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Publicité online: un bilan mitigé

Il est vrai que les chiffres de croissance annuelle donnent le vertige: croissance au premier trimestre 2000 de 182 % par rapport à la même période de l'année précédente, aux Etats-Unis. Les revenus de la publicité en ligne auraient dépassé là-bas en 5 cinq ans ceux de la télévision à ses débuts sur la même durée (4,6 milliards de dollars contre 3,7 milliards de dollars, source: IAB/Pricewater houseCoopers).

En Europe, la situation est identique, avec des taux de croissance à 3 chiffres. Les dépenses publicitaires seraient estimées à 395 millions de dollars pour 2000, avec des prévisions à 900 millions de dollars pour 2001 et 4,4 milliars pour 2005 (source eMarketer, janvier 2001, mais d'autres sources comme Jupiter sont plus optimistes, avec des prévisions à 1,5 $ milliards pour 2001 en Europe et 7,44 milliards pour l'Amérique du Nord).

Mais qu'en est-il de la part de marché Internet face aux autres médias. Malgré ces chiffres impressionnants, elle reste encore marginale, avec une estimation de 2 % des investissements publicitaires au niveau mondial pour l'année 2000 (source Zenithmedia). Les annonceurs, même s'ils se diversifient, viennent pour l'essentiel du monde de l'Internet: les sociétés Internet représenteraient les trois-quarts des annonceurs en ligne au troisième trimestre 2000 (enquête AdRelevance et MediaMetrix, octobre 2000).

Plus grave: il s'avère que la publicité en-ligne est assez dépendante de la situation économique d'Internet en général, et que les chiffres cités plus haut concernant les prévisions de croissance semblent quelque peu optimistes. Ainsi le crack boursier de la mi-2000 a fait beaucoup souffrir le secteur et les chiffres s'en sont ressentis.

En Europe, le dernier trimestre de l'année 2000 a vu l'activité publicitaire en ligne ralentir fortement. Une baisse qui devrait se confirmer en 2001. En France, le mois de décembre 2000 a accusé, par rapport au mois précédent, une réduction de plus de 20 % du nombre de campagnes publicitaires menées (source Netcrawling). Aux Etats-Unis, le même constat peut être fait, et la croissance des revenus publicitaires de tous les supports en ligne souffre d'une forte baisse. La grande régie publicitaire en ligne DoubleClick a ainsi récemment annoncé qu'elle prévoyait pour 2001 une baisse de la vente d'espaces publicitaires de l'ordre de 25 à 30 %. Et ce, malgré la croissance constante du nombre d'internautes.

Toutefois les analystes, même s'ils révisent leurs chiffres à la baisse, se veulent tout de même rassurants, et annoncent que même si la publicité en ligne connaîtra une année 2001 difficile, elle n'enregistrera pas de croissance négative, contrairement à ce que pourraient laisser entrevoir les récents soubresauts de la nouvelle économie aux Etats-Unis. Leurs estimations pour l'année 2001 seraient de 8 milliards de dollars, soit un chiffre identique à celui de l'année 2000? on est loin des taux de croissance à 3 chiffres connus précédemment.

Une question latente: la rentabilité de l'investissement

Mais d'où vient cette frilosité, voire cette désaffection des annonceurs pour le média online qui paraît pourtant si prometteur? La baisse de régime des valeurs Internet serait-il l'unique raison'

Ne faudrait-il pas chercher la raison dans l'absence d'outils mis à la disposition des annonceurs pour mesurer l'efficacité de leurs investissements sur le Net?

Ici réside la plus grande contradiction du média.

En effet, il est possible, en mettant en place les outils nécessaires, de savoir précisément qui est derrière une page.

Bien sûr, le must reste l'identification nominative du visiteur, grâce à un identifiant unique qu'il doit indiquer lors de sa connexion (quelques journaux et sites commerciaux _Luxsite au Luxembourg _ fonctionnent sur ce principe, qui permet de recueillir des données précieuses sur le visiteur et de cibler précisément les offres qui lui seront faites).

