"Atteindre des objectifs avec toute son équipe et passer à l'étape suivante." Cette définition du succès, selon Claude Wagner, directeur - et seul propriétaire, depuis fin 2003 - de Batichimie et de Hoffmann-Schwall, et de 17 autres sociétés, indique toute la philosophie qu'il attache à l'esprit d'entreprendre. Faut-il rappeler que Batichimie est un important négociant en matériaux de construction et est présent sur quatre sites (Luxembourg, Ingeldorf, Strassen Roodt-Syre) organisés en fonction de la clientèle (professionnels et privés)? Il employait en 2003 quelque 84 employés et 122 ouvriers, et est structuré autour de 10 centres de profit; l'ensemble de la logistique est dirigée de façon centralisée depuis le site de Strassen.
Hoffmann-Schwall, à Hesperange, est pour sa part le négociant en bois le plus important et le plus réputé du pays. Articulé autour de trois centres de profit (bois et éléments de construction, magasin de bricolage avec exposition, menuiserie), il occupait 75 employés en 2003, après avoir frôlé le pire avant sa reprise par Claude Wagner.
La motivation de ce jeune (39 ans) patron repose sur le travail en commun, "en tant que coach, dans une équipe motivée, avec une optique de stabilisation et de développement des sociétés". Esprit d'équipe, et donc de contact et de disponibilité: Ici, l'aspect social est fort et nécessaire. J'ai une relation personnelle avec tous mes employés, et je tiens absolument à être accessible par tous. Ils me le rendent bien'.
Cette volonté forte se traduit aussi dans la structure des entreprises dirigées par Claude Wagner. "Je tiens à avoir une personne à la tête de chaque département, en misant sur le personnel et sa responsabilisation. Et j'essaie de donner à chacun l'envie de travailler. Pas dans le style américain, mais à livre ouvert, avec des objectifs précis et le coup de main qu'il faut. Je me distingue aussi par le conseil sur le terrain, en plus de la force de vente. Je m'implique énormément de manière personnelle. Au Luxembourg, c'est déterminant."
Feeling et business plan
Ce dynamisme se trouve tout naturellement dans le sens de l'initiative et la stratégie de Claude Wagner. "Je suis pour la diversification. Celle que je fais dans le sport (un Intersport de 2000 m2 et 18 employés à Luxembourg en 2002; un deuxième, à Charleville-Mézières, avec 14 employés fin 2003, NDLR), est ma passion. J'aime avoir le feeling, mais avec un minimum de business plan: il faut que les chiffres soient à peu près en équilibre. Et j'aime faire valider mes projets à la fois par un banquier et par un consultant externe, car leurs points de vue peuvent être très différents. J'ai le goût du risque et, parfois, il faut me freiner. Parce que l'on n'a pas soi-même l'objectivité pour valider son propre projet."
Ce goût du risque réfléchi apparaît dans les trois dates clé que M. Wagner retient lui-même de son parcours: son arrivée chez Batichimie, en 1992, après des études d'économie et de droit à l'Université de Strasbourg et trois ans au département "Entreprises" de la BGL; la reprise et la relance, en 2001, de Hoffmann-Schwall, après un diagnostic des forces et faiblesses de cette entreprise alors au bord du gouffre; la reprise de la totalité des parts du groupe, fin 2003.
Quant à savoir si les structures publiques sont favorables à l'épanouissement de l'esprit d'entreprise et les attentes à ce propos vis-à-vis du nouveau gouvernement, l'avis est nuancé mais malgré tout - relativement - optimiste. "Côté structures publiques, il y a encore une forte lenteur administrative. Cela s'améliore, mais il y a encore du chemin à faire. Par contre, le message du nouveau gouvernement est très bon vers les petits artisans, il y a une volonté de prendre le taureau par les cornes. Pour les sociétés, par contre, c'est un premier pas qui n'est pas suffisant. Le Grand-Duché est très libéral. Je n'ai rien à y redire. Mais nous avons du fil à retordre avec l'étranger. Par exemple, j'ai bien sûr une volonté d'expansion aussi dans le secteur du bâtiment. Mais, pour l'instant, la très mauvaise conjoncture en Allemagne fait que les entreprises de ce pays se tournent notamment vers notre marché et il faut surtout se préoccuper de ne pas se faire dévorer par leur activisme. De l'autre côté de nos frontières, il y a un protectionnisme virulent. Je ne suis certainement pas contre le libéralisme, je le répète, mais il faudrait doser un peu pour que chacun, ici, ait les mêmes chances que les étrangers."
