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Du côté des agences d'intérim, Randstad nuance l'impression de chaos du secteur NTIC relayée par la majorité des médias. Monique Wolf, responsable d'agence, oppose à la pénurie d'offre une pénurie de personnel qualifié, puisqu'on cherche actuellement 6.000 informaticiens au Luxembourg. "Il ne s'agit pas d'une baisse, continue-t-elle d'ailleurs, on cherche simplement d'autres profils. On ne veut plus d'un programmeur qui reste caché derrière son ordinateur. On veut qu'il maîtrise les langues et puisse aller à la rencontre du client". 

Eric Chenal, branch manager chez ComputerPeople, spécialiste en recrutement et détachement de personnel IT et nouveaux médias, résume sa vision de la situation actuelle en une phrase: "au début de l'année 2001, c'étaient nos clients qui nous téléphonaient deux fois par jour pour savoir si le candidat acceptait leur offre? maintenant c'est le candidat qui nous rappelle".

La situation semble donc s'être clairement inversée et les exigences de l'employeur prennent le pas sur celles du candidat, roi de l'année 2000. Eric Chenal attire également l'attention sur la personnalité du candidat: "auparavant, les clients recherchaient désespérément des ressources aux capacités techniques. Maintenant, ils recherchent également une personnalité, à laquelle ils sont prêts à fournir un complément de formation'.

Les 3 phases du ralentissement

Eric Chenal synthétise le processus de ralentissement du recrutement IT et nouveaux médias en 3 phases, qui se sont étalées depuis la mi 2000 jusqu'à présent.

Dans un premier temps, il y a eu un décalage entre le marché et le sentiment qu'avaient les candidats eu égard à ce marché. Eric Chenal: "alors que les clients commençaient déjà à s'interroger sur leur politique de recrutement, les candidats continuaient à demander des salaires de divas, et à trancher en faveur d'une offre parce que l'employeur leur garantissait une place de parking !".

La politique de recrutement s'est progressivement gelée par la suite, les clients préférant se débrouiller en interne plutôt que d'avoir recours à des cabinets spécialisés, et les opportunités ont commencé à se faire plus rares pour les candidats. "Pourtant les informaticiens continuaient à vérifier si l'herbe n'était pas plus verte du côté des concurrents de leurs employeurs, puisqu'on annonçait toujours des engagements en masse, et que les prévisions des grands cabinets demeuraient optimistes", continue Eric Chenal.

Actuellement, les besoins des clients existent toujours, mais les candidats se sont rendus compte que le marché n'est pas aussi facile que ce qu'il pouvaient imaginer. "Ce qui a pour conséquence la réticence des candidats à quitter l'entreprise. Ils savent que le marché est tendu, entendent parler de fusions et de restructurations, savent que la période d'essai constitue un risque pour eux".

Laurent Antonelli, responsable multimédia chez ComputerPeople, apporte un éclairage sur une situation similaire pour les métiers du Web: "des 'particuliers', des étudiants  peuvent faire un site web pour 60.000 francs, tandis que des professionnels élaboreront de très gros projets, nécessitant des ressources humaines en conséquence. Entre les deux, ce sont les structures intermédiaires qui font les frais, à tous niveaux, y compris bien sûr celui du recrutement". 

A quand la reprise, et avec qui?

Plutôt que de parler de reprise à proprement parler, mieux vaut peut-être espérer une nouvelle accélération du marché, comme l'explique Laurent Antonelli: "Nous ne vivons pas une période rose dans le domaine de l'IT et des nouveaux médias, les promesses faites les deux dernières années n'ont pas été tenues, c'est vrai, mais il ne faut rien exagérer: le 'e-crach' n'est pas comparable avec le crach de 1929 !". Et la grisaille devrait s'estomper grâce à la logique de maîtrise des coûts qui est en train de reprendre le dessus. "Mais, face aux événements du 11 septembre, les perspectives d'avenir sont très difficiles à établir sérieusement. Nous n'avons pas encore assez de recul', ajoute Eric Chenal. 