Les cookies, outils magiques d'un point de vue marketing s'ils sont bien exploités, permettent de créer la notion de visiteur, en lui associant d'une manière anonyme un identifiant numérique. Il est ainsi possible de suivre le visiteur à travers sa visite dans le site, mais aussi de l'identifier lors de sa prochaine visite (à condition bien entendu que le cookie est était accepté et n'ait pas été détruit dans l'intervalle) et, encore mieux, de le suivre au travers de l'ensemble de sa navigation sur le réseau. On peut ainsi savoir que tel visiteur (toujours identifié anonymement), est passé de tel site à tel autre, et en déduire des profils comportementaux bien déterminés. Des sociétés comme Engage aux Etats-Unis (groupe cmgi), constituent ainsi des bases de données de millions de profils de visiteurs ayant laissé des traces en naviguant sur les sites du groupe (qui comprend notammant Lycos et Altavista?). Ces bases de profil sont acceptées par les ligues de protection des consommateurs à condition qu'il n'y ait pas de croisement avec des fichiers marketing bien réels et nominatifs (cf. le débat autour de DoubleClick l'année dernière après son rachat de la société de marketing direct Abacus et l'utilisation des données personnelles des Internautes sans leur autorisation).

Au-delà de ces informations sur le profil socio-comportemental du visiteur, il est également possible de connaître précisément son outil de navigation (PC vs Mac, Internet Explorer vs Netscape, système d'exploitation, adresse IP, nombre de couleurs de son écran,?). Ces données sont particulièrement utiles pour les Webmasters du site, afin de l'optimiser au mieux en fonction des visiteurs.

Toutes ces informations, agrégées et éventuellement complétées avec des questionnaires ponctuels (pour connaître plus précisément le profil de l'utilisateur, qui y répondra de bonne grâce si c'est pour obtenir en échange une information gratuite), permettent de cibler très finement les publicités qui seront envoyées à l'internaute. Les fameux "ad servers", tels que ceux proposés par Real Media ou DoubleClick (qui a racheté Netgravity, autrefois leader de ce domaine), permettent de gérer les campagnes en temps réel conformément au media planning annoncé, de le réorienter si nécessaire en fonction des résultats, et surtout de cibler en fonction de nombreux critères: profil socio-démographique de l'internaute, heure de consultation, navigateur et système d'exploitation utilisé,? Des centaines de critères peuvent ainsi être croisés en quelques dizièmes de seconde, afin d'envoyer le bandeau correspond le mieux au profil du visiteur.

En revanche, tous ces outils ne sont pas à la portée de tous les sites, et beaucoup d'annonceurs investissent encore sur Internet "pour voir", faute de réelle information sur le profil des visiteurs qui fréquentent les sites. Le choix de l'annonceur (ou de son agence de communication) dépendra le plus souvent de la fréquentation du site, au détriment bien souvent de critères plus subjectifs tels que la thématique du support. C'est la raison pour laquelle ce sont encore et toujours les sites les plus fréquentés (tels que les moteurs de recherche) qui raflent la plus grosse part des investissements publicitaires.

La raison en est l'absence de pige publicitaire, qui existe pour les autres médias. Cet outil précieux pour les agences permet de connaître l'ensemble des médias disponibles, leur puissance (tirage), les recettes dépensées sur chaque média et par chaque annonceur, le profil socio-démographique des lecteurs,? Des initiatives commencent toutefois à arriver, avec des outils comme Adnettrack (www.adnettrack. com), du groupe Taylor Nelson Sofres (dont dépend l'ILReS). 200 sites sont ainsi "pigés" par cet outil, dont les robots analysent plusieurs fois par jour les formats publicitaires, les annonceurs, le plan média détaillé par catégorie de site. Cet outil est désormais disponible dans de nombreux pays européens (France, Italie, Angletere, Allemagne, Espag-ne). Les pays scandinaves devraient suivre. A quand le Luxembourg?

Comme l'explique le site Australis Intelligence (www.australisintelligence.com), la pige publicitaire sur Internet peut être bénéfique pour trouver de l'inspiration, et proposer une bannière originale, dont le taux de clic sera potentiellement plus élevé; pour surveiller les annonceurs des sites concurrents, et ainsi bénéficier de bases pour s'auto-régir; ou encore pour surveiller les habitudes d'un annonceur en terme d'achat d'espace publicitaire, et ainsi lui proposer une formule de publicité adaptée à ses besoins.

Au-delà du CPM

De plus en plus, et c'est bien légitime, les annonceurs souhaitent payer un espace en fonction d'un réel retour sur investissement. Le coût au clic (CPC) s'est ainsi quelque peu développé, mais sans être suivi massivement par les régies, qui se sont rangées vers le sage discours "qu'il n'y a pas que le clic dans la vie de la publicité online, il y a aussi la visibilité qui octroie de la visibilité aux marques affichées?.  En effet, il apparaît clairement qu'un bandeau, même non cliqué (pour rappel, le taux de clic moyen serait de 0,15 % selon le Nielsen Media Research), peut faire un effet (mais difficilement mesurable) sur les visiteurs d'un site.

