Claude Wiseler n’est pas un partisan de la décroissance, mais d’une croissance maîtrisée. (Photo: Patrick Galbats)

Claude Wiseler n’est pas un partisan de la décroissance, mais d’une croissance maîtrisée. (Photo: Patrick Galbats)

Claude Wiseler, en 2013, le CSV était arrivé en tête du scrutin et il s’est retrouvé éjecté du pouvoir… Qu’est-ce qui peut empêcher aujourd’hui que cela se reproduise?

«Rien… sinon les électeurs! J’espère qu’ils voteront de façon claire pour que cette coalition ne puisse pas repartir pour un nouveau mandat. Je vois bien que les partis qui la composent sont en désaccord sur un grand nombre de points, qui vont de la croissance à l’écologie en passant par la politique étrangère… Mais je les entends aussi dire partout qu’ils voudraient prolonger cette coalition pendant cinq ans. Moi je ne veux pas, pour mon pays, de cinq années de couacs supplémentaires. 

Le DP, le LSAP et Déi Gréng sont-ils pour vous des adversaires ou d’éventuels partenaires? 

«Je ne pense pas en termes d’adversaires, mais plutôt de concurrents politiques. Et comme le système politique luxembourgeois que j’adore le permet, chacun d’entre eux peut être demain un partenaire, c’est évident. Quand je regarde leurs programmes, je vois des points de convergence et de différence avec les trois. Je n’ai donc aucune préférence.

Pas d’exclusive, ni de personnalités écartées a priori non plus?

«Non. J’essaie de garder des ponts politiques et personnels avec tous les représentants des grands partis démocratiques parce que je considère que pour construire une coalition, il faut établir une relation de confiance. Si on part avec des ennemis personnels, ça ne marchera jamais.

Vous voyez des hommes d’État dans chaque parti?

«Je vois des partenaires de discussion.

Que faut-il comme qualités ou compétences pour être Premier ministre?

«Difficile de rester objectif! [Rires] Je sais ce que j’attends de moi: une connaissance approfondie de la situation et des dossiers, une vision pour le pays, un plan des principales réformes à conduire. Il très important d’être calme et d’avoir du recul, surtout dans les situations difficiles. Enfin, il faut pouvoir trancher, sans être agressif ni brutal. 

Ce côté calme vous vaut parfois d’être qualifié d’hésitant…

«C’est la contrepartie de mon caractère. Je n’ai pas besoin de crier pour décider ou pour me faire entendre. On peut dire les choses avec fermeté, mais avec la correction et la civilité nécessaires. Je n’aime pas les gens qui gueulent et qui insultent. Je n’ai pas besoin de ça. 

L’ADR n’est pas un sujet pour moi, car sur un certain nombre de principes, comme l’Europe ou l’intégration, nous ne pouvons pas nous retrouver. C’est très clair.

Claude Wiseler, candidat pour les législatives (CSV)

Il ne faut pas forcément être un tueur en politique?

«Il faut savoir ce qu’on veut et comment l’obtenir. Mais on peut y arriver dans 99% des cas avec de la persuasion ferme. 

Vous avez parlé tout à l’heure des représentants des grands partis démocratiques pour désigner d’éventuels partenaires de coalition. Vous en voyez d’autres?

«Pour faire une coalition, non, je ne vois pas. L’ADR n’est pas un sujet pour moi, car sur un certain nombre de principes, comme l’Europe ou l’intégration, nous ne pouvons pas nous retrouver. C’est très clair.

Quel regard portez-vous sur leur alliance avec Wee2050?

«L’identité luxembourgeoise nous est extrêmement chère, au CSV. Nous souhaitons préserver notre langue, notre façon de vivre. Mais nous considérons que tout cela forme une identité accueillante, ouverte, et non fermée comme certains. C’est une grosse différence… L’histoire du Luxembourg est une histoire d’émigration, puis d’immigration. Nous avons su croître parce que nous avons toujours su intégrer des personnes et des talents venus du monde entier en faisant en sorte de les accueillir à part entière dans notre communauté. C’est cette identité-là que je ne veux pas perdre.

Que traduit, selon vous, cette montée de la question identitaire?

«Le référendum sur le droit de vote des non-Luxem­bourgeois a été un point de départ que je regrette. J’avais alerté le gouvernement à l’époque sur le risque de fracturer la société, mais il a persisté. C’était une faute parce que ça a fait émerger beaucoup de questionnements dont le Luxem­bourg n’avait pas besoin.

Il y a d’abord une inquiétude devant un monde qui évolue de façon extrêmement rapide. Il y a aussi la croissance soutenue du nombre de résidents non luxembourgeois qui ne se mesure pas seulement sur la mobilité ou le logement. Certains voient leur société évoluer et ont parfois des difficultés à suivre. Il faut y faire extrêmement attention, parce que si nous laissons ce sentiment «d’insécurité» prospérer, nous risquons d’alimenter les extrêmes comme chez nos voisins. C’est la raison pour laquelle je considère que la croissance doit désormais progresser à un rythme où nous pouvons la gérer de façon qualitative. 

Il existerait donc des leviers pour réduire ou ralentir le rythme?

