Son nom est Jean-Claude Schlim. Il est sans conteste le producteur exécutif le plus indépendant et le plus actif du Grand-Duché. Tous les métiers du cinéma luxembourgeois lui doivent une fière chandelle. Même le Grand-Duc l'aura constaté. Et récompensé. Comment faire pour être sacré chevalier? Mode d'emploi.
Il ne faut pas croire que la combine marche à tous les coups. Et que devenir "line producer" ("producteur exécutif" en français) suffit pour se voir élu détenteur de l'ordre du mérite. Car en principe, ce sont plutôt les réalisateurs, producteurs ou scénaristes qui se voient décerner cette récompense.
Si Jean-Claude Schlim a été néanmoins consacré Chevalier par S.A.R. le Grand-Duc Henri à l'occasion de la Fête Nationale 2002, ceci est dû au fait que celui qui est désormais également membre de la commission consultative auprès du Ministère de la Communication en a tout simplement fait plus que les autres.
En se détachant de toute maison de production tout d'abord. Son statut d'indépendant lui aura ainsi donné l'occasion de travailler pour les sociétés de son choix. En s'engageant pour tous les techniciens du métier ensuite. Pas facile de participer à la constitution d'un lobby puis à la défense de toute une gamme de métiers qui,jusque-là,ne connaissaient aucune protection au Luxembourg de par le fait que, dans un passé tout proche, ils n'avaient pas encore de raison d'exister.
Mais commençons par le commencement. Qu'est-ce qu'en fin de compte un line producer? Tout le monde croit savoir ce qu'est le producteur d'un film. Mais lorsqu'on y rajoute le qualificatif théorique "exécutif", cela donne quoi en pratique?
Définition du métier
En ce qui concerne Jean-Claude Schlim, c'est tout d'abord comme "location manager" que sa carrière aura démarrée après des études à l'Ecole Supérieure d'Etudes Cinématographiques de Paris (section production, bien évidemment). Comme le dit le nom, le "location manager" s'occupe des endroits de tournage. A lui de sillonner le pays à la recherche de châteaux ou de villas, de forêts ou d'autoroutes. Fastoche, dîtes-vous? Détrompez-vous.
Assurément, le pays regorge de tout cela. Ce qui ne veut pas dire que: a) l'endroit se prête à un tournage (problèmes d'époque ou de genre); b) il soit disponible aux dates exactes du tournage; ou c) le propriétaire des lieux soit disposé à le mettre à disposition selon des conditions acceptables. Il ne suffit donc aucunement de débarquer quelque part et de crier: "j'ai trouvé!". Car ce n'est là que le début d'une (parfois très longue) mise en place et de négociations qui peuvent s'avérer pénibles par la suite.
Et puis il y a le problème du renouvellement. On ne peut pas ramener chaque tournage sur les mêmes lieux sous prétexte que l'organisation y était plus facile qu'ailleurs. L'occupation comme location manager n'est en vérité qu'une part ciblée de l'ensemble des travaux dont la responsabilité incombe au producteur exécutif. Celui-ci laisse la responsabilité de trouver les fonds pour le financement au producteur principal, lui-même reprendra après cela le financement global mis à disposition et le gérera tout en le subdivisant et en s'occupant du déroulement intégral du tournage en cours. Lequel débute, pour le line producer, à la phase de pré-production.
Engager du personnel, établir les contrats, s'occuper des assurances en font partie. Voilà pourquoi la durée d'un tournage peut pratiquement être doublée pour le producteur exécutif par rapport à celle du technicien normal. Il arrive pour Jean-Claude qu'uniquement un travail de supervision lui incombe. Cela arrive lorsqu'un tournage étranger bien rôdé débarque à Luxembourg dont le projet n'a pas été conçu ici et qui se limite à insérer des plans tournés chez nous.
Ce fut le cas, par exemple, pour le long-métrage allemand "Porta Westfalica", dont le tournage luxembourgeois a commencé au mois d'avril et qui devrait se terminer après une dizaine de semaines début août. Sur ce projet, il est évident que seule la partie grand-ducale incombe à celui qui sera appelé, pour les besoins de la cause "supervising line producer".
Porta Westfalica
Dans la carrière de Jean-Claude Schlim, cette production, qui est en fait un genre de "Taxi" à l'allemande, ne figurera pas parmi les projets qui l'auront particulièrement marqué. Cinéphile jusqu'au bout des ongles, Schlim préférera tout petit film d'auteur tourné dans l'urgence par des cinéastes fauchés mais qui y mettent toute leur passion.
