Jean-Luc Dourson - Directeur, Laboratoire Luxembourgeois d’Analyses Médicales (Photo: David Laurent/Wide)

Jean-Luc Dourson - Directeur, Laboratoire Luxembourgeois d’Analyses Médicales (Photo: David Laurent/Wide)

Monsieur Dourson, vous êtes à la tête des Laboratoires Ketterthill… Comment êtes-vous arrivé là, dans une entreprise au départ familiale?

«Il y a eu, en 2003, une fusion entre les laboratoires Ketter et Thill. J’ai alors pris la direction opérationnelle du laboratoire, autrement dit de notre plate-forme technique à Esch-sur-Alzette. J’ai assuré cette responsabilité jusqu’en 2006. A l’époque, la loi obligeait d’avoir la pleine propriété du laboratoire sur son nom propre, et non pas à travers une personne morale. En 2006, la famille Ketter a décidé de se retirer. Du statut de dirigeant non propriétaire, je suis alors devenu dirigeant et propriétaire, en janvier 2007… ce qui fera donc bientôt cinq ans.

Pourquoi avoir conservé le nom Ketterthill, alors que les familles fondatrices n’y jouent plus aucun rôle?

«Pour une raison simple: le respect des fondateurs. Le nom fait partie du patrimoine de l’entreprise. Le laboratoire existe depuis maintenant plus de 60 ans… C’est une histoire! A l’origine, il y a les laboratoires Ketter, qui ont fusionné avec les laboratoires Thill. Il y a eu ensuite d’autres laboratoires qui ont également été repris.

Il y a aussi, bien évidemment, un intérêt commercial. Le nom était connu dans le pays, les citoyens l’identifient facilement. En termes de communication, l’enjeu est simplement de trouver un moyen de construire une charte graphique, des logos, des outils qui soient à même d’expliquer notre activité et de répondre aux besoins des clients, ainsi que de bien fonctionner avec notre objectif de développement transfrontalier.

En effet, si le nom est efficace et porteur pour le Grand-Duché, il est obscur pour nos clients en Allemagne, en Belgique ou en France. C’est pour cette raison que Ketterthill est maintenant une marque, un département, parmi d’autres dans l’entreprise… Il faut se rendre compte que nous employons 173 personnes! Le développement à l’étranger se fait via la marque LLAM, pour Laboratoire Luxembourgeois d’Analyses Médicales. Nous conservons systématiquement un double ‘L’, comme clin d’œil à Ketterthill, grâce à qui tout a commencé.

Ketterthill va-t-il donc se développer vers de nouvelles zones géographiques?

«Le secteur des analyses biologiques est en cours d’européanisation. Si l’on n’évolue pas, le Luxembourg va se retrouver satellisé, ne plus être qu’une petite extension des pays voisins. Un pays de 500.000 habitants doit aller chercher, au moins dans ce domaine, sa pérennité et ses alternatives de croissance dans la Grande Région. Si nous sommes des professionnels de la santé, nous sommes également des entreprises. Et comme toutes les entreprises, notre modèle économique est dicté par des contraintes propres à notre secteur et au métier dans lequel nous sommes actifs.

Votre formation initiale n’est pas celle d’un chef d’entreprise… Comment avez-vous fait pour vous adapter à ce rôle?

«Par l’apprentissage, et les erreurs commises à ne pas répéter. Je suis aujourd’hui chef d’entreprise car je l’ai voulu. Nous sommes tous les résultats des choix que l’on a faits dans les années qui ont précédé, et qui ont encore des conséquences aujourd’hui… alors que nous les avions alors faits sans en avoir conscience. Par exemple, j’avais choisi la voie médicale par intérêt, puis, par élimination des spécialités qui ne m’intéressaient pas, j’ai opté pour la biologie médicale. Après, le reste est également une affaire de chance… réelle ou plus ou moins provoquée.

La compétence et l’expérience se construisent aussi avec une équipe, que l’on a choisie et avec laquelle on a plaisir à travailler au quotidien. On ne prend pas de risques, quels qu’ils soient, si l’on n’a pas une sorte de passion pour ce que l’on fait… au moins dans le domaine de l’entrepreneuriat.

Avez-vous des partenaires pour votre développement?

«Nous avons d’ores et déjà débuté un partenariat avec les laboratoires Cerba, qui étaient historiquement liés à l’Institut Pasteur de Paris. Les premiers pas ont été faits en 2006, dans le domaine de l’auto-immunité. Un des derniers résultats concrets de cette coopération a été l’ouverture, le 1er janvier 2011, du Laboratoire Luxembourgeois d’Anatomo-Pathologie. Il s’agit d’un partenariat fort, qui dispose de moyens solides. Un partenariat de ce type, s’il veut être solide sur le long terme, ne peut pas se faire sans liens capitalistiques. Dans les affaires, il n’y a pas de liens forts si l’on ne trouve pas des moyens de partager correctement la valeur ajoutée.

Quelles sont les forces d’un laboratoire comme le vôtre face à un ‘grand’ étranger?

