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En juin dernier, l'article «L'image de marque et le branding: bien plus qu'un simple logo» exposait les caractéristiques d'une marque et d'une démarche d'élaboration d'une stratégie de marque. Les concepts énoncés faisaient essentiellement allusion au monde «off line» et je concluais en affirmant que dans le monde «online», les règles du jeu changent? 

Dans cet article, j'aimerais donc aborder la question du «Internet Branding», termes qui font couler beaucoup d'encre, suscitent beaucoup d'interrogations et enrichissent les organisateurs de conférences à travers le monde?

Online ou off line branding: c'est quoi la

différence?

Bien des «experts» affirmeront avec conviction qu'Internet change tout, qu'il faut faire une croix sur ce que l'on sait de la gestion, du marketing, de la communication, etc? Et bien, au risque de choquer, j'oserai affirmer le contraire: la nouvelle économie n'a jamais existé. Il n'y a qu'une seule économie et les sociétés doivent y trouver leur place entre les concurrents existants, qu'ils opèrent online ou off line. Certes, de nouveaux outils, de nouveaux canaux de distribution, de nouvelles façons de communiquer, bref, de nouvelles tactiques se développent, mais nous ne pouvons pas balayer d'un coup de main les fondements de notre économie. Il serait suicidaire pour une nouvelle ou une «ancienne» compagnie de croire qu'Internet fera des miracles et engendrera automatiquement des produits et des services qui se vendront mieux que dans le monde «réel», ou bien aidera à créer une marque à la vitesse de la lumière (ou encore plus vite: à la vitesse «Internet»). Même si les barrières à l'entrée sont faibles, ce n'est pas parce que vous partagerez les mêmes 17 pouces d'écran que vous disposerez des mêmes armes que les marques établies.

Et l'effondrement de la bourse nous l'a bien prouvé: il ne suffit pas d'investir des millions dans une publicité lors du Super Bowl américain pour créer une marque, générer des ventes ou fidéliser ses clients. Si l'on doit retenir une chose de cette hécatombe du crash «dot-com», c'est que l'on n'établit pas une marque du jour au lendemain. Les vraies marques se forment dans le temps grâce à un effort constant de la part de la compagnie productrice qui doit assurer la qualité de ses produits et services, proposer une expérience positive pour ses clients et entretenir une relation durable avec eux. Et Internet ne peut rien changer à cela. La caractéristique principale d'une stratégie de marque sur Internet, c'est qu'elle ne peut exister indépendamment de la stratégie de marque globale. La stratégie online doit toujours s'intégrer dans la stratégie globale de l'entreprise, que ce soit au niveau du développement, de la commercialisation, du marketing, de la communication ou de la stratégie de marque.

Nous devons donc considérer Internet comme un outil qui sera utilisé au niveau des tactiques de l'entreprise. Internet en soi n'est en aucun cas une stratégie.

Internet comme média ou

comme business

Il existe essentiellement deux façons d'aborder Internet: soit comme média, soit comme business. Internet considéré comme média servira à communiquer avec les clients et les prospects de l'entreprise, à les informer et à entretenir une relation de qualité. L'entreprise pourra donc envisager de créer un site Internet, de faire de la publicité Internet ou d'utiliser le courrier électronique pour atteindre ses cibles, tout en respectant les éléments de sa stratégie de marque définie au préalable.

Internet sera considéré comme business dans le cas où l'entreprise envisagerait d'offrir ses produits ou services à la vente en-ligne. Trois situations sont alors possibles: 1) l'entreprise existe déjà de manière physique, avec ses bâtiments, ses systèmes, ses procédures, etc. et envisage d'utiliser Internet aussi bien que ses canaux de distribution traditionnels, 2) l'entreprise physique décide de migrer toutes ses activités sur Internet, ou 3) l'entreprise n'est encore qu'une idée et sera créée entièrement sur Internet.

