Jean-Luc Verheggen: «L’évolution des salaires va plus vite au Luxembourg qu’ailleurs. C’est inquiétant.» (Photo : David Laurent / Wili)

Jean-Luc Verheggen: «L’évolution des salaires va plus vite au Luxembourg qu’ailleurs. C’est inquiétant.» (Photo : David Laurent / Wili)

Monsieur Verheggen, quelles sont les problématiques liées au monde de l’industrie en général et à DuPont en particulier ?

« Ce qui nous préoccupe le plus pour l’instant, c’est l’évolution salariale. Le Luxembourg est déjà un pays où les salaires bruts sont nettement supérieurs – de l’ordre de 45 % – à ceux des autres pays, y compris ceux qui nous entourent. Cependant, le niveau bas des charges sociales, les aides diverses pour la formation et le chômage partiel nous ont longtemps permis d’être moins chers. Il y a encore 10 ans, le ‘Cost to Company’ était 20 % moins cher au Luxembourg qu’en France, par exemple. Actuellement, on est au même niveau que les autres pays. On a réduit notre compétitivité. Dans le contexte d’un groupe mondial qui réfléchit à où maintenir de l’activité, où développer de nouveaux produits et où baisser le rythme, ce n’est pas neutre.

Est-ce que cela peut évoluer, voire se dégrader ?

« Ce qui est inquiétant, c’est que l’évolution des salaires va plus vite au Luxembourg qu’ailleurs, en particulier par le jeu de l’indexation automatique, mais également par l’implication dans une convention collective et par une rétribution au mérite. En 2012, les personnes relevant du contrat collectif ont vu leur salaire augmenter en moyenne de 5,2 %. Nous avons déjà négocié avec les syndicats, et la convention collective ne prévoit qu’une augmentation de 1 % sur trois ans. L’augmentation au mérite a également été négociée à la baisse, ramenée à 1,5 %. Dans le même temps, les pays avec lesquels nous sommes en concurrence directe pour les investissements potentiels (France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas et Royaume-Uni) ont connu une augmentation de 3 %. Si on ne travaille pas à s’aligner sur les autres pays, le secteur industriel au Luxembourg n’a pas d’avenir.

C’est une vision très dure…

« Je ne critique pas l’état actuel des choses. Jusqu’ici, je le répète, la hauteur des salaires était compensée par divers avantages, par la qualité du travail de nos salariés, leur fiabilité et la paix sociale qui règne grâce aux triparties. Mais ces avantages sont en train de fondre. Vous remettez en cause l’indexation automatique ? « La réponse viendra du politique. Chaque augmentation de 2,5 % de l’ensemble de la masse salariale est écrasante et peu compétitive. L’idée de plafonner l’index selon des barèmes pour que seuls les salaires les plus bas puissent y prétendre – une proposition de Jean-Claude Juncker – me semble une bonne voie. Sur les 1.150 salariés de DuPont au Luxembourg, il y a environ 570 opérateurs de production qui travaillent sur poste, 400 agents administratifs (vente, contact clients, administration) et quelque 200 cadres dirigeants et ingénieurs. Tout le monde n’a pas forcément besoin de ces 2,5 %. De plus, cette augmentation automatique ne permet pas de récompenser le mérite et la performance. Il faudrait plus de flexibilité pour gérer ces augmentations, une partie en index, une partie au mérite. Il faut que l’évolution des salaires se calque sur celle dans d’autres pays. Il en va de la survie de notre industrie.

Vous subissez la concurrence des autres filiales du groupe ?

