Jeannot Krecké met en garde contre d’éventuelles rechutes si on relâche la pression au niveau réglementaire. (Photo: Matic Zorman)

Jeannot Krecké met en garde contre d’éventuelles rechutes si on relâche la pression au niveau réglementaire. (Photo: Matic Zorman)

Le 15 septembre 2008, la faillite de la banque américaine Lehman Brothers est entérinée. Engluée dans la crise des subprimes, elle n’a pas trouvé de repreneur et l’État n’a pas jugé bon de la sauver, comme il l’a fait pour d’autres établissements. Le premier des dominos bancaires vient de tomber, entraînant dans sa chute d’autres grandes institutions. Au Luxembourg, la crise a principalement été marquée par l’effondrement de Fortis, donc de BGL devenue Fortis Luxembourg, et de Dexia qui avait racheté la Bil. Ministre de l’Économie à l’époque, Jeannot Krecké se remémore pour Paperjam.lu ces événements et l’enjeu pour la place financière.

Monsieur Krecké, quel a été votre sentiment lorsque vous avez appris la faillite de la banque américaine Lehman Brothers le 15 septembre 2008?

«On est quand même tombé de haut. On ne s’y attendait pas du tout. Quelques jours plus tôt, les agences de notation avaient encore accordé une note ‘A’ à la banque. Au moment de la faillite, tout le monde espérait encore une reprise de Lehman Brothers par la banque Barclays.

Nous avions tendance à croire que le problème resterait circonscrit au niveau des États-Unis.

Jeannot Krecké

Vous aviez perçu des signes avant-coureurs?

«Oui, depuis un an et demi on voyait bien que quelque chose n’allait plus dans le système bancaire américain. Peu de temps avant, on avait déjà vécu l’épisode de la dégringolade des agences de crédits immobiliers Fannie Mae et Freddie Mac, ainsi que la faillite de Bear Stearns, entre autres. Mais au niveau des réunions de l’Écofin, nous avions tendance à croire que le problème resterait circonscrit au niveau des États-Unis. En plus, à cette époque, le Dow Jones était au plus haut et les banques continuaient à payer des bonus exorbitants à leurs dirigeants. À ce niveau, nous nous sommes trompés. Ce n’était pas évident. Deux semaines avant le déclenchement de la crise Fortis, nous avons tenu une réunion informelle de l’Écofin à Nice. Même à ce moment-là, nous avons été incapables d’estimer correctement l’ampleur que cette crise allait prendre.

Si Lehman Brothers n’était pas tombée en faillite, la crise aurait pu être moins violente?

«Oui, on aurait peut-être pu éviter le pire. Mais ce n’était quand même pas la seule banque à avoir des soucis avec la crise des subprimes. Le problème était vaste parmi les banques américaines. Le point positif, c’est sans doute que le G7 et le G20 ont rapidement pris le taureau par les cornes pour mener des réformes et imposer de nouvelles règles de fonctionnement aux banques.

Dix ans plus tard, diriez-vous que le monde politique européen a bien géré la crise bancaire?

«Oui et non. Nous nous sommes laissés berner par des informations que nous avons mal interprétées. Nous n’avons donc pas mis toute l’énergie nécessaire. Il aurait fallu pouvoir réagir plus vite. Mais la Banque centrale européenne, avec la coopération des autres banques centrales et des gouvernements, a quand même su rapidement prendre en charge les éléments les plus délicats.

C’est l’événement le plus difficile que j’ai eu à gérer au cours de mes huit années en tant que ministre de l’Économie.

Jeannot Krecké

Le gouvernement luxembourgeois a rapidement été confronté successivement à la crise du groupe Fortis, au sein duquel était intégré BGL, et à celle de Dexia, qui chapeautait la Bil. Quelles conclusions tirez-vous de ces épisodes?

«Avec la fusion entre Arcelor et Mittal en 2006, c’est l’événement le plus difficile que j’ai eu à gérer au cours de mes huit années en tant que ministre de l’Économie (entre 2004 et 2012, ndlr). Je ne pourrai jamais oublier cette époque. Nous avons passé des nuits entières à Bruxelles pour négocier, mais au final, j’estime que le gouvernement luxembourgeois a fait du bon travail. Les solutions trouvées au niveau des deux banques luxembourgeoises leur sont bénéfiques. Intégrer BGL au sein de BNP Paribas était certainement le meilleur choix et sortir la Bil du modèle Dexia, qui ne lui convenait pas, était aussi la meilleure solution.

Vous avez eu peur?

«Oui, parce que ces deux banques étaient centrales au niveau de l’activité économique au Luxembourg. Si elles étaient tombées en faillite, de nombreux épargnants n’auraient pas pu récupérer leur argent. Ça aurait vraiment été une catastrophe pour le pays tout entier. Le premier week-end de la crise Fortis, nous avons travaillé d’arrache-pied avec le management luxembourgeois de la banque. Nous avons dû envisager l’ensemble des scénarios possibles, même le pire. C’était vraiment affreux.

On aurait donc pu croire que la Place n’allait pas y survivre.

Jeannot Krecké

Et vous n’avez pas craint que ce soit l’ensemble du modèle de la place financière qui trinque?

«Les nouvelles règles proposées par le G20 ont en effet directement visé le secret bancaire. On aurait donc pu croire que la Place n’allait pas y survivre. Personnellement, j’ai pensé que le secteur du private banking allait s’affaiblir de façon notoire. Mais heureusement, ça n’est pas arrivé, nous avons su bien négocier les virages difficiles. La bonne collaboration entre le gouvernement et les acteurs de la finance au cours des années qui ont suivi ont permis de regagner ce qui avait été perdu.

Une crise de cette ampleur est encore possible?

«Elle est moins probable vu les nombreuses réglementations mises en place, mais elle n’est pas impossible. Un seul exemple: le fonds Blackrock dispose à lui seul de 6.000 milliards de dollars d’actifs sous gestion. S’il venait à défaillir, les conséquences seraient inimaginables. Il ne faut donc surtout pas relâcher la réglementation et le contrôle vis-à-vis du monde financier. On a eu la douloureuse expérience de ce que ça pouvait donner en 2007-2008.»