Or, "Porta Westfalica" est tout à fait le contraire. C'est à dire une grosse machine drainant un budget de 7,5 millions de dollars rien que pour le tournage au Luxembourg. En l'occurrence, la production est dirigée par une équipe désireuse de faire raisonner le tiroir-caisse à l'aide des moyens les plus commerciaux. Si notre superviseur national n'est pas friand de ce genre de produits en tant que spectateur, il ne va cependant pas cracher dans la soupe quant aux conséquences pour le Grand-Duché.
Il se trouve que cette année était plutôt pauvre en tournages nationaux et que ce film-ci a fini par livrer du boulot à presque 150 techniciens du secteur local. Constantin, la société de production allemande, étant des plus sérieuses et les rapports du sieur Schlim avec l'Administration des Ponts & Chaussées grand-ducale des meilleures, l'accord fut bien vite trouvé pour tourner une grande partie de ce film aux poursuites en voitures rocambolesques sur la nouvelle axe d'autoroute qui lie Luxembourg à Sarrebruck.
Au niveau technique, à part le travail des cascadeurs qui viennent d'Allemagne, tous les corps de métier ont pu être engagés sur base d'équipes nationales. Ce qui était loin d'être le cas il y a quelques années encore. Pendant cette période transitoire, on acceptait tout et on s'organisait sur le tas en improvisant dans pas mal de domaines. C'est ainsi que la profession luxembourgeoise s'est assurée sa phase d'apprentissage.
Petits problèmes à gros budgets
L'avantage des films à gros budgets pour le Luxembourg, selon Schlim, c'est qu'ils nourrissent la profession jusqu'au dernier porteur de câbles. Vu l'inexistence dans de la plupart des métiers de cette branche au Grand-Duché il y a à peine quelques années, aucun statut n'assurait l'existence des travailleurs du cinéma à l'époque. Entre-temps les dés ont été lancés et même si quelques points du statut se doivent d'être fignolés un peu plus, il a été démontré que les ministères compétents (Culture et Communication) se montrent plutôt ouverts à une collaboration fructueuse. Fait rassurant, ils assurent au moins un revenu de base aux professionnels en cas de chômage technique.
Si un film comme "Porta Westfalica" a le mérite d'éviter le chômage des ouvriers du secteur à 100% - et nous voilà arrivés au désavantage d'une telle entreprise ? il en bloque aussi la totalité des spécialistes. Comme l'industrie cinématographique reste un territoire assez modeste et hésitant en nos régions, il serait donc erroné d'afficher des ambitions hollywoodiennes et de tout miser en permanence sur des superproductions.
La chanson est connue dans tous les secteurs commerciaux: qui se livre aux volontés d'un seul client se rend de plus en plus dépendant. Il est donc indispensable de continuer à travailler avec des petites maisons sur des projets modestes mais ambitieux de par leur scénario. Et de ne miser sur une machine d'envergure gigantesque que de temps à autres, et plus particulièrement en période de vaches maigres.
En évoquant un passé un peu plus éloigné, à savoir celui du tournage de "An american werewolf in Paris" (1996), Schlim se met à sourire, car ce fut un de ces tournages ambitieux, bourrés de décors et d'effets spéciaux, dont nous n'avions pas du tout la pratique. C'est grâce à ce film de genre qui a été nominé aux MTV Movie Awards et récompensé au Festival de Paris comme à celui de Gérardmer, que nos techniciens en herbe ont appris moult détails sur leurs métiers et les limites de Luxembourg par rapport à certaines sophistications de tournage. En fin de compte, et malgré les problèmes ponctuels, le film s'est tourné selon convention et tout le monde s'en est sorti grandi. Sauf qu'il ne fera pas obligatoirement partie, lui non plus, des meilleurs souvenirs de travail du producteur délégué.
Les chouchous de Jean-Claude
En ce qui concerne la partie "people" dans la vie professionnelle de Jean-Claude Schlim, il y a quelques bonnes douzaines de personnalités qu'on pourrait évoquer à titre de références. S'il ne s'agit que de notoriété publique, Nicolas Cage, John Malkovich, Willem Dafoe forment un trio qui suffirait à faire l'affaire dans la section des castings de films dont il a assuré la gestion de production.
Evidemment, Catherine Deneuve, Toni Colette, Gérard Depardieu ou Julie Delpy sont aussi passés chez nous. Jean-Claude a même été témoin des derniers tournages d'Eddie Constantine et de Philippe Léotard (tous les deux sous la direction de Pol Cruchten) avant leur décès respectif.
