Yves Kuhn, CIO de la BIL (Photo: paperJam/Archives)

Yves Kuhn, CIO de la BIL (Photo: paperJam/Archives)

L'ambition de la politique économique de Shinzo Abe, dite des «trois flèches» (expansion monétaire, relance budgétaire et réformes structurelles), était de tenter d'enrayer la déflation et la stagnation qui minent le Japon depuis une quinzaine d'années. En se fixant une cible d'inflation très claire de 2% en 2 ans, la Banque du Japon (BOJ) s'est engagée dans une politique d'expansion monétaire inédite (assouplissement quantitatif et qualitatif, ou «QQE»), qui passe notamment par une très nette augmentation de son bilan. L'an passé, les deux premières «flèches» ont donné quelques résultats, l'inflation montrant des premiers signes de frémissement pour se situer à mi-chemin de l'objectif fixé.

La relance monétaire ne fait pas tout

La BOJ a clairement fait savoir qu'elle envisagerait un QQE plus agressif à la moindre menace pour son objectif d'inflation. Pourtant, le recours à la planche à billets n'a jamais suffi à garantir une reprise durable et pérenne. Le gouverneur de l'institution monétaire, Haruhiko Koroda, est passé le mois dernier du pré carré de la banque centrale au territoire politique en déclarant que, pour faire renaître l'«instinct animal» de l'archipel, le gouvernement devait s'atteler aux problèmes structurels, au premier rang desquels figurent le vieillissement de la main-d'œuvre, la faiblesse de la productivité et la présence trop peu soutenue des femmes sur le marché du travail. En d'autres termes, il est temps maintenant de décocher la «troisième flèche» des réformes structurelles, sous peine de ruiner 18 mois d'efforts pour redonner des couleurs à l'économie japonaise.

Conséquences pour les actifs risqués

Depuis 2013, le rebond des actions japonaises provient en grande partie des achats menés par les organismes publics, notamment le fonds de pension public japonais (GPIF) et les assurances postales, qui sont quasi publiques. Aux yeux du gouvernement, la progression du cours des actions est LE baromètre phare, l'étalon qui permet de mesurer le succès des Abenomics. Il estime par ailleurs qu'il faut changer l'état d'esprit du secteur privé, qui est encore et toujours focalisé sur la déflation. La réforme des fonds de pension joue un rôle essentiel dans cet effort. L'objectif est d'amorcer un changement dans l'allocation d'actifs du fonds de pension public en faveur des actifs plus risqués, ce qui donnerait un véritable coup de fouet aux actions. Aujourd'hui, les ménages japonais possèdent près d'un million de milliards de yens (7.200 milliards d'euros) sur leurs comptes bancaires. De leur côté, les entreprises affichent 300.000 milliards de yens de liquidités tandis que 200.000 milliards de yens supplémentaires sont gérés par le GPIF, dont 60 % sont investis en obligations souveraines japonaises. Bien que cette stratégie d'investissement soit logique dans un contexte déflationniste, elle n'est pas cohérente avec un état d'esprit inflationniste. C'est bien connu, l'accélération de l'inflation incite les investisseurs à prendre davantage de risques. Toute modification de 1% de l'allocation d'actifs des fonds de pension motiverait des achats d'actions d'un montant de 2.000 milliards de yens. Au vu de la capitalisation de l'indice Topix (282.000 milliards de yens), une telle évolution serait extrêmement positive pour les actions. Elle jouerait un rôle moteur dans la hausse des cours, d'autant plus que les valorisations sont intéressantes, aussi bien du point de vue du ratio cours/bénéfices que du rapport cours/valeur comptable, comme le montre le graphique ci-dessous.

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Il ne reste plus qu'une flèche dans le carquois du Premier ministre Shinzo Abe. Les enjeux sont donc considérables. S'il ne parvient pas à mener à bien les réformes structurelles, le Japon risque de renouer avec la stagflation. Pire encore: si les marchés financiers perdent confiance en la capacité de Tokyo à apurer la plus lourde dette publique du monde industrialisé (240 % du PIB), les taux d'intérêt pourraient flamber, terrassant la reprise et endommageant le système financier. Toshiki Tomita, un universitaire membre du comité consultatif du ministère des Finances, estime qu’une progression, ne fut-elle que d’un seul un point de pourcentage de hausse des taux d'intérêt suffirait à faire bondir le coût de financement de la dette nippone de 1.800 milliards de yens (13 milliards d'euros) par an, soit près de quatre fois la progression des recettes fiscales que devrait générer le rebond de la croissance. La «stratégie de croissance» de Shinzo Abe devrait être dévoilée d'ici à la fin juin. Nul doute que tous les regards seront braqués sur le Premier ministre.