Avec la maturité grandissante d'Internet, de nouvelles méthodes de calcul du prix de la publicité online commencent à apparaître. En effet, jusqu'ici l'unité de mesure était le CPM (coût pour mille), à savoir le prix pour un millier de bandeaux affichés. Ce principe était calqué sur les médias traditionnels, où le prix de la campagne va dépendre du nombre de passages (pour la TV et la radio) ou le nombre de parutions (pour la presse).

Aujourd'hui, avec l'avènement des nouveaux formats publicitaires sur Internet (aux Etats-Unis, les bandeaux ne représentent que 50 % des dépenses, le reste étant pris par le sponsoring, à hauteur de 27 %, et  d'autres formes de publicité telles que le rich media et les petites annonces), apparaissent de nouvelles formes de tarification, car le CPM ou le CPC pèchent par leur inefficacité à comparer des formats différents (boutons, bandeaux, intersticiels, sponsoring, etc.).

Ainsi, aux Etats-Unis, le coût pour mille est adopté dans 44 % des cas, 10 % se fait en fonction de la pertinence de la campagne et pas moins de 46 % est le fruit d'un accord où se mélangent les deux critères (source IAB/Price Waterhouse Coopers).

Un nouvelle unité de mesure est donc en train de faire son apparition: le coût par million de pixels. A savoir le prix à payer selon la dimension de l'affichage (l'affichage d'un bouton coûtera donc moins cher qu'un bandeau, pourtant facturés aujourd'hui le même prix dans bien des régies?). Toute la question est ensuite de savoir si un bouton est moins efficace sur la mémorisation de l'internaute qu'un bandeau ou qu'un interstitiel'

Une autre question intéressante est de savoir si l'impact d'un annonceur sera plus important s'il est seul sur une page ou si son message est noyé au milieu d'autres annonces. La logique tend à faire penser que la première option est la plus efficace, et la vague d'engouement pour le sponsoring (un seul annonceur pour un site ou une partie d'un site) tend à le confirmer. C'est pourquoi une autre unité de mesure a fait récemment son apparition: le NOP (nombre d'objets publicitaires affichés sur une page), c'est-à-dire le nombre d'espace publicitaires commercialisés par le site.

Le plus intéressant des indices pour mesurer le retour sur investissement, du point de vue de l'annonceur, demeure bien entendu le taux de conversion. Or, il n'y a pas de corrélation entre le clic et la conversion. Toutefois, des études (d'Engage et d'Avenue A, notamment) tendent à prouver un taux important de transformation en achat des internautes ayant été exposés à la campagne, même s'ils n'ont pas cliqué sur le bandeau lorsqu'ils y ont été exposés. Il y aurait donc mémorisation de la marque et de l'adresse du site.

Mais est-ce que l'erreur ne serait pas justement de trop en demander à Internet? Un tel taux de conversion n'est pas demandé aux autres médias, considérés comme des supports de notoriété, et non comme des intermédiaires commerciaux directs. Ce biais est justement dû au fait qu'il est possible techniquement de suivre l'internaute et de contrôler précisément l'impact des publicités qui lui sont proposées.

En toile de fond: la question de la mesure d'audience

A l'heure où les recettes publicitaires online baissent, et où les annonceurs s'interrogent sur l'efficacité des bannières, de nombreux acteurs du Web s'entendent sur ce point: pour être crédible, il faudra bien finir par présenter des statistiques de fréquentation reconnues par tous.

En d'autres termes, pas de publicité sans mesure d'audience fiable.

En effet, faute de mieux, le nerf de la guerre demeure donc la mesure du trafic des sites, dont dépendront les tarifs pratiqués et surtout les gains engrangés, voire même les actions de rachat et de fusion, c'est-à-dire toute l'économie de la publicité online.

Mais la question s'avère plus hardue qu'elle n'y paraît. Les techniques ne sont pas parfaites, et les acteurs du Net ont du mal à s'entendre.

