L’établissement public de la route d’Arlon est mis en cause par un investisseur lui reprochant de ne pas s’être prononcé sur les irrégularités intervenues dans la gestion de fonds par Petercam en 2008-2009. (Photo : Benjamin Champenois / archives)

L’établissement public de la route d’Arlon est mis en cause par un investisseur lui reprochant de ne pas s’être prononcé sur les irrégularités intervenues dans la gestion de fonds par Petercam en 2008-2009. (Photo : Benjamin Champenois / archives)

Il aura fallu cinq mois au tribunal administratif pour trancher dans cette affaire peu commune qui oppose un investisseur belge à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF).

Le 8 février 2010, la société Investor Protection Europe, active dans la protection des investisseurs, avait soulevé auprès de la CSSF le non-respect des règles d’investissement fixées pour deux compartiments gérés par Petercam (aujourd’hui Degroof Petercam), à savoir Moneta Euro Liquidity et L Fund Bonds EUR Inflation Linked (anciennement Medium). Trois ans plus tard, c’est l’Institut des réviseurs d’entreprises du Luxembourg qu’IPE saisit d’une plainte à propos des compartiments Bonds High Return et Bonds Low Volatility de la sicav Petercam Horizon L (anciennement Moneta), avec copie à la CSSF.

Les règles d’investissement non respectées des quatre compartiments concernaient la limitation d’investissement dans un autre fonds, le seuil minimal de liquidités à détenir ou encore l’horizon d’investissement.

En octobre 2011, la CSSF répond à la réclamation qu’elle avait reçue en février 2010 en reconnaissant l’inobservation des règles d’investissement pour Petercam L Fund Bonds EUR Inflation Linked mais ne se prononce pas sur Moneta Euro Liquidity. En 2013, la CSSF ne réagit pas après avoir été informée d’irrégularités conduisant à la plainte contre les deux autres fonds devant l’Institut des réviseurs d’entreprises.

Une capitalisation de 2 milliards d’euros

IPE n’a toutefois pas lâché l’affaire, se rapportant à la circulaire 02/77 sur la protection des investisseurs. C’est ce texte de 2002 qui impose à la CSSF d’intervenir en faveur des investisseurs lésés lorsqu’un gestionnaire de fonds se rend coupable d’«inobservation des règles de placement applicables aux OPC». Tous les investisseurs sont censés recevoir une indemnisation et le rôle de la CSSF est de s’en assurer, puisqu’elle «veille à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs financiers».

Et l’indemnisation aurait pu coûter très cher à Petercam, car les quatre compartiments impliqués totalisaient environ 2 milliards d’euros à l’époque des faits et avaient enregistré pour certains des pertes de 30% de leur valeur en raison de l’inobservation des règles d’investissement.

La CSSF ne peut pas agir comme un juge délivrant un jugement impératif.

La Commission de surveillance du secteur financier

S’ensuit une longue correspondance entre IPE et la CSSF, le premier réclamant une intervention tandis que la seconde estime avoir déjà répondu aux précédents courriers. Dans un courrier du 22 janvier 2014, la CSSF indique que «comme la CSSF ne peut pas agir comme un juge délivrant un jugement impératif, nous devons vous informer que si vous avez l’intention de poursuivre la discussion vous pourriez devoir mener une action judiciaire devant le tribunal compétent». En octobre 2014, IPE demande encore de confirmer par écrit la décision de la CSSF de ne pas appliquer la circulaire 02/77 et ne reçoit qu’une confirmation du précédent courrier malgré une mise en demeure explicite de répondre sous trois mois.

Sans réponse franche, IPE considère avoir essuyé le refus implicite de la CSSF d’appliquer la fameuse circulaire et c’est cette décision qu’un investisseur conseillé par IPE attaque devant le tribunal administratif, puisque la CSSF est un établissement public.

Une circulaire de la CSSF a-t-elle force de droit?

