Stéphanie Jauquet: «Je ne me suis jamais posée de barrières ou sentie différente des hommes qui m’entourent.» (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Stéphanie Jauquet: «Je ne me suis jamais posée de barrières ou sentie différente des hommes qui m’entourent.» (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Au Luxembourg, depuis plus de 20 ans, Stéphanie Jauquet est à la tête de plusieurs restaurants, comme Um Plateau, À Table, Tempo, ou encore la chaîne Cocottes. Un métier de passion pour cette indépendante qui tient à sa liberté.

Madame Jauquet, est-ce que vous considérez qu’il y a un management féminin?

«J’ai démarré en bas de l’échelle. J’étais à la plonge pour des petits boulots, puis vendeuse. Ce n’est pas toujours évident de s’imposer dans des cuisines qui sont tenues quasi exclusivement par des hommes. Mais j’ai cette légitimité, car j’ai connu tout ça, la confiance et le respect se gagnent dans la restauration.

Mon père est décédé quand j’étais très jeune. J’ai été élevée par ma mère et ma grand-mère. J’ai toujours eu cette ‘inconscience’ de ne jamais me définir comme une femme, mais comme un individu à part entière. De fait, je ne me suis jamais posée de barrières ou sentie différente des hommes qui m’entourent. Je suis ambitieuse, dans le bon sens du terme, je rêvais d’ouvrir mon propre restaurant.

Je pense que lorsqu’on est juste et qu’on respecte les gens, ça fonctionne. Je le vois par rapport à mon ex-mari, avec qui je travaillais. On pouvait le qualifier de tyran, il criait beaucoup. À long terme, ça ne marche pas avec les équipes. D’ailleurs, le recrutement est essentiel, il faut savoir bien s’entourer. Je fais confiance à mes collaborateurs. Sans ça, je ne pourrais pas avancer.

Il est plus facile d’avoir une femme comme interlocuteur, elle se mettra plus facilement à ma place.

Stéphanie Jauquet, gérante de plusieurs restaurants

Le secteur de la restauration est essentiellement dirigé par des hommes, pourquoi à votre avis?

«C’est vrai que comme, bien souvent, les chefs de cuisine sont des hommes, ce sont en même temps des chefs d’entreprise. Il faut de l’autorité pour être chef de brigade, c’est un métier difficile, stressant, qui laisse peu de place à la vie de famille... Je pense que cela effraie beaucoup de femmes.

Quelle mesure concrète faudrait-il mettre en place pour favoriser l’accès des femmes aux fonctions dirigeantes en entreprise?

«C’est toujours la même chose, c’est gérer l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle qui pose problème. J’ai été agréablement surprise d’avoir affaire à beaucoup de femmes dans la fonction publique au sein des ministères. C’est plus facile d’avoir une femme comme interlocuteur, elle se mettra plus facilement à ma place.

Si les femmes avaient plus de femmes en face d’elles pour demander un financement, pour lancer leur propre projet, cela aiderait, car c’est peut-être plus dur de se faire entendre face à un homme.

Je pense que beaucoup de femmes n’osent pas, tout simplement, et puis, d’autres secteurs, comme la petite enfance, sont à majorité écrasante dominés par les femmes. Est-ce qu’inconsciemment, elles se dirigent plutôt vers certains secteurs? Je ne sais pas.

En tout cas, jamais je ne donnerai de salaire différent à un homme et une femme, c’est évident.

Je suis très fière d’être indépendante.

Stéphanie Jauquet, gérante de plusieurs restaurants

Que pensez-vous du quota de 40% de représentants du sexe sous-représenté dans les conseils d’administration?

«Sur le principe, je voudrais privilégier les compétences, mais comme rien ne bouge, je comprends qu’on en arrive là. Ce qui me dérange, c’est que plus on parle pour se faire entendre, plus c’est montrer notre faiblesse quelque part.

En tant que cheffe d’entreprise, je dois avouer qu’il est difficile de remplacer un poste à responsabilité quand c’est une femme qui part pour plusieurs mois lorsqu’elle a un enfant, c’est quelque chose de lourd à gérer.

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous donner aux femmes qui veulent se lancer dans le monde de la restauration?

«Il ne faut pas se poser de questions, et comme je le disais, avoir cette inconscience de ne pas se sentir différente d’un homme. Je fais néanmoins partie d’une ancienne génération peut-être, où j’apprécie énormément qu’on me tienne la porte et qu’on paie pour moi au restaurant. L’homme comme chef de famille ne me dérange pas, il apporte cette sécurité et ce côté rassurant. Parallèlement, je suis très fière d’être indépendante, j’y suis très attachée, c’est peut-être paradoxal, mais c’est comme ça que je vois les choses.»

Retrouvez l’intégralité de la série #FemaleLeadership en cliquant ici.