Jean Guill laisse à son successeur le chantier de la gouvernance de la CSSF.  (Photo: Luc Deflorenne / archives)

Jean Guill laisse à son successeur le chantier de la gouvernance de la CSSF.  (Photo: Luc Deflorenne / archives)

M. Guill, vous quittez la CSSF avec quel sentiment et quel bilan?

«Il y a des échéances et je m’y étais préparé tout au long de l’année 2015. D’un côté, c’est un sentiment de satisfaction, car notre bilan n’est pas mauvais. Non seulement sur les six dernières années, mais aussi sur l’ensemble de ma carrière. Je pense avoir contribué à faire évoluer la place financière et donc le Luxembourg. Je suis aussi un peu soulagé de ne plus être obligé tous les jours d’être sur le qui-vive et de prendre des décisions. Il y a plus de trente ans que je suis un exécutif.

N’êtes-vous pas un peu inquiet que votre successeur provienne de la banque privée? N’y a-t-il pas un risque de retour de manivelle qui pourrait faire de l’ombre à la réputation de la CSSF et du Luxembourg?

«Claude Marx est en poste depuis le 1er janvier. Il est très au fait des devoirs et des obligations de la CSSF. Il a la même conception du rôle du régulateur que la direction qui était en poste ces dernières six années. Ça ne m’inquiète pas que quelqu’un vienne du secteur privé. C’est probablement une bonne initiative de faire le va et vient entre secteur privé et secteur public, ce qui est coutumier dans bien d’autres pays et qui permet d’instiller dans les vues du régulateur les visions de quelqu’un ayant vécu de l’autre côté du miroir et qui sait très bien comment fonctionne une banque ou une entreprise d’assurance. La combinaison au sein de la direction de la CSSF de gens présents depuis longtemps et d’un directeur provenant de l’extérieur fonctionne très bien. Comme on dit en cuisine, ça prend.

Vous avez initié il y a deux ans des avant projets pour d’une part renforcer la gouvernance de la CSSF, et d’autre part durcir les sanctions du régulateur. Où en est-t-on?

«Nous n’avons nullement l’intention de révolutionner quoi que ce soit, comme je l’ai déjà écrit dans le rapport annuel 2014. Mais la CSSF, par la force des choses, a énormément changé ces dernières années. Elle est devenue plus grande et a obtenu des compétences dans des domaines très diversifiés, et la réglementation s’est complexifiée à l’extrême. Cette croissance et cette complexité nous obligent à revoir la gouvernance de la CSSF. Il s’agit d’abord d’un toilettage du texte de 1998 qui n’est plus en très bonne forme ni bien lisible, même s’il n’y manque rien d’essentiel.

La loi de 1998 n’est pas très longue et nous ne voulions pas y faire un nouveau rapiéçage. Nous voulions tenir compte des remarques faites entre autres par le Fonds monétaire international sur la gouvernance et l’indépendance de la CSSF. Dans la pratique, ça ne changera pas grand chose, car je n’ai jamais vu quelqu’un se mêler de notre mission prudentielle. Il s’agit de tenir compte du fait que nous sommes maintenant membre à part entière du système de surveillance financière européen. Le ministre a répondu, via une question parlementaire, qu’il voulait faire les choses par étapes. Moi je veux bien. L’essentiel c’est le fonds des choses.

Dans le domaine des liquidations autres que celle des banques, où la situation est claire depuis les lois sur les résolutions depuis décembre, nous ne sommes pas suffisamment équipés. Pour les autres entités à liquider, les textes manquent d’uniformité et notre rôle n’est pas assez explicite. Quelque chose est vraiment à faire.

Pour ce qui est des sanctions, des problèmes juridiques se posent et vous pouvez d’ailleurs le constater dans chaque avis du Conseil d’État dès lors qu’il s’agit de transposition de directives européennes qui imposent aux États membres de prévoir des sanctions appropriées et dissuasives, c’est-à-dire en proportion avec la faute ayant été commise et le gain en ayant été tiré. Il est nécessaire de disposer de procédures très claires, respectant les droits de la défense.

Vous voulez aller vers des sanctions équivalentes à celles qui sont prévues dans le droit de la concurrence.

«C’est bien ça. Il faut une proportionnalité en relation avec le gain que l’irrégularité a permis de retirer.

Jusqu’où voulez-vous aller?

«Ça pourrait être le gain, 100%, ou bien un certain pourcentage.

L’avez-vous explicité dans l’avant-projet de loi?

«Il ne s’agit pas du projet relatif à la CSSF, mais un autre projet, déposé il y a deux ans, et qui dans l’intervalle devrait être également adapté. D’après mes informations, ce projet sur les sanctions devrait être déposé encore cette année-ci.

Le Conseil de la CSSF reste sans vice-président, pourquoi?

«Le Conseil a uniquement des compétences en matière budgétaire, sans rapport avec le fond de notre travail. On n’y discute jamais de questions prudentielles.

Vous savez aussi que l’apparence compte beaucoup, et la présence de fonctionnaires siégeant également dans des conseils d’administration de banques surveillées par la CSSF a été pointée du doigt.

«C’est clair. L’évolution de la composition du Conseil est d’ailleurs probablement due aux discussions ayant eu lieu à ce propos, même si elles n’étaient pas, quant au fonds, justifiées. Mais les apparences sont importantes.

Faut-il que la présidence du Conseil soit octroyée à un haut fonctionnaire du ministère des Finances?

«Je trouve ceci naturel pour un établissement qui politiquement dépend du ministère des Finances. Il y a aussi une logique qu’une majorité de gens représente le secteur étatique. D’un autre côté, il est également naturel que le Conseil représente le secteur et que les gens qui paient y siègent et aient leur mot à dire sur le budget, c’est un principe de la démocratie à la base, entre autres, des États-Unis d’Amérique.