C'est qu'en réalité, l'arithmétique est complexe et de nombreux obstacles techniques s'opposent à un comptage précis et rigoureux: l'effet cache et proxy (des fournisseurs d'accès Internet), qui minimisent le nombre de visites (jusqu'à 80 % du trafic pour les sites les plus visités, encore plus sensibles à cet effet), l'absence de rigueur dans les unités de mesure employées: même si un consensus semble se dessiner autour de la trilogie pages vues ? visites ? visiteurs, certains parlent encore de bandeaux affichés, voire de hits? Du coup, les sites choisissent la statistique qui les arrange, interdisant les comparaisons.

les adresses IP distribuées dynamiquement par les fournisseurs d'accès, qui font en sorte que de nombreux visiteurs se cachent derrière une même adresse IP.

les cookies peuvent remédier à certains de ces problèmes et créer la notion de visiteur, à condition qu'ils soient acceptés par les visiteurs et surtout par les entreprises, qui parfois en interdisent l'entrée.

les pixels invisibles, placés sur chaque page de chaque site sous la forme d'une image de taille 1 x1 pixel, afin de déclencher une action depuis un serveur de comptage distant. Cette méthode permet de compter le nombre de pages consultées sur un site, et a été adopté par plusieurs organismes de mesure d'audience, dont Mediamétrie en France. Mais la méthode, si elle a le mérite d'exister, n'est pas dépourvue de failles (dues essentiellement au mauvais positionnement des tags sur la page, l'insertion de plusieurs tags sur la même page, ou encore à cause des frames, qui faussent les chiffres).

sans oublier toutes les méthodes qui permettent aux webmasters peu scrupuleux de gonfler artificiellement leur audience, abus qui ne sont pas toujours détectés par les outils de mesure, surtout les plus rudimentaires. D'autant plus que des robots plus sophistiqués pour générére artificiellement des requêtes font leur apparition: ainsi Moreclic, en téléchargement gratuit, ausculte le réseau et se connectent à des serveurs proxies différents pour effectuer une requête qui est toujours la même.

Ainsi, les trafics peuvent varier du simple au triple en fonction de l'outil de mesure utilisé, et la plus grande confusion règne. Même la méthode des panels, qui consistent à placer des "boîtes noires? sur les ordinateurs des internautes consentants afin de suivre en permanence leurs pérégrinations sur le réseau, semblent aujourd'hui controversées (les résultats des instituts NetRatings et MMXI ne seraient pas cohérents). 

Le Centre d'études des supports de publicité (CESP) en France, qui avait comparé il y a trois ans l'ensemble des outils de mesure d'audience, semble vouloir rétablir un semblant d'ordre, et a mis en place un label des outils de mesure. A défaut, peut-être, d'obtenir des comptes plus justes, cela permettra au moins de fixer un référentiel, une échelle comparative des valeurs. Les outils ne doivent pas forcément être parfaits (l'outil 100 % fiable semble être un doux rêve, au moins pour l'instant?), mais ils doivent faire consensus.

Mais n'allez pas croire que la situation est plus rose Outre-Atlantique, qui dispose pourtant d'une expérience antérieure à la notre: là-bas non plus, la mesure d'audience n'est pas une science exacte et les résultats des outils de mesure sont contestés.

Et qu'en est-il au Luxembourg ?

 

Le marché est en train de s'organiser pour aboutir également à un consensus sur les indicateurs à mesurer et sur les méthodes à adopter pour obtenir une mesure d'audience la plus fiable possible.

Un groupe de travail comprenant toutes les régies, ainsi que quelques autres acteurs intéressés par le sujet tels que les agences et le cabinet d'études ILReS se réunissent à un rythme mensuel pour débattre et coonverger en commun vers une solution qui convienne au plus grand nombre.

Un consensus a déjà été établi sur le choix d'une terminologie, sur le choix des indicateurs à mesurer (pages vues / visites / visiteurs) et sur la méthode de calcul (choix technologiques). Le Centre de Recherche Public Henri Tudor a été sollicité pour animer ce groupe de travail et arriver à court terme à une solution technique applicable par tous.

Pour plus d'information sur ce groupe de travail, merci de vous adresser directement à Carole Brochard (carole.        [email protected]), de l'Ob-servatoire des nouveaux médias (CRP Henri Tudor).

Bibliographie

Un site remarquable sur la publicité sur Internet, réalisé par un étudiant.

http://www.bigben-pub.com/

Un dossier complet du Monde Interactif sur les acteurs et les problèmes de la mesure d'audience.

http://interactif.lemonde.fr/sequence/0,5611,2858---0,FF.html

Le site du Journal du Net, qui propose un dossier sur les serveurs de bandeaux et un dossier sur les outils de mesure d'audience

http://www.journaldunet.com.