« Nous sommes présents au Luxembourg depuis 50 ans et certains de nos produits sont vieillissants. Pour les remplacer, il faut faire preuve de créativité, d’innovation, de qualité de travail. Mais il
faut aussi être compétitif, sinon le nouveau produit ira ailleurs. Cela se joue sur les nouveaux produits et les nouvelles fonctions. En 2000, on était 1.200, on est aujourd’hui 1.150. Jusqu’ici, on a réussi à se maintenir. Dans le contexte actuel, garder l’emploi au Luxembourg est déjà un défi. Il faut trouver un équilibre pour positionner le Luxembourg au niveau international et y être bien placé pour susciter des investissements. Dans le même temps, il faut rester attractif, pour recruter du personnel qualifié et le garder. C’est un point d’équilibre à trouver et, pour l’instant, je pense que le Luxembourg penche un peu trop du côté attractivité. Les discussions avec les partenaires sociaux et avec le monde politique doivent mener à recentrer la balance. Mon vœu est de réussir
à garder la qualité de vie et les avantages du Luxembourg, tout en s’alignant sur les pays voisins en termes d’évolution.

Ça ressemble à un vœu pieux…

« Il faut, en période de récession, être prêt à faire certains compromis et à discuter. Et quand l’économie redémarre, on peut revenir à des aspects plus généreux. Il faut surtout s’ouvrir au monde extérieur et ne pas camper sur ses positions. Le Luxembourg a fait preuve d’intelligence et d’adaptabilité… Il faut continuer.

Au niveau mondial, DuPont a annoncé la suppression de quelque 1.500 postes. Quel impact au Luxembourg ? Et comment gérez-vous cette annonce ?

« Grâce à la qualité du dialogue social et ce, depuis longtemps, nous cherchons des solutions. Tous les mois, nous avons des réunions avec les responsables syndicaux pour les impliquer dans la stratégie et répondre aux questions précises. J’essaie en général d’anticiper les problèmes et d’aller vers les syndicats avant d’être au pied du mur. Par rapport à la situation mondiale, nous avons annoncé la perte de 25 à 30 postes.

Le directeur du site s’est personnellement impliqué pour que ce chiffre ne soit pas plus élevé. Le but est évidemment d’éviter tout licenciement brut. Nous avons signé un plan de maintien de l’emploi qui a été très facile à mettre en place. La première mesure concerne les départs volontaires, moyennant une compensation financière. Par ailleurs, il y a des ajustements via des préretraites. Nous avons réussi une première pour le pays : des préretraites conditionnées. Seules les personnes permettant de libérer de manière directe ou indirecte une des positions menacées ont accès à cette formule.

Et ce plan fonctionne ?

« C’est en cours. Une dizaine de personnes ont manifesté leur volonté de départ volontaire. Pour cette fin mars, nous aurons identifié l’ensemble des personnes concernées. Les partenaires sociaux ont vraiment joué le jeu : ils ont fait des compromis, et nous en avons fait aussi.

C’est quand même un aspect peu agréable de votre fonction…

« Cela fait partie de ma mission et ce qui compte, c’est de le faire bien, proprement. Au Mans, j’ai acquis une expérience, j’ai dû fermer une usine. Mais mettre l’humain en avant et travailler en toute honnêteté, ce sont des valeurs centrales de l’entreprise. Pas juste sur le papier, c’est du vécu sur le terrain.

Quelles sont les autres valeurs ?

« Outre la sécurité, la santé et l’environnement – essentiels dans une industrie –, notre devise est ‘Respect for people’. Tout le monde a reçu une formation à ce sujet et sept personnes sont des neutral advisers vers qui chacun peut se tourner s’il se sent lésé ou non respecté. Ces personnes ont été formées à la gestion des conflits. Par ailleurs, nous avons un médecin et un infirmier à temps plein, une salle de sports, des programmes de santé au travail et même la visite d’un psychologue deux fois par mois, pour les employés et leur famille. Nous avons mis en place des programmes de promotion des femmes, une denrée rare dans l’industrie, pour valoriser la diversité, la motivation, la mobilité dans les fonctions, l’évolution de carrière…

DuPont Luxembourg vient de fêter ses 50 ans. C’est l’occasion d’un bilan ?

« Il faut surtout remercier le personnel et mettre en avant les qualités du site luxembourgeois pour l’excellence du suivi de clientèle, du dialogue social et de la culture de la sécurité. Mais ces années passées ne nous autorisent pas à nous reposer sur nos lauriers. Il faut être capable de se remettre en question et de continuer à aller de l’avant, à se différencier par la qualité, la créativité et l’innovation. »