Certains affirment que pour lancer une entreprise en ligne, il vaut mieux créer une nouvelle entité avec un nouveau nom plutôt que d'utiliser le nom de la société physique, afin d'éviter de disperser la marque (compagnie) et de semer la confusion auprès des clients. L'investissement dans un site marchand performant représente un coût assez élevé. Ce sera plus difficile et plus long de rentabiliser cet investissement si les clients continuent d'acheter par les canaux traditionnels et que l'acquisition de nouveaux clients «Internet» ne répond pas aux attentes des gestionnaires.

Internet propose de nouvelles façons de présenter ses produits et services, révèle de nouvelles attentes des consommateurs (délais de livraison, prix, etc.), sollicite une logistique adaptée (logique de lots uniques par opposition aux lots de production) et exige une bonne organisation du service client (par e-mail, chat ou autre). D'un côté, la marque déjà établie incite à la confiance, donc pourquoi pas convertir sa clientèle à Internet ou tendre la main à un nouveau segment de la population' D'un autre côté, est-ce que l'entreprise physique sera capable de voir les changements que provoquent Internet, et de s'adapter? Se lancer sur Internet sans adaptation causera plus de tort à la marque que le statu quo. Par contre, créer de toutes pièces une nouvelle entité uniquement pour Internet suppose que l'entreprise ait les ressources nécessaires (temps, budgets, produits et services de qualité) à la construction d'une nouvelle marque (qui ne se crée pas en un simple claquement de doigts) et qu'elle ait découvert une niche?

Mais revenons un instant sur le concept de la perception de la marque. Si vos clients vous perçoivent comme étant le vendeur de livres ayant la plus grande sélection aux meilleures conditions, vous aurez du mal à les convaincre d'acheter des tondeuses à gazon... Dans ce cas, la stratégie adéquate consisterait sans doute à lancer une nouvelle compagnie et une nouvelle marque.

Quel que soit le cas de figure privilégié, les aspects stratégiques devront être bien clairs avant de se plonger dans les tactiques.

A titre d'exemple, Kodak a récemment racheté Ofoto.com, l'entreprise numéro 1 de services de tirages et d'archivages destinés aux photographes utilisant des appareils numériques. Cette compagnie créée en 1999 est née de la frustration de photographes ne trouvant pas de services de qualité pour leurs tirages numériques. L'association de la marque Kodak à Ofoto.com renforce le sentiment de confiance des clients existants et attire de nouveaux clients submergés par l'offre grandissante de services identiques.

Dell Computers, lui, a choisi de migrer son service de commandes par téléphone (tout de même encore existant) sur Internet, offrant aux clients la possibilité de personnaliser eux-mêmes leur PC. Les sociétés qui vendent par catalogue ou par téléphone disposent déjà d'une organisation et d'un fonctionnement qui se prêtent bien à la vente par Internet.

Et il y a quelques années, Amaz-on.com passait du «Earth's Biggest Book Store» au «Earth's Biggest Selection». Envie d'une tondeuse?

La course aux URL

Au début d'Internet, les premiers moteurs de recherche établissaient simplement la liste des sites web d'après la pertinence des mots clés contenus dans les meta-tags. (aujourd'hui, on peut acheter sa place en tête de liste). Une adresse Internet telle  que www.vin.lu, www.meubles.lu, www.auto.lu, etc. était alors classée en début de liste, immédiatement visible et accessible. On assista donc à une ruée vers les URL, à un «cybersquattage» des adresses Internet. Cependant, quelle valeur un consommateur peut-il associer à une marque qui ne fait que décrire bêtement l'activité principale de la société? Avec l'accroissement de la concurrence, comment une telle entreprise peut-elle se différencier des autres? Imaginez une conversation entre deux individus: «Wow, super voiture! Tu l'as achetée où? », «Chez auto», «Otto?! Otto* vend des voitures maintenant'», «Non! Chez auto!», «Mais c'est ce que j'ai dit!», «?!»? Même si une URL n'est pas une marque (puisqu'une marque regroupe plus qu'un simple nom ou logo, voir article du numéro de juin), c'est tout de même un élément essentiel. En effet, sur Internet, le consommateur qui aura retenu le nom de votre société ou de votre produit le tapera directement dans son fureteur (browser). Il ne passera pas par un moteur de recherche. Les clients se tournent vers les moteurs de recherche uniquement lorsqu'ils ne savent pas qui peut répondre à leurs besoins. Dans tous les autres cas, ils se dirigent directement vers les marques connues. Si vous cherchez un livre sur Internet, allez-vous d'abord passer par votre moteur de recherche pour trouver une librairie en-ligne? Probablement pas. Vous taperez amazon.de/com ou ernster.lu ou votre libraire préféré.

