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L'actualité internationale a été riche ces derniers mois; les conséquences sur l'économie sont nombreuses. La position particulière du Luxembourg et sa dépendance très forte vis-à-vis des phénomènes macroéconomiques voisins rendent-elles le pays plus vulnérable, ou bien au contraire la solidité de ses fondamentaux lui permet-elle de mieux absorber les chocs actuels?

Les événements attirent certainement davantage l'attention vers les grands pays, les grandes villes. On peut penser que les atrocités de New-York peuvent se produire sur la Tour Eiffel, sur Big Ben. C'est peut-être une fausse impression, mais on imagine que le Luxembourg est mieux protégé, parce qu'il n'y a pas de monument ou de lieu qui pourrait frapper le monde entier s'il était attaqué. Ce n'est pas forcément un endroit recherché.

Pour l'audiovisuel, cela peut-être un attrait. Quelqu'un, comédien ou autre, qui a peur de voyager, de se retrouver dans une grande ville, peut se sentir en sécurité au Luxembourg, en se disant que personne ne va l'y trouver. Il peut donc y avoir également de bons côtés.

Y a-t-il, comme dans d'autres secteurs, un "avant" et un "après" 11 septembre pour l'audiovisuel' Le ralentissement économique actuel le menace-t-il également?

Je ne pense pas du tout. En parlant à droite et à gauche, aux Etats-Unis, en France, en Angleterre, en Allemagne, on voit que les gens ont envie de sortir, récession ou pas, images tragiques ou pas. Ils ont besoin de se changer les idées. Nous ne sentons absolument pas un ralentissement dans la demande de produits, je ne pense pas que moins de films seront produits.

La difficulté que l'audiovisuel ressent actuellement, c'est le refus de certaines personnes de se déplacer. Et comme notre métier implique les allées et venues de techniciens et comédiens qui proviennent du monde entier, il est évident qu'il y a un problème lorsqu'un projet ne tient debout que grâce à un ou deux comédiens, et que ceux ci refusent de se déplacer. Certains projets sont d'ailleurs repoussés uniquement pour cette raison. Combien de temps cela va-t-il durer ? Difficile à dire.

En tout cas, l'audiovisuel luxembourgeois est porteur, tout comme l'audiovisuel européen. En fiction, en animation, il y a une vraie demande, énorme, non seulement de la part des spectateurs de cinéma, mais aussi des spectateurs de télévision.

C'est un peu cyclique? Les événements du monde font que le désir du public varie, mais c'est très difficile, pour ne pas dire impossible, d'anticiper ces choses. Après le drame de New-York, il est possible que le trop plein d'images chocs incite les spectateurs à aller voir des films un petit peu différents. Actuellement, ce sont justement ces films "un petit peu différents" qui tirent les bénéfices de cette triste situation. Mais combien de temps cela va-t-il durer? On ne peut prévoir le changement de mode. C'est horrible à dire, mais il y a une part de chance? Un film peut être bien accueilli à un moment donné, alors qu'il aurait connu des réactions tout à fait opposées s'il était sorti à un autre moment.

Vu la durée de développement, préparation, tournage, finition d'un produit, il est évident que l'on ne peut compter sur cela, pour être prêt au bon moment avec un produit donné. On essaie donc simplement de continuer et de faire de son mieux.

On dit souvent que les premiers budgets qui sautent lorsque l'économie n'est plus au beau fixe, comme c'est le cas actuellement au niveau mondial, sont ceux liés à la publicité. Le secteur de l'audiovisuel est-il concerné ?

Cela touche l'audiovisuel indirectement, mais bien plus la télévision que le cinéma. Un pourcentage des revenus des chaînes de télévision provient de la publicité. Si elles ont moins de publicité à cause des événements dans le monde, il est évident qu'elles vont peut-être payer un produit moins cher, mais qu'elles auront toujours besoin d'autant de produits, parce qu'elles doivent remplir leur grille de programmes. Les productions doivent quand même se faire.

Pour revenir à l'expression "faire de son mieux", quels films étrangers ont marqué, à vos yeux,  l'année 2001 de leur empreinte?

La légèreté du "Fabuleux destin d'Amélie Poulain' m'a beaucoup touché. Mais aussi le témoignage sur l'inutilité de la guerre du film bosniaque "No man's land', absolument remarquable. Ce sont des films européens, mais ce qui ne veut pas dire que je n'aime pas le cinéma américain. J'ai vu "Moulin rouge", c'est un spectacle, comparable à un musical que l'on va voir sur Broadway ou à Londres.

J'ai aussi beaucoup aimé "Barber", le film en noir et blanc des frères Coen, pour lesquels j'ai un grand faible? ce sont certainement les Américains avec lesquels j'aimerais un jour faire un projet.

Les frères Coen prochainement en tournage à Luxembourg, ce n'est donc pas un rêve irréalisable?

     Même s'ils écrivent généralement leurs films, on peut imaginer que, si nous disposons d'un bon scénario et que nous venons frapper à leur porte pour leur demander de le mettre en scène, ils ne la fermeront pas s'ils ont envie de le faire. Quand je vois les Peter Greenaway, Européen certes, mais aussi les Roman Coppola, John Malkovich ou Willem Dafoe qui sont venus travailler ici, des Américains de talent, pourquoi pas les frères Cohen' En Europe, on donne plus la chance aux films "art et essai", plus intellectuels.