La face de la représentation du secteur financier a d’ailleurs changé. Ce ne sont plus les présidents, c’est-à-dire des CEO de banques ou de sociétés de gestion, qui siègent, mais les directeurs généraux, qui sont en quelque sorte des ‘fonctionnaires‘ de leurs associations représentatives.

Il est vrai que nous n’avons pas de vice-président depuis longtemps. Il appartient au ministre de le nommer et nous lui relevons ce fait à l’occasion. Ça ne gêne pas trop le déroulement des affaires pour autant que le président soit présent. Du temps où je l’étais, ça n’avait pas posé de problème, car j’étais tout le temps là et mon vice-président n’avait rien à faire. C’est utile aussi pour obtenir le quorum des réunions.

La CSSF a longtemps eu la réputation d’être plus proche des banques que des investisseurs. Le ministre des Finances a récemment déposé un projet de loi pour délimiter les contours des investisseurs dans un but de protection.

«C’est vrai que nous essayons de faire beaucoup plus de distinction entre ce qu’il est permis d’offrir aux investisseurs professionnels et ce qu’il est interdit de vendre aux investisseurs de détail. Chaque fois que le déposant de détail est impliqué, nous exigeons davantage de protection.

Il y a deux facettes. Avec le projet de loi sur les fonds alternatifs réservés, nous ne contrôlerons plus le produit, mais celui qui le vend. Il y a là plus de liberté. Les investissements dans du vin, des diamants ou des chevaux, difficiles à liquider et encore plus à valoriser, seront réservés aux investisseurs professionnels.

Nous deviendrons plus stricts pour les investissements faits par Monsieur ou Madame tout le monde. L’un est la contrepartie de l’autre.

La CSSF emploie 640 agents. La surveillance coûte-t-elle trop cher au Luxembourg?

«Il est vrai que la surveillance coûte de plus en plus cher, mais c’est partout pareil en raison du surcroît de régulation et des exigences de plus en plus poussées. Mais c’est le prix à payer d’une bonne régulation et les souhaits des politiques en réponse à la crise financière.

Qu’est-ce qui coûte cher à Luxembourg par rapport à d’autres Places?

«Nous essayons de ne pas être les plus chers. Le prix n’est d’ailleurs qu’un élément et la CSSF n’en n'est qu’un. Par exemple, quelqu’un qui fait faire un prospectus d’émission devra aussi payer un avocat, un comptable et un auditeur. Nous sommes un facteur de coûts et nous en sommes conscients. Lorsque nous fixons nos taxes, nous avons ça en tête. D’un autre côté, si nous comptons aujourd’hui plus de personnel, c’est que nous devons comparer notre taille à celle de la place financière et non à la taille du pays.

Les taxes vont-elles augmenter?

«Nous pratiquons une politique de taxes à long terme, ce qui fait que le niveau des taxes doit pouvoir se soutenir pour environ cinq ans.

Où en êtes-vous?

«Nous sommes au milieu du gué. Le dernier règlement grand-ducal sur les taxes remonte à 2013. Donc pour l’instant, nous avons réalisé un bénéfice.

Vous assurez n’avoir jamais eu de pression du ministère des Finances. En avez-vous subi de la part du secteur financier?

«Le secteur financier fait son travail, c’est normal que si un opérateur introduit une demande, il veuille qu’elle soit acceptée. La pression n’est pas le bon mot.

Quel est le bon terme alors?

«Il est normal que quelqu’un demande où en est son dossier.

Comment décririez-vous vos relations avec le ministre des Finances actuel? Elles n'ont pas été si géniales par rapport à celles que vous aviez avec son prédécesseur Luc Frieden.

«Nous avons quand même eu de bonnes relations avec notre ministre. Il est vrai que j’ai travaillé étroitement avec Luc Frieden au ministère des Finances pendant 11 ans, donc forcément, on se connaissait bien. On était plus habitués, quoi! Avec Pierre Gramegna, on se connaissait depuis longtemps sans avoir travaillé ensemble.

Au sein de la direction, avez-vous eu des dissensions dans le collège vous ayant obligé à recourir au vote?

«Ce fut très consensuel. S’il y a une chose que je peux dire c’est que cette équipe de direction a fonctionné parfaitement, du début jusqu’à la fin. Nous n’avons pas recouru à un vote une seule fois. Nous avons toujours pu trouver un consensus, sans jamais nous quereller.  Je dois dire un grand merci à cette équipe.

Qu’allez-vous faire maintenant? Allez-vous ouvrir une société de consultance en matière de gouvernance?   

«Je n’en n'ai pas du tout l’intention. D’abord, je vais prendre des congés. Je ne suis pas à la recherche d’un emploi à temps plein, mais je regarde simplement à gauche et à droite ce qui peut être intéressant dans le domaine que je connais encore.  

Quel âge avez-vous?

«65 ans à minuit le 4 février. C’est pour ça que je dois partir. C’est la guillotine (rires).

Votre prédécesseur Jean-Nicolas Schaus a quitté son poste bien après ses 65 ans, puisqu’il avait rempilé pour deux ans.

«Trois ans même. On peut, si c’est accepté – car ça peut aussi être refusé – obtenir des prorogations de son mandat trois fois pour une année à chaque fois.

Vous ne l’avez pas demandé?

Très franchement, si ça avait été pour un mandat d’une fois trois ans, je ne peux pas dire si j’aurais refusé ou non. Mais une prolongation de trois fois un an ne me disait rien, car elle n’offrait aucune perspective. Il faut quand même avoir une vision et des perspectives plus lointaines devant soi.»