Président du Cercle français des économistes (dans lequel on retrouve, entre autres, Lionel Fontagné, auteur en 2004 du rapport sur la compétitivité au Luxembourg), conseiller du directoire de La Compagnie financière Edmond de Rothschild, membre du Conseil d’analyse économique du Premier ministre français: le CV de Jean-Hervé Lorenzi, 61 ans, parle pour lui.
Son expertise et son franc-parler ont ouvert la seconde demi-journée des Journées de l’Economie, organisées à Luxembourg par l’Observatoire de la Compétitivité, la Chambre de Commerce et la Fedil, en collaboration avec PricewaterhouseCoopers. Il y a fait part de son inquiétude et de sa perplexité devant la situation actuelle, mais aussi de son grand espoir devant le plan de redressement américain présenté le 10 février dernier. «L’événement le plus important de ces deux dernières années», a-t-il indiqué.
Pourtant, le décor planté ces derniers mois n’a rien de vraiment réjouissant et l’ensemble des économistes du monde entier n’a guère été en mesure de prévoir la profondeur de la crise actuelle. «Beaucoup ont pensé qu’il suffisait de rééquilibrer les bilans des banques pour préserver l’économie réelle. Mais la réalité est plus complexe, autour de quatre sujets, liés entre eux, mais à traiter à la fois de manière simultanée et séparée: les bilans bancaires, le rééquilibrage des systèmes de financement des économies mondiales, les problèmes de l’offre et ceux de la demande».
L’année 2008, à ses yeux, a surtout été caractérisée par une rupture profonde, et pas uniquement par l’incroyable intensité de la propagation des dégâts causés de la sphère financière à la sphère économique globale. «Aussi parce que trois événements majeurs la marqueront à jamais, estime-t-il. En premier lieu, l’échec, voulu, du cycle de Doha, qui constitue un véritable refus des règles du commerce international telles qu’elles furent imaginées par le monde occidental. Puis l’incroyable volatilité des marchés énergétiques et des matières premières agricoles, qui a rendu extrêmement difficile une croissance mondiale forte. Enfin l’apparition du débat sur le protectionnisme. Qu’il y ait la tentation de protéger pendant quelques mois des centaines de milliers d’emplois mis en jeu, c’est normal. Mais il ne s’agit que d’une solution transitoire qu’il faut éviter de généraliser».
Un système qui disparaît
Evidemment, 2008 est aussi – et surtout – l’année de l’explosion de la crise, qui a commencé, dans le secteur bancaire, par «l’incroyable prolifération de produits financiers totalement désolidarisés de l’économie réelle, qui eux-mêmes n’auraient jamais vu le jour sans l’accroissement vertigineux des liquidités auquel on a assisté ces dernières années», résume-t-il. En moins de cinq ans, les réserves de change, principalement des pays exportateurs de pétrole ou de matières premières et des pays asiatiques, ont été multipliées par cinq. «Cette progression spectaculaire est à la fois l’illustration et la cause de l'extraordinaire dynamique de l'économie mondiale, et surtout de la non-stérilisation de ces réserves, constate-t-il. Ces réserves furent essentiellement investies en dettes libellées en dollars américains, pour plus de 2.000 milliards. La Chine, à elle seule, en totalise près du quart. Mais cette apparente réussite portait en elle les germes de la débâcle».
Tout n’a été ensuite qu’un sinistre enchaînement et le basculement des économies dans cette crise fut, pour M. Lorenzi, la conséquence du caractère insensé de cette création de liquidités. «Trop de liquidités incontrôlées et largement inutiles entraînèrent, à un moment déterminé, une véritable panique bancaire», explique-t-il, notant, au passage, que c’est la première fois, dans l’histoire des crises, que l’accroissement des primes de risque précède les défaillances des entreprises.
Jean-Hervé Lorenzi identifie également, à l’origine de cette crise, une certaine incapacité des multiples formes de capitalisme, qu’il juge largement antagonistes, à trouver des lieux de négociation et de conciliation. «Ceux qui existent, comme le FMI, la Banque mondiale ou le G8, sont aujourd’hui en train de disparaître, note-t-il. C’est pourquoi des crises comme celles de l’énergie, de l’OMC ou des fonds souverains ne peuvent aujourd’hui trouver de solutions», tranche-t-il.
Et d’indiquer un chiffre très révélateur: entre 2002 et 2007, le monde a fabriqué de l’ordre de 15% de liquidités à l’échelle mondiale, alors que l’économie réelle n’a affiché une croissance que de 5%. «Aujourd’hui, faute d’un consensus sur la gravité de la crise, nous nageons en pleine confusion. La conséquence de cette défaillance? Une avalanche de chiffres incertains, imprécis, au contenu non défini».
Agir de manière coordonnée
Les annonces régulières de plans de relance, incitations fiscales et autres soutiens au crédit pourraient être de nature à redonner de l’optimisme, tant la prise de conscience est internationale et la mobilisation générale par delà les frontières. Mais le revers de la médaille est qu’il apparaît une certaine confusion autour du concept même de «relance». «Chacun croit qu'elle est synonyme de déficit budgétaire massif et de retour absolu à un keynésianisme simplifié, note par ailleurs M. Lorenzi. Or tel n'est pas le cas. Il y a autant de plans de relance que de politiques économiques».
La différence se fait alors sur l’ampleur de ces plans de relance, leur insertion plus ou moins poussée dans des dispositifs coordonnés entre Etats ou encore leur mode de financement. «A cet égard, le plan européen tel qu'il a été présenté est politiquement intéressant, mais faible par rapport à ces critères. Il est d'une dimension insuffisante, sans véritable intervention de l'Allemagne, qui est la première puissance du continent, peu coordonné entre les Etats et n’offrant aucun choix entre l'offre et la demande».
Le plan américain, présenté le 10 février par le secrétaire au Trésor Timothy Geithner, et qui pourrait atteindre les 1.500 milliards de dollars, trouve davantage grâce à ses yeux, car il attaque de front l’ensemble des quatre axes évoqués précédemment. «Les Etats-Unis ont besoin d’un plan de relance qui couvre quelque chose de l’ordre de 3 à 4% de leur PIB et c’est ce qu’ils sont en train de faire, constate-t-il. Ce plan est très bien conçu. Les marchés l’ont très mal compris et c’est bon signe. En Europe, on est très en dessous du sujet. On a évoqué 200 milliards d’euros, ce qui n’est pas énorme. Aucun des pays européens n’a vraiment pris la mesure du phénomène, même si l’Allemagne commence à s’en approcher».
Pour lui, tout plan de relance doit obéir à quatre obligations incontournables: afficher une ampleur quantitative, une cohérence qualitative, l’émergence d’un vrai projet qui ne se limite pas à injecter de l’argent dans le système et la mise en place de modalités de financement adaptées.
«En Europe, nous n’avons pas encore suffisamment traité le sujet, ni par l’ampleur, ni par la diversité, ni par le contenu. Peut-être parce que l’Europe a du mal à traiter les sujets de manière coordonnée. Mais j’ai confiance dans les travaux de l’Eurogroupe et sa capacité à trouver les solutions qui s’imposent».
Les Journées de l’Economie 2009
Voir l’interview vidéo de Didier Mouget (PricewaterhouseCoopers) ICI
Voir l’interview vidéo de Nicolas Soisosn (Fedil) ICI