Maîtrise des coûts n'étant pas synonyme de recrutement zéro, les besoins des entreprises IT se font sentir notamment au niveau du e-business, qui se développe particulièrement au Grand-Duché au travers du e-banking et du private banking. Eric Chenal continue: "Lorsque de véritables solutions de paiement sécurisé seront proposées, le marché devrait redémarrer. C'est lié à la technologie, mais aussi à la volonté du consommateur et du législateur".

Au tour de Laurent Antonelli de placer les espoirs d'un secteur dans le e-business: "Au début, il n'y avait pas d'offres d'emploi à saisir en multimédia. Par la suite, on proposait tout et n'importe quoi. A présent, le e-business ajoute une couche essentielle, la capacité de vendre, qui transforme en profondeur les processus de l'entreprise et nécessite de réelles compétences, et donc des ressources humaines. Le e-business est sans aucune mesure avec une petite boutique sur la Toile, il s'agit d'une stratégie étalée sur plusieurs années? dans laquelle peu ont commencé à investir, parce qu'il est difficile de remplacer une structure qui a fait ses preuves par une autre dont on ne connaît rien'. Et qui nécessitera l'aide d'une certaine main d'oeuvre, répondant à certains critères, par exemple deux commerciaux supplémentaires, ou un spécialiste en veille concurrentielle.

La chance aux technophiles

À quand donc l'arrivée de ces solutions? Mystère et boule de gomme, évidemment. En tout cas, chez ComputerPeople, on recrute bien plus des scientifiques que des créatifs, d'autant plus que la recherche de profils tels que les webdesigners, par exemple, se fait dorénavant par cooptation, selon Laurent Antonelli: "Lorsqu'une agence a besoin d'un webdesigner, elle fait appel à ses relations, pas à nous".

Il continue: "Depuis un an et demi, on a recherché beaucoup de développeurs. Des gens capables d'interfacer une base de données très rapidement. Habiles en ASP. Depuis le début  ? ?de l'année, on assiste à une croissance phénoménale de la demande en experts du PHP. Pas tellement en XML, parce que ce langage est lié à de très gros projets et que nous sommes revenus à des projets un peu plus modestes, bien que très importants".

L'intérêt du PHP (ndlr: hypertext preprocessor) pour les informaticiens professionnels ou en herbe, expérimentés ou juniors? "Le PHP va donner accès à l'emploi à de purs natifs du Web, des personnes qui ne sortent pas forcément d'une université ou école supérieure, ne sont pas forcément à l'aise dans les lourdes infrastructures ASP, mais s'intéressent à Linux, Apache et à l'open-source en général'.

Place aux jeunes?

Ces dernières semaines, ComputerPeople a reçu un grand nombre de candidatures émanant de juniors, signe du temps. Alors qu'en 1999 et 2000 les étudiants étaient démarchés 6 mois avant l'obtention de leur diplôme au bas mot, quand ce n'était pas la société intéressée qui leur payait leur dernière années d'études, de nos jours, les jeunes diplômés cherchent un emploi.

Jeunes et moins jeunes ont compris que le vent ne souffle plus dans leur dos, qu'ils doivent braver les candidatures d'autres personnes qui se positionnent sur le même poste, ce que Laurent Antonelli stigmatise ainsi : "l'année dernière, on cherchait un poste, cette année on cherche un emploi". Bref, la recherche de travail dans le secteur IT connaît à présent la signification de l'adjectif humain, de l'expression gagner sa vie.

Et la tâche est parfois difficile pour les jeunes en question, puisqu'en raison de la baisse des prétentions salariales, l'employeur peut obtenir actuellement un contrat avec une personne qui a 5 ans d'expérience pour le même prix qu'un junior il y a un an et demi, aux dires d'Eric Chenal.

Le roi est mort, vive le roi?

Le candidat s'est pris pour un roi, une diva, pour reprendre les termes d'Eric Chenal. Est-ce maintenant au tour de l'entreprise IT qui recrute de jouer ce rôle? Loin de là. Si ceux qui offreurs d'emplois demeurent certes exigeants, ce qui n'est pas sans conséquences. "Vu la sécheresse du marché, déclare Laurent Antonelli, nos clients se lâchent et nous font part de leur stratégie sur 2 ou 3 ans, chose impensable l'année dernière encore. Ils veulent que nous cernions bien quels sont leurs besoins, afin de trouver la personne adéquate".

