Paperjam.lu

 

L'Europe serait-elle ce qu'elle est aujourd'hui, élargie à 25, ouverte par-delà ce qui fut, il n'y a pas si longtemps que ça le rideau de fer, si un homme comme Mikhaïl Gorbatchev n'avait pas existé? Seuls les historiens des siècles futurs auront pour eux - peut-être - le recul suffisant pour établir un avis formel sur la question.

Sans attendre jusque-là, une réponse positive à cette interrogation ne fait guère de doutes, tant l'influence de ce personnage clé de l'Histoire aura été grande.

C'est lui qui amorça la réforme (révolution?) économique, prônant la reconnaissance du rôle du marché et de la propriété privée. C'est encore lui qui mit fin, en 1988, au régime du parti unique et fit voter une nouvelle loi électorale dès l'année suivante...

Devenu président de l'URSS en 1990, suite aux réformes constitutionnelles engagées, il transféra alors le pouvoir du Parti Communiste aux assemblées législatives élues dans les républiques de l'URSS. L'éclatement du bloc soviétique, dont il en sera finalement, politiquement, la victime, était en marche...

Aussi la visite "privée" à Luxembourg de l'ancien plus haut dirigeant de l'ex-Union Soviétique, entre 1985 et 1991, constitue-t-elle forcément un petit événement, à la fois pour l'homme et pour le pays hôte. "J'ai rencontré Jean-Claude Juncker et Son Altesse Royale le Grand-Duc Jean, avant tout pour faire leur connaissance, puisque je ne les avais jamais rencontrés auparavant. Je suis là à titre privé et ma personne n'a plus guère d'importance aujourd'hui", estime-t-il, en toute modestie, complétant d'un grand sourire qui ne laisse rien paraître de ses 73 ans: "Je ne me suis jamais senti aussi libre que maintenant".

L'occasion lui a également été donnée de rencontrer René Steichen, le conseiller juridique de la Fondation pour la recherche politique, économique et sociale de Moscou (la Fondation Gorbatchev), qu'il a créée en 1991, contre vents et marées. Gorbatchev n'est, aujourd'hui, guère prophète en son pays, loin s'en faut...

Invité, début mai, à l'initiative de Dexia BIL, dans le cadre d'une conférence internationale, le père de la "perestroïka" (la reconstruction, la refonte, en version originale), a donné son appréciation sur les défis qui attendent l'Europe et le monde à l'aube du XXIe siècle.

La question européenne fut évidemment au coeur des réflexions de cet Européen convaincu... "Dès 1985, j'ai été parmi les premiers à soutenir la construction de la Maison Europe", aime-t-il à rappeler. A cette époque, en effet, il estimait déjà que la seule voie possible à l'avènement d'une vraie Europe économique et politique passait par une libération complète des armes nucléaires et chimiques. Un processus forcément irréalisable d'un simple claquement de doigts, mais pour lequel il prôna une mise en musique par étapes.

Il reçut même un soutien sans faille de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II et M. Gorbatchev ne manque pas de rappeler, aujourd'hui encore, une phrase prononcée par le Saint-Père à l'occasion d'un entretien privé qu'il accorda au dirigeant soviétique en 1989: "L'Europe doit respirer avec deux poumons", insistant sur le fait que les changements en cours dans le monde ne devaient en rien suivre les seules inspirations occidentales. "Nous devons avoir des points communs à la source de nos pensées", estimait alors M. Gorbatchev...

Sans pour autant plaider pour une adhésion de la Russie à l'Union européenne, Mikhaïl Gorbatchev sait que les deux parties doivent avancer dans la même direction. "Une Europe qui englobe la Russie est la seule Europe capable d'être un partenaire crédible pour les états-Unis, la Chine ou toute autre puissance émergente", martèle-t-il. Et de rappeler que de leur côté, l'Ukraine, la Biélorussie, la Russie et le Kazakhstan ont, eux aussi, jeté les bases d'une collaboration économique approfondie.

"Il faut savoir prendre le meilleur du passé, pas seulement pour l'URSS, mais aussi pour l'Europe. Nous avons besoin de dirigeants qui savent prendre des décisions. C'est peut-être plus difficile, de nos jours, mais il y a aussi plus de possibilités qui s'offrent à eux", estime Mikhaïl Gorbatchev.