La plus haute instance administrative a boudé la question préjudicielle à la CJUE que lui suggéraient les avocats des plaignants pour livrer une interprétation propre du dernier arrêt des juges européens. (Photo: Flickr)

La plus haute instance administrative a boudé la question préjudicielle à la CJUE que lui suggéraient les avocats des plaignants pour livrer une interprétation propre du dernier arrêt des juges européens. (Photo: Flickr)

Le 16 février 2017 pourrait bien faire date dans l’histoire des combats judiciaires des frontaliers. La Cour administrative a terrassé au cours de la même audience trois recours d’enfants de frontaliers contre des décisions du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’octroi d’aides financières pour études supérieures. Un coup d’arrêt aussi brutal qu’inattendu à la série de victoires judiciaires accumulées par les frontaliers depuis 2010.

La loi du 26 juillet 2010, défendue par le ministre de la Justice de l’époque, François Biltgen, aujourd’hui juge à la Cour de justice de l’Union européenne, visait à réformer le système des allocations familiales versées jusqu’aux 27 ans d’un enfant, dans le but de favoriser la poursuite d’études supérieures des jeunes résidents – et aussi de soulager les finances du pays.

Année après année, les juges du Kirchberg ont détricoté les dispositions discriminatoires de la législation: condition de résidence au Luxembourg, durée minimale de travail au Luxembourg fixée à cinq années consécutives pour les parents non résidents, et récemment l’inéligibilité des enfants du conjoint d’un frontalier – qui ne figurait pas dans la loi, mais relevait d’une application restrictive du ministère de l’Enseignement supérieur.

Le combat suivant concerne la clause anti-cumul introduite par la loi du 24 juillet 2014, qui prévoit que les « aides financières auxquelles les demandeurs peuvent avoir droit de la part des autorités de leur État de résidence [soient] déduit[es]» de la bourse d’études accordée par le ministère de l’Enseignement supérieur luxembourgeois. Une clause invoquée par ce dernier pour motiver la déduction des allocations familiales versées aux familles résidant en Belgique et en Allemagne après les 18 ans de l’enfant.

Le tribunal administratif a vu pleuvoir les premiers recours mi-2015 et, les ayant rejetés, a conduit les étudiants déboutés à relever appel devant la Cour administrative.

Si les avocats des étudiants ont soulevé la nature différente des aides reçues de part et d’autre de la frontière – allocations familiales perçues sans condition de poursuivre des études supérieures côté belge ou allemand, bourses d’études sur justificatif d’inscription à un cursus d’études côté luxembourgeois –, la Cour administrative a décidé d’envisager le problème « sous l’angle de la réalité économique ».

La CJUE boudée

«Les aides étatiques sont à entrevoir d’abord comme un soulagement de la charge des frais d’études pour les personnes qui finalement financent les études supérieures en question», indiquent les juges dans la décision concernant une étudiante belge qui avait vu les 1.370 euros d’allocations familiales belges déduites de la bourse d’études luxembourgeoise du même montant pour le semestre 2014-2015. Même raisonnement concernant le recours d’une étudiante allemande qui avait vu sa bourse réduite à 1.372 euros en raison des 443 euros perçus par ses parents au titre des allocations familiales outre-Moselle.

Cette interprétation est encore utilisée par la Cour administrative face au recours d’un étudiant français auquel le ministère de l’Enseignement supérieur a retranché une partie de sa bourse au motif qu’il percevait côté français l’APL (aide personnalisée au logement). Et ce alors que le tribunal administratif avait donné raison au plaignant.

Le raisonnement de la Cour, fondé sur la notion de ‘réalisme économique’, revient à lier la faiblesse des revenus et la poursuite des études.

Me Jonathan Holler, Bauler & Lutgen

Ironie de l’histoire, la Cour administrative appuie son interprétation sur le récent arrêt de la CJUE fixant que les beaux-enfants d’un travailleur frontalier peuvent prétendre aux bourses d’études dans la mesure où ils sont à sa charge, faisant primer l’argument économique par rapport au lien de filiation. 

«Le raisonnement de la Cour, fondé sur la notion de ‘réalisme économique’, revient à lier la faiblesse des revenus et la poursuite des études, s’insurge Me Jonathan Holler (Bauler & Lutgen), avocat des étudiants français et allemand concernés. Or, cet amalgame ne saurait justifier le fait qu’un étudiant peut parfaitement poursuivre des études et ne pas bénéficier des APL ou le fait que les salariés la perçoivent en plus grand nombre que les étudiants.»

Consternée, Me Stéphanie Jacquet (Schanen & Bannasch), avocate de l’étudiante belge, note aussi que «la Cour administrative n’a pas pris en considération l’aspect discriminatoire et dit uniquement que la législation est conforme au droit européen».

Si aucun recours national n’existe pour les décisions de la Cour administrative, les avocats ne perdent pas espoir de voir la question portée devant la CJUE.