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Entretien avec Marc Neuen, administrateur délégué de Synapse S.A. société luxembourgeoise qui a développé Luxjob.lu, le premier site luxembourgeois de l'emploi. Luxjob, le leader des sites de recrutement online au Grand-Duché s'est fait racheter par Monster/TMP Worldwide. Quels sont les enjeux et perspectives d'une telle acquisition, non pas pour Monster/TMP Worldwide, mais pour ceux qui ont accepté de se faire racheter.

Monsieur Neuen comment s'engage une démarche comme le rachat de Luxjob/Synapse par Monster/TMP Worldwide?

Pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie, les motivations qui vous ont amené à prendre une telle décision. De qui est venue l'initiative? Comment se construit un rachat comme celui de Lux-job/Synapse par Monster/TMP Worldwide?

Monster.be a été lancé en 1999, quelques mois après le lancement commercial de Luxjob. Ayant été informé de notre initiative par le biais d'un organe de presse luxembourgeois, le "country manager" de la Belgique a pris contact avec nous. Nous avons alors rapidement conclu un contrat de collaboration commerciale, permettant aux clients de Luxjob de publier des annonces sur Monster.be et vice-versa. Cette collaboration s'est très bien déroulée et a permis à chacun d'apprendre à connaître (et à apprécier) l'autre partenaire. Au printemps 2000, Monster acquiert un site en Ecosse et, comme tout se déroule à merveille, ils nous proposent de les rejoindre, avant tout pour renforcer leur position au Benelux. Ensuite, tout va très vite.  Même si les négociations et les contrats étaient vraiment "à l'américaine", tout le deal fut clôturé en 3 mois. Il faut dire qu'on a eu la chance de traiter directement avec les décisionnaires de TMP, leur vice-chairman s'étant rendu au Luxembourg, ceci facilita les prises de décisions rapides.

En ce qui concerne les motivations, notre intérêt était largement influencé par des considérations stratégiques à moyen terme. Luxjob s'est toujours positionné au Luxembourg comme le site offrant, de loin, les meilleurs services interactifs pour faciliter la recherche aux employeurs et aux candidats. Les nouveaux développements devenant de plus en plus complexes, on aurait probablement eu des difficultés à conserver cet avantage compétitif à moyen terme. La meilleure solution, était de rejoindre le leader mondial en la matière, qui occupe quelques 200 personnes au développement de nouveaux services. Nous bénéficions, de cette façon, de technologies qu'aucun concurrent au Luxembourg ne pourra jamais égaler. Il faut dire que les services développés actuellement par Monster sont magnifiques et que les employeurs et candidats en seront certainement les premiers gagnants.

Pour ce qui est de la mise en place du rachat, on a constitué une nouvelle société, appelée Synapse Internet Services SA, qui a repris toutes les activités autres que Luxjob ainsi que le personnel attenant. De cette façon, Synapse SA ne comportait plus que l'activité Luxjob et ses 5 employés, ce qui nous permettait de vendre la société entière à TMP. Synapse Internet Services SA exploite donc actuellement les autres "anciennes" activités de Synapse SA (AssuranceS.lu, E-Name et un nouveau site immobilier qui sera lancé d'ici peu) avec une équipe de 4 personnes.

L'acquisition s'est faite par un échange d'actions, pouvait-on lire dans le communiqué officiel. Quel est le montant d'actions déboursé par TMP Worldwide? Et quel était le complément de prix payé en cash?

Étant rentable depuis fin 1999 et en pleine croissance, nous étions, en 2000, dans une situation intéressante pour les négociations financières, car l'évaluation de la société ne s'est pas faite sur l'historique financier mais sur les projections pour les prochaines années. Le montant de la transaction ne peut pas encore être communiqué à ce jour, et de toute façon, il ne signifierait pas grand-chose, car comme le rachat s'est fait à 100% par un échange d'actions, la valeur fluctue chaque jour allègrement avec le cours boursier.

