière de fiscalité se prennent à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité. «L’unanimité rend difficile toute décision, il faudra prévoir une majorité qualifiée ou superqualifiée, sinon nous n’avancerons pas vraiment en la matière», estime le Luxembourgeois. Qui sait de quoi il parle, puisque le Luxembourg figure parmi les pays ayant bloqué plusieurs décisions fiscales au Conseil et au sein du groupe Code de conduite, comme en témoignaient les câbles diplomatiques Allemands ébruités par The Guardian en janvier dernier.

«Juncker est peut-être aveugle concernant le passé, mais il a effectué des engagements concrets pour l’avenir», a commenté l’eurodéputé Sven Giegold (Verts), se réjouissant de voir le président de la Commission européenne accéder à trois demandes des Verts européens: un texte de loi qui oblige tous les États membres à répondre aux requêtes d'information sur les évadés fiscaux, l'accroissement de la task force de la Commission sur les crimes financiers et enfin l’utilisation par la Commission de l'article 116 du traité de l'UE pour la distorsion de concurrence désormais soumise à la majorité.