«Nous vivons dans une Europe libre où les entreprises peuvent s’installer où bon leur semble. Mais l’État dispose de leviers, oui! Il peut faire de la prospection sur certains secteurs économiques plutôt que d’autres, il peut, à travers sa politique d’aide à l’implantation, viser telle entreprise plutôt qu’une autre. Je suis d’avis de concentrer nos efforts sur quelques clusters comme la finance, l’IT, la logistique, la biotech, le space auxquels je voudrais ajouter l’économie circulaire, la recherche sur le bâtiment vert ou encore la médecine du futur. Je veux surtout qu’on gagne en productivité, ce qui signifie sans doute de dire non à un certain nombre d’entreprises qui ne correspondent pas à nos critères. 

Le Luxembourg peut-il refuser des emplois?

«Nous avons la chance d’être attractifs. Nous pouvons donc choisir les entreprises qui nous aideront à avoir un développement harmonieux. Rendez-vous compte qu’un rythme de croissance de 15.000 nouveaux emplois par an, ça voudrait dire être capable de construire tous les sept ans une nouvelle ville de Luxembourg! 

Matthieu Croissandeau, directeur éditorial de Maison Moderne, Thierry Raizer, rédacteur en chef de Paperjam et Claude Wiseler. (Photo: Patrick Galbats)

La croissance qualitative, ce n’est pas de la décroissance?

«Je veux que le PIB continue de progresser, bien sûr, mais pas nécessairement autour de 4%. Je veux la croissance absolument, sans quoi notre économie mourrait. Mais je veux la maîtriser et la gérer parce que les problèmes qu’elle nous pose aujourd’hui au quotidien ne seront bientôt plus acceptés par la population. Cela nous oblige évidemment à investir dans le logement et la mobilité. C’est une des priorités de notre programme. L’autre, c’est le rééquilibrage budgétaire. Et j’ajoute aussi la possibilité de faire quelques réserves pour le temps où les crises arriveront, parce qu’elles arriveront.

Investir, réduire les dépenses et constituer des réserves avec une croissance maîtrisée… Cela ne revient-il pas à promettre tout et son contraire? 

«Je ne promets rien. Je donne des directions. Après, cela dépend bien sûr du développement économique et de la vitesse à laquelle on va pouvoir y arriver. Dès le lendemain des élections, de toutes les façons, il faudra faire un état des lieux de nos finances publiques pour connaître nos marges. 

Quelque chose vous inquiète?

«Je ne connais toujours pas le coût à long terme de la réforme fiscale, par exemple, ni les conséquences de toutes les dépenses et de toutes les promesses qui ont été faites au cours des dernières années...

Dans quel état se trouve le Luxembourg aujourd’hui?

«Le Luxembourg se porte bien, je ne vais pas dire le contraire. Économiquement, financièrement, socialement, ça va. C’est OK.

Je ne suis pas le représentant du patronat. Mais c’est ce que M. Gramegna aurait dû savoir en tant qu’ancien représentant du patronat…

Claude Wiseler, candidat aux législatives (CSV)

Bravo Bettel, alors?

«Bravo à la situation économique surtout! Et bravo aussi aux gouvernements précédents qui avaient beaucoup œuvré. Le problème, c’est que j’ai l’impression que l’équipe actuelle considère qu’il s’agit d’une donnée immuable et définitive. Or, il faut absolument profiter de la situation pour faire les réformes nécessaires et qui sont beaucoup plus faciles lorsque l’économie tourne que lorsqu’elle est à l’arrêt. John Fitzgerald Kennedy disait: «Il faut que tu répares ton toit lorsque le soleil brille.»

C’est ce que le patronat répète depuis cinq ans…

«Je ne suis pas le représentant du patronat. Mais c’est ce que M. Gramegna aurait dû savoir en tant qu’ancien représentant du patronat…

Il faut en profiter pour réformer la protection sociale ou les retraites?

«Oui, et c’est beaucoup plus facile de le faire quand les caisses de la Sécu sont pleines à craquer. C’est sans doute beaucoup plus difficile à expliquer, mais c’est le moment de le faire. 

Faut-il augmenter les cotisations, baisser les pensions, travailler plus longtemps?

«Je ne vais pas répondre à ces questions-là pour des raisons évidentes… Aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de négocier avec les partenaires qu’il faudra réunir autour de la table.

Il faudra jouer sur un ensemble de mesures. La première réforme de 2012 qui a été faite par un gouvernement CSV-LSAP et un ministre socialiste est allée dans la bonne direction et a joué sur différents leviers. 

D’un point de vue démocratique, c’est quand même mieux de dire ce que l’on compte faire avant de se faire élire, non? Les entre­preneurs sont en droit de se demander si les cotisations vont monter, et les retraités si leurs pensions vont baisser…

«Il faudra, pour faire une telle réforme, une discussion au préalable avec les partenaires sociaux. Les promesses que l’on a faites pour les gens qui sont à la retraite actuellement ou pour les gens qui ont travaillé depuis 10, 20 ou 40 années seront tenues. Mais il faut faire les réformes aujourd’hui parce que dans 15 ans, on ne pourra plus tenir ces promesses.»

Retrouvez la deuxième partie de cette interview ici.