Quels ont été les temps forts pour Delux Productions en cette année 2001?

Le tournage de "Passage secret", d'Ademir Kenovic, avec notamment John Turturro. Non seulement il s'agit du plus gros film jamais produit jusqu'à ce jour par Delux, mais, en plus, il nous a permis de vivre une aventure peu commune. La construction des décors qui reconstituent Venise en plein Grand-Duché, sur le site de Terres-Rouges à Esch, des terrains qui appartiennent à l'Arbed, est inoubliable.

Ce tournage nous a occupés à peu près 9 mois en 2001, nous travaillons sur le projet "Passage secret"  depuis un peu plus de 2 ans déjà?mais le tournage demeure le moment le plus exaltant.

La sélection au Festival de Cannes 2001 pour "CQ", le film de Roman Coppola que nous avons co-produit,  est aussi une grande chance par ailleurs, bien sûr.

L'Euro arrive, l'Europe s'intègre. Le Grand-Duché apparaît comme le pays le plus europhile de l'Union. Etes-vous un europhile convaincu?

L'Euro va me faciliter la vie! J'ai dans ma poche un minimum de 5 monnaies différentes. L'Euro est une bénédiction, un énorme soulagement, et je pense que cet avis est partagé par la plupart des Luxembourgeois. Le pays est petit, on est très vite à l'étranger.

La nouvelle monnaie va simplifier les budgets de nos films. Sur un film de Delux se côtoient des Luxembourgeois, des Belges, des Français, des Néerlandais, des Allemands, des Anglais, des Américains. Les devises de tout ce petit monde apparaissent dans les budgets, ce qui complique les choses, et appelle plus d'erreurs, de vérifications. A partir de 2002, je devrai certes encore jongler avec l'Euro, le dollar et la livre mais, dans l'ensemble, mon travail sera vraiment beaucoup simplifié.

2002, synonyme de nouveaux défis pour le Luxembourg en matière d'aides audiovisuelles?

Je pense que le système mis en place par le gouvernement luxembourgeois est un bon système,  bénéfique pour toutes les parties concernées. Il permet la création d'emplois sur le territoire, mais aussi une hausse des dépenses effectuées au Luxembourg avec des fournisseurs luxembourgeois. L'image audiovisuelle, et donc culturelle, du Luxembourg, en sort également grandie. Il ne faut pas oublier non plus qu'un comédien qui travaille au Luxembourg pendant deux mois est, pour ce laps de temps, assujetti à une taxe sur les cachets qu'il touche ici.

Les aides et subsides dont bénéficient les producteurs nous permettent d'être compétitifs sur la place européenne et d'exister en tant que pays de production audiovisuelle face aux grands pays européens comme la France, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie'qui possèdent d'ailleurs à peu près les mêmes types d'aides que nous, mais avec des systèmes différents.

Si l'on ajoute à ces aides nationales celle de la Communauté européenne, les ingrédients sont réunis pour que la culture européenne existe et ne soit pas noyée par des produits stéréotypés américains.

S'il ne fallait retenir qu'un seul projet de Delux pour 2002, ce serait?

? impossible! Il y a en effet plusieurs projets? Le tournage du prochain Peter Greenaway ? "The Tulse Luper Suitcase", l'histoire d'une valise qui traverse le 20è siècle ? commencera dès le 28 janvier 2002, et nous espérons que deux projets se tourneront sur le site de Venise à Esch. Nous voulons utiliser, rentabiliser ce site exceptionnel, qui intéresse les professionnels internationaux par ses facilités de tournage, sa conception.

Pour ce qui est du prochain Festival de Cannes, nous avons bien sûr l'espoir de présenter un film, mais il faut qu'il soit choisi par le comité de sélection. Vous vous doutez à quel film je fais allusion'"Passage secret", qui est actuellement encore en post-production en Angleterre.

Petite précision: il ne faut pas oublier qu'un film qui n'a pas été apprécié par le comité ne signifie pas que c'est un mauvais film.  Regardez "Le fabuleux destin d'Amélie Poulain': il a été rejeté par la sélection de Cannes, mais c'est un succès mondial.

2002, année d'un production 100% luxembourgeoise?

C'est plus facile de trouver un financement si un film est tourné en anglais. C'est déjà plus difficile en français ou en allemand. Imaginez ce que cela peut représenter comme difficultés si c'est en luxembourgeois? Un scénario luxembourgeois, pourquoi pas? Un bon scénario n'a pas de nationalité. Des comédiens luxembourgeois? Idem. Mais, si on outrepasse le problème linguistique, il n'en demeure pas moins que même un produit à la base anglophone a besoin de co-producteurs d'autres pays, ou de participations étrangères d'autres ordres. Il est très rare aujourd'hui en Europe de faire un film national à 100%. Le montage financier se fait avec l'aide de pré-ventes sur certains territoires, ou  par le biais de co-productions dans lesquelles les pays contribuent via l'apport d'un comédien, d'un technicien par exemple. Et je pense que la richesse du cinéma européen provient justement de ces mélanges, tandis que la pauvreté est le fruit des ?illères qui enferment un projet dans un carcan.

A mon avis, pour un petit pays comme le Luxembourg, si nous prenons un ratio population / nombre de films produits, nous sommes assez gâtés. Mais on demande toujours plus? et c'est logique!