Pour Monster, acquérir Luxjob veut dire devenir "incontestablement leader au Benelux (?) et être le seul service de recrutement en ligne disposant de sites bien établis dans les trois pays" et renforcer ainsi sa stratégie d'expansion en Europe. Qu'est que cela signifie pour Luxjob? Comment voyez-vous désormais l'avenir de l'actuelle structure derrière le nom Luxjob?

Cela signifie beaucoup pour Luxjob? et pour ses utilisateurs. Il y a tout d'abord l'intégration des nouveaux services développés au niveau mondial par Monster, ce qui nous rend difficiles à battre par d'éventuels concurrents à ce niveau. Avec notre position de leader luxembourgeois (nombre d'annonces, utilisateurs, CVs, pages visités, ?) et l'appui financier d'un groupe capitalisé à quelques 5 milliards de dollars, je pense que nos concurrents qui pensaient pouvoir nous "anéantir à la longue" peuvent abandonner cette idée.

Finalement, faire partie du réseau Monster nous ouvre aussi d'autres horizons géographiques. Même si Internet ne connaît pas de frontières, il est évident qu'il est difficile de faire connaître un site luxembourgeois à l'étranger, alors que notre économie a de plus en plus besoin de ressources humaines internationales. Nous pouvons maintenant profiter de la notoriété de Monster dans nos pays voisins pour attirer des compétences au Luxembourg. Dans le même ordre d'idées, nous proposerons bientôt des solutions Benelux et nous réfléchissons à des concepts intégrés pour la grande région, ainsi qu'à des offres jumelées pour le Luxembourg et un ou plusieurs pays voisins.

Vous êtes un jeune entrepreneur, administrateur d'une start-up qui annonce faire des bénéfices. Désormais, avec le rachat par un acteur plus important que vous sur le marché européen, vous êtes un peu moins "patron', cela ne vous dérange-t-il pas?

Non. D'un côté, je crois personnellement que je peux beaucoup apprendre d'un tel groupe, de son organisation, de sa stratégie et de son expansion, et je m'en réjouis déjà.

De l'autre côté, Monster a eu l'intelligence (exceptionnelle pour beaucoup d'étrangers) de réaliser que le Luxembourg est un pays à part entière, et non pas une "annexe" de la Belgique, de la France ou de l'Allemagne. Le Luxembourg est donc traité de la même manière que les 8 autres implantations européennes, ce qui me laisse une liberté décisionnelle qui ne dévie pas trop de mon ancienne liberté. Il y a évidemment les "reportings" à faire, mais ceci est tout à fait normal pour une société cotée au Nasdaq, et je n'en deviendrai certainement pas plus bête. Il ne faut pas oublier non plus que Synapse avait aussi une dizaine d'actionnaires, auxquels je devais également des comptes en tant qu'administrateur délégué.

Finalement, toute l'équipe Luxjob est maintenue comme elle était. Nous continuons donc à fonctionner comme toujours et l'influence de Monster ne se ressent presque pas dans notre organisation quotidienne.

Est-ce flatteur d'intéresser les "grands" après plusieurs années d'engagement féroce?

C'est inimaginable. Il y a 2 ans à peine, nos bureaux se trouvaient dans un entre-sol et on se réveillait chaque jour avec la volonté farouche de se battre pour ne pas faire faillite. C'était très inquiétant, mais c'était aussi très intense. Personne n'aurait imaginé un tel dénouement. En l'espace de 2 ans, nous avons pu devenir leader du marché, malgré des concurrents beaucoup mieux implantés que nous et qui nous prédisaient notre disparition prochaine. Cette expérience m'a montré qu'avec beaucoup de sérieux, de persévérance et un peu de fantaisie, il est tout à fait possible de réaliser ses rêves. Et j'espère que ceci pourra donner la motivation et le coup de pouce nécessaires à d'autres jeunes entrepreneurs pour se lancer pleinement dans leurs folies.