Le jugement rendu par le tribunal rapporte la position de la CSSF: «Elle n’aurait jamais rendu une ‘décision’ au sens du droit administratif, à savoir un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui le réclame.» Un argument réfuté par l’investisseur lésé «en raison de ce qu’il n’aurait pas pu bénéficier de la procédure de compensation collective et que s’il intentait une action en justice contre le gestionnaire il ne bénéficierait pas d’un procès équitable au motif que le refus par la CSSF d’appliquer la circulaire 02/77 démontrerait qu’il n’y aurait pas eu d’inobservation des règles d’investissement».

C’est bien la portée juridique de la circulaire 02/77 qui s’avère déterminante pour la résolution de l’affaire. «Le tribunal relève qu’en ultime ressort, cette circulaire érige une obligation ‘à ceux qui ont causé les préjudices d’en assurer la réparation, lorsqu’ils n’ont pas respecté les obligations qui leur sont applicables’», indique le jugement en reprenant le texte de la circulaire.

Pour autant, le tribunal considère qu’«une circulaire émise par la CSSF constitue un mode de réglementation sui generis ayant pour objectif de préciser le contenu de certaines normes légales tout en revêtant une forme souple et modulable» et qu’«il ne saurait être question de considérer une circulaire comme un instrument édictant une norme de droit».

La surveillance exercée par la CSSF n’a pas pour objet de garantir les intérêts individuels des entreprises ou des professionnels surveillés ou de leurs clients ou de tiers, mais elle se fait exclusivement dans l’intérêt public.

Loi du 23 décembre 1998

Le tribunal estime aussi que «l’abstention, de la part d’une autorité administrative, de statuer ou d’agir dans un cas où elle n’est pas légalement tenue d’intervenir n’est pas un acte administratif susceptible de faire grief».

Il rejette donc le recours de l’investisseur à l’encontre de la CSSF, rappelant que selon la loi du 23 décembre 1998, la «surveillance exercée par la CSSF n’a pas pour objet de garantir les intérêts individuels des entreprises ou des professionnels surveillés ou de leurs clients ou de tiers, mais elle se fait exclusivement dans l’intérêt public».

L’avocate de l’investisseur, Me Cathy Arendt, avait aussi développé lors de l’audience du 25 janvier dernier que Petercam avait retiré un «avantage financier» de la non-intervention de la CSSF et qu’«en décidant donc arbitrairement et sans motivation aucune de ne pas appliquer la réglementation financière, alors que les faits soumis auraient justifié son application, la CSSF ne fait pas preuve d’impartialité et protège indument un opérateur du secteur financier au détriment d’un investisseur lésé dans ses droits».

Contactée par Paperjam.lu, la CSSF n’a pas souhaité réagir au jugement du tribunal administratif, arguant qu’elle ne «commente pas des dossiers spécifiques».

L’ombre de LuxAlpha

De fait, la CSSF applique régulièrement la circulaire 02/77, qui concerne l’indemnisation des erreurs de calcul et des inobservations des règles d’investissement: selon ses rapports d’activités annuels, elle représentait 25% de ses interventions dans le cadre de la surveillance des OPC en 2013, 27% en 2014 et 19,6% en 2015.

Au-delà de l’affaire en cause, la question est donc de savoir si la CSSF peut décider, sans devoir rendre de comptes, de l’application ou non de cette circulaire, alors que l’indemnisation des investisseurs peut atteindre plusieurs millions d’euros dans certains cas – le plus connu étant celui de LuxAlpha, le fonds géré par Bernard Madoff pour UBS. Mais là encore, la CSSF n’a toujours pas appliqué la circulaire 02/77, contrairement aux attentes des observateurs.

Le tribunal administratif a invité l’investisseur débouté à se tourner vers les juridictions civiles s’il «venait à exciper d’un préjudice». Mais l’investisseur a interjeté appel à la mi-août. La procédure devant la cour administrative devrait se dérouler en début d’année prochaine. Et aboutir à une décision qui pourrait changer la donne pour les investisseurs si elle reconnaissait l’obligation de la CSSF de veiller à leur indemnisation en cas d’inobservation par un gestionnaire de fonds des règles d’investissement fixées.