Et il n'y a pas que les acteurs. On peut y rajouter toute une gamme d'artistes de renommée internationale appartenant à des registres aussi différents que celui du chant et de la pantomime. Ainsi, Marcel Marceau, Manu Dibango, Cesaria Evora, Barbara Hendricks ou Charles Aznavour ont eu droit à la serviabilité de Jean-Claude. Mais pour quelqu'un qui reste surtout attaché à ses coups de coeur, ce ne sont pas forcément les plus notables parmi les personnalités qui resteront gravées particulièrement dans sa mémoire. Au contraire.
Un Pol Cruchten avec lequel il a partagé les bancs d'école, et avec qui il a cumulé les premiers problèmes de tournage avec "Somewhere in Europe", puis partagé les suites de catastrophes naturelles et d'accidents ponctuels au Cap Vert pendant le tournage de "Black Dju", lui restera forcément toujours plus proche que n'importe quel réalisateur d'une grande production commerciale bien huilée mais finalement impersonnelle.
De Roman Coppola (fils de Francis) il gardera éternellement en souvenir l'intensité et la passion créatrice. Même si "CQ" n'a pas été primé à Cannes (c'est d'ailleurs lors d'un festival qu'ils ont sympathisé sur la Croisette) et si le film reste parmi les produits plutôt confidentiels, Jean-Claude en aime toutes les images et les mille facettes. Il faut bien avouer qu'à la vision d'extraits fignolés avec amour de ce film on peut sentir le côté engagé du cinéaste et la nostalgie bien reconstituée d'un passé à la mode (le film joue à l'époque de "Barbarella" et toutes les tendances saugrenues de l'époque sont sur l'écran).
Aussi bien que les perfectionnistes, Schlim aime les personnages entiers. Qui s'identifient à cent pour cent à leur personnage publique. Tel un Udo Kier, qui est devenu un vrai ami, mais auquel il vaut mieux ne pas trop se fier de par le fait qu'il préférera toujours son rôle officiel de personnage sulfureux à celui de l'être sensible qui se cache derrière l'image d'icône qui a séduit au même titre Madonna que Keith Hearing ou le photographe Robert Mapplethorpe. Udo fait désormais partie de la famille cinématographique luxembourgeoise tout comme de celle appartenant au clan de Lars von Trier.
Et comme il se sent très à l'aise au Grand-Duché, il est à prévoir qu'il sera présent aux côtés d' Amanda Plummer, qui avait été sollicitée à l'époque par Luc Besson pour "Jeanne d'Arc" mais avait avoué à Jean-Claude son manque d'envie de faire le casting, pour faire partie de la distribution...du premier film signé Jean-Claude Schlim en tant que réalisateur, scénariste et producteur.
Le projet
Nous n'en dirons pas d'avantage sur ce projet. Sauf que nous avons eu le plaisir de lire le scénario et qu'il nous a plutôt surpris. Car un producteur exécutif, et serait-il le meilleur au monde, ne fait pas obligatoirement un bon scénariste. Or, en s'adjoignant les services d'un jeune homme qui semble bien manier le verbe écrit, le sieur Schlim semble avoir fait un bon choix.
Avec une histoire qui repart une vingtaine d'années en arrière, il risquait d'incommoder les jeunes d'aujourd'hui. Mais comme ce sont justement eux qu'il cible, il a bien fait de s'associer à quelqu'un de jeune qui aujourd'hui à l'âge des personnages du film se déroulant dans les années quatre-vingt.
Ce scénariste associé n'a pas connu l'époque mais s'est montré désireux d'approfondir ses connaissances. En ce qui concerne l'ossature de la trame, il faut avouer qu'elle ressemble à celle de beaucoup de films ou téléfilms s'étant auparavant appropriés la problématique (n'insistez pas, elle aussi restera un secret dans un premier temps).
Mais la façon dont les personnages ont été fignolés avec leurs petites personnalités respectives nous a interpellée de telle façon que le script a été lu d'une traite et nous avons même fini par nous attacher à des personnages bien en chair et en os, au point qu'à la fin de la lecture, il nous prenait l'envie pressante de découvrir tout ce beau monde sur grand écran.
Sachant que les scripts font en général la part pauvre du cinéma luxembourgeois, voilà déjà un sacré avantage. Delux ayant déjà promis sa participation et les avances au développement du script ayant été dépensés, il ne reste plus qu'à attendre la suite de l'aventure.
Si elle se fait attendre, ce n'est pas Jean-Claude Schlim qui devrait manquer pas de pain sur la planche. Il y a comme des rumeurs que Kevin Spacey va débarquer à Luxembourg le temps d'un tournage. On parle même de la présence d'Al Pacino dans un autre casting. Qui d'autre que notre line producer numéro un pourrait au mieux leur assurer le bon déroulement de leurs rêves en celluloïde?
Claude Neu