Reste à voir si le message passe auprès des citoyens, si l'esprit d'entreprendre s'y développe. "Il est vrai que beaucoup choisissent la facilité. Les chiffres l'atteste. Il faut tenir compte, cependant, du fait que beaucoup de jeunes restent là où ils sont partis faire leurs études car des opportunités se présentent à eux. Mais, oui, souvent, le Luxembourgeois a la partie facile, avec des emplois administratifs qui dorent la pilule. Ils sont très gâtés, d'où le fait que bien des gens qui viennent de loin sont nettement moins gourmands."
Et si un entrepreneur venait aujourd'hui demander conseil à Claude Wagner, quel serait son avis? Le parcours même de ce patron implique la réponse... "Je suis résolument optimiste. Il y a plein d'opportunités. Je serais bien loin de refroidir un jeune ou même de lui dire d'être trop prudent. Le premier projet est toujours le plus difficile. Si le business plan est sérieux, les capitaux de départ pour l'exploitation se trouvent. Il faut savoir faire des concessions et se concentrer sur l'indispensable - à savoir l'exploitation - et ne pas tout faire en même temps."
Ce point de vue, Claude Wagner se l'applique d'ailleurs encore à lui-même. Car, s'il avait des choses à refaire, des erreurs à effacer, ce serait, selon lui, ces opportunités qu'il a manquées, "par prudence". "Et je ne regrette absolument aucune de celles que j'ai saisies." L'esprit d'entreprise va-t-il initialement de pair avec l'innovation' "Bien sûr, c'est lié. On ne peut pas se passer de certaines technologies de pointe, y compris - dans notre secteur - au niveau des produits. C'est ainsi que nous nous distinguons de la concurrence et que nous gagnons des parts de marché."
Un devoir citoyen
Le rôle citoyen de l'entreprise est souvent mis en avant, tant par les politiques que par les syndicalistes. Cette formule si prisée n'est-elle que de la poudre aux yeux ou une réalité bien concrète? Là encore, la philosophie de Claude Wagner apparaît. "Ce n'est pas du tout une formule toute faite, mais bel et bien une réalité. Je donne du travail à quelque 340 personnes, avec tout le défi que représente la gestion du personnel. Mais c'est aussi une responsabilité par rapport à tous les organismes et, surtout, vis-à-vis de tous les employés et de leurs familles. La réaction rapide face aux événements économiques fait pour moi ainsi aussi partie de ce devoir citoyen."
Le Luxembourg a un atout si souvent souligné: sa position clé au coeur de la Grande région et au centre de l'Europe. Mais cela implique-t-il des défis particuliers pour nos entrepreneurs? "Sans aucun doute, mais en tenant compte des spécificités de l'activité. Pour le négoce de la construction et du bois, nos limites sont données: ce sont celles de la Grande région. Par contre, nous allons de plus en plus loin pour les fournisseurs, que je considère d'abord comme des partenaires, parce que eux comme nous devons être dans une relation win-win. Nous, nous nous développons fortement vers les nouveaux pays européens. Pour des raisons financières, certes, mais aussi parce qu'ils travaillent très bien. A preuve, nombre de fournisseurs se délocalisent eux-mêmes là-bas. Et le rapport qualité - prix et service devient tout à fait valable."
Et si l'on se projetait dans l'avenir, comment Claude Wagner le voit-il d'ici dix ans? "Je souhaite me développer de la même manière que ces dix dernières. J'ai créé 19 sociétés et plus de 250 emplois. Je désire suivre la même trajectoire, avec le même esprit d'entreprise, le même goût du risque et des opportunités, le même travail en équipe."
Enfin, Claude Wagner ne rejette pas la question du moment où il ne sera plus à la tête. Rien à voir, donc, avec un quelconque "après moi le déluge". "Bien sûr, je ne planifie forcément pas ma succession, et j'espère qu'un de mes enfants aura la même passion que moi. Mais par contre, le risque de l'accident, lui, est planifié, avec une pérennisation de l'entreprise par ses cadres." Parce que le devoir citoyen de l'entrepreneur va de pair avec l'esprit d'entreprendre.