«Autant nous étions en retard sur le plan statutaire, autant nous avons un modèle exportable dans d’autres pays, qui n’ont pas encore terminé leur restruc­turation, même si les possibilités légales le leur permettaient. Nous avons pour le moment une plate-forme technique centralisée à Esch-sur-
Alzette. Nous avons en parallèle presque une cinquantaine de centres de prélèvements à travers tout le pays. Cela veut dire que nous avons des compétences dans la gestion de la logistique biologique. Ce modèle ne s’est pas encore imposé dans les pays voisins…

En France, par exemple, vous avez environ 48.000 laboratoires indépendants, la plupart de petite taille. Ceci dit, le pays ne reste pas inactif. Le marché est en train de se structurer, par département et par région principalement. Le Luxembourg, avec sa taille, bénéficie donc d’une expérience, que nous pouvons aider à transférer vers des partenaires intéressés…

Que gagnez-vous dans le partenariat?

«Une chose évidente: le volume d’analyses nécessaire… Au moins pour certaines analyses. Il faut prioriser ses actions. Nous devons nous développer et nous diversifier à partir du Luxembourg. Cette diversification apportera des avantages, tant au pays – sur le plan économique – qu’à sa population – par la variété et la qualité des tests disponibles.

Ensuite, nous devons nous diversifier sur un marché géographiquement plus large. Des dossiers existent déjà, des cliniques sont intéressées, en France, à nous sous-traiter une partie de l’analyse. Nous nous sommes notamment intéressés à la reprise des activités d’analyse biologique du groupe Alpha Santé à Mont-Saint-Martin, et nous sommes en train de travailler sur d’autres dossiers.

Pour revenir au développement de l’entreprise, la sous-traitance de prestations d’analyse du public vers le privé est également une piste intéressante. Nous sommes en effet capables de proposer à différents hôpitaux à l’étranger des modèles qui permettent de diminuer les coûts d’analyse de leurs prélèvements… Pourquoi pas au Luxembourg?

Les hommes politiques portent-ils une attention suffisante au secteur de la santé au Luxembourg? «Le secteur de la santé est un créneau économiquement porteur. Je suis convaincu qu’il s’agit d’une des alternatives pour le développement du pays, surtout lorsque l’on a constaté combien le secteur financier pouvait être fragile.

Les technologies de la santé sont des activités de pointe sur le plan économique. Qui dit santé, dit médical. Et aujourd’hui, dans le médical, les évolutions technologiques sont de plus en plus pointues. A mon sens, il est nécessaire de mettre ce secteur sous une double tutelle. Au ministère de la Santé, la surveillance de l’aspect médical; au ministère de l’Economie, la surveillance des différents aspects technologiques et économiques.

Au niveau européen, les biotechnologies sont encore faiblement développées. Pourquoi ne pas travailler pour les implanter au Luxembourg. Si l’on réussit à grandir, à s’adosser au bon partenaire, et à mettre en place le bon environnement économique, le Luxembourg peut acquérir dans ce domaine une puissance importante. Le pays pourrait alors se transformer en une véritable plate-forme, avec des solutions à exporter. Cela n’est possible que si l’on fait les choses vite.

Comment envisagez-vous, concrètement, votre développement dans le Grande Région?

«Il y a des laboratoires locaux avec lesquels nous pouvons collaborer. Nous pourrions avoir une politique de développement agressive, mais nous sommes plus à la recherche de discussions et de synergies, c’est-à-dire trouver la meilleure organisation, avec des partenaires locaux, et créer des plates-formes et des technologies relais, intégrées dans des partenariats et des capitaux croisés, pour qu’un véritable maillage pertinent du territoire soit créé.
Certaines analyses pourront ainsi être regroupées, en fonction des volumes qui permettront d’atteindre la taille pertinente. Il faut en effet trouver des moyens de couvrir les coûts des équipements d’analyse, tout en obtenant les résultats dans des délais utiles. Nos machines pèsent lourd, en poids et en finance… Et technologiquement, un analyseur est obsolète en trois à quatre ans… Mais il est impossible de l’amortir sur une telle durée! Et il faut parallèlement continuer à renouveler et à coller aux derniers développements technologiques.»

 

Parcours - En mouvement

Agé de 41 ans et d’origine alsacienne, Jean-Luc Dourson a obtenu son doctorat en pharmacie à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, suivi d’une spécialité «biologie médicale». Sa migration vers le Luxembourg passe par deux étapes. «J’ai commencé par être assistant hospitalier au Centre Hospitalier de Saverne. Je suis ensuite passé par un laboratoire privé à Metz pendant trois ans, pour voir comment les choses se passaient dans
le privé.» Il rejoint alors le Luxembourg par la voie de l’hôpital. «J’ai travaillé à la Clinique d’Eich, qui a depuis été intégrée au Centre Hospitalier de Luxembourg. J’ai ensuite rejoint le Centre Hospitalier Emile Mayrisch à Esch-sur-Alzette.
J’y ai travaillé à la mise en place de la plate-forme technique d’analyses médicales. C’est en 2003 que j’ai rejoint les Laboratoires Ketterthill.»
S’il n’a pas l’intention de changer d’entreprise, il continue cependant a faire bouger les choses: «Nous prévoyons de déménager en 2013 à Esch-Belval. Notre surface est insuffisante pour faire face à la progression de nos besoins. Ce nouveau lieu nous permettra de rester à un endroit stratégique, proche des trois frontières… et au contact de l’Université du Luxembourg, des centres de recherche et de la Cité des Sciences…»