Dans le même ordre d'idée, on comprend mieux pourquoi des sites d'e-recrutement hyper spécialisés tel que javarecrute.com connaissent un certain succès en termes d'annonces postées.

Recrutement

Le recrutement IT et nouveaux médias est-il actuellement dans la tourmente? On pose la question à ceux qui nous paraissent doublement concernés : les sites de recrutement en ligne, qui font à la fois partie de cette "nouvelle économie" mise en doute et participent au recrutement ? entre autres ? des Web addicts, programmeurs et développeurs en tous genres via le médium.

Marc Neuen, directeur général de Monster Luxembourg S.A., constate une baisse des postes à pourvoir sur Monster.lu, et pas seulement en IT, même si "le secteur IT est certainement un des plus touchés, on y  recherche moins de candidats". Cette baisse de l'offre d'emplois en IT s'accompagne-t-elle d'une diminution de la confiance dans le e-recrutement, reflet d'une méfiance généralisée envers Internet ? Pas du tout, au regard de Marc Neuen: "Au niveau quantitatif, on ne peut nier un déclin du nombre d'annonces entre 2000 et 2001. Mais cette baisse est également constatée dans la presse écrite ! Elle y serait même plus importante que pour les sites d'e-recrutement. En fait, les employeurs ont moins d'amplitude pour engager de nouveaux collaborateurs, et recherchent donc le médium qui leur demandera le moins d'investissement pour diffuser leurs offres d'emplois: Internet". 

Si les offres d'emplois baissent sur les sites d'e-recrutement, il n'en est pas de même pour les demandes, ce qu'Eric Chenal confirme: "Les budgets accordés au recrutement baissent, et les clients font confiance aux sites d'offres d'emplois, parfois sans notre intermédiaire. Au risque de devoir trier de nombreux C.V. postés sur ces sites tels des bouteilles à la mer,  candidatures spontanées qui ne répondent pas au profil recherché". Raison pour laquelle de plus en plus de sites d'e-recrutement opèrent un premier tri par un questionnaire plus personnel ("Quelle distance maximale entre votre lieu de travail et votre domicile êtes-vous prêt à effectuer'",?).

Etude

Le e-recrutement en chiffres

Une étude de l'APEC (Association pour l'Emploi des Cadres) a récemment annoncé que la moitié des entreprises européennes utilisent Internet dans leur stratégie de recrutement. Selon cette étude, par ailleurs, 37% des entreprises proposent des offres d'emploi sur leur propre site, et 53% reçoivent des candidatures sur leur site.

Dans "Le recrutement sur Internet dans les grandes entreprises françaises", publiée fin septembre, Benchmark Group met en valeur le fait qu'Internet est devenu le premier poste de recrutement pour 20% des entreprises ciblées en 2001, contre 7% seulement en 2000. La presse passerait de 66% à 57%.

Pas moins de 60% des sociétés interrogées considèrent que le meilleur rapport qualité-prix est offert par Internet en matière de recrutement. La même étude établit que 94% des offres du secteur high-tech passent par Internet (89% en 2000), et 76% des offres des autres secteurs (53% en 2000). 

Cycles

Secteur IT: Panne conjoncturelle ou crise existentielle?

Laurent Antonelli: "Il  y a une crise qui n'en est pas une. La croissance perdure, les métiers liés à l'IT et aux nouveaux médias vont continuer à se développer, la culture de réseau existe de plus en plus et va progressivement s'imposer. Les marges ne sont simplement pas à la hauteur de ce que l'on a entrevu dans une crise de délire. Nous sommes dans une phase de changement : il faut passer le premier moment de panique et rester motivés!".

Une étude du cabinet de conseil Challenger, Gray & Christmas a récemment établi que le secteur IT américain n'a supprimé "que" 2.986 emplois en septembre 2001, soit une baisse de 39% des licenciements par rapport au mois précédent, et un chiffre le plus faible depuis juillet 2000. Signe de reprise, ou faute de combattants'