Sur Internet comme dans le monde physique, lorsqu'une compagnie choisit son nom, ce nom doit évoquer quelque chose dans la tête du consommateur. Vous ne nommeriez pas votre société «auto» ou «autos» ou «vin» ou «fleur». Il est donc préférable d'éviter les noms communs qui font allusion à une partie de vos activités puisque l'astuce consiste à se différencier et à provoquer une association avec quelque chose d'agréable, de performant, de positif. L'entreprise choisira donc un nom propre, un nom évoquant une image puissante ou bien une combinaison habile de noms communs. Amazon évoque l'image de la plus grande rivière. Everest, la plus haute montagne. Oxygen, une bouffée d'air frais. Everyday, quelque chose d'indispensable. Ce n'est donc pas la peine de se ruer vers les «chaise», «table», «bouteille» à vendre dans le cyberespace.

Les compagnies qui intègrent l'appendice «.com» ou «.lu» dans leur nom font également fausse route. Plutôt que de donner l'impression de modernité et de progression, les récents événements boursiers confèrent à ces entreprises une image (justifiée ou non) instable. La tendance a donc été depuis peu de renommer les entreprises. Par exemple, Autobytel.com a officiellement changé son nom en Autobytel Inc en août dernier. De même, les entreprises devraient à tout pris éviter les «e-», «i-», «cyber-» etc. dans leur dénomination officielle, puisque cela limite les activités de l'entreprise dans la perception qu'ont les consommateurs. Beaucoup de temps et d'argent sont dépensés dans l'établissement d'une marque. Il serait dommage de devoir recommencer pour convaincre ses clients. «Oui, mais, on ne fait pas que'» Et d'ailleurs, le client a toujours raison en ce qui concerne le positionnement d'une entreprise ou d'un produit: c'est sa perception qui compte, même si le management en a une autre idée.

Pour un bon nom sur Internet

Pour trouver un bon nom de marque sur Internet, il faut respecter quelques règles. Tout d'abord, le nom devrait être le plus court possible, tout en restant descriptif: bn.com est trop court et pas assez évocateur. En revanche, les gens disent «PWC» en  parlant de PricewaterhouseCoopers.

Dommage que pwc.com n'existe pas, puisqu'il évoque désormais quelque chose dans la tête des gens. Et honnêtement, pricewaterhousecoopers.com, ça fait long à taper dans un fureteur, pwcglo-bal.com ne nous viendrait pas à l'idée, et encore moins pwcglo-bal.com/lu tel qu'affiché sur les cartes de visite (du moins celles que je possède). En revanche pwc.lu existe.

Ensuite, le nom devrait être le plus simple possible. Il vaut mieux éviter les noms très longs ou compliqués par une combinaison de lettres et de chiffres. Si le nom est trop amphigourique, les clients abandonneront vite.

Le nom sera de préférence unique. Il sera ainsi mémorisé plus facilement (Kodak, Xerox, Bourso-rama?).

Une prononciation aisée et une orthographe facile à épeler sont primordiales. Lorsqu'on parle d'un magasin physique, il n'est pas important de se rappeler comment s'écrit exactement le nom, puisqu'il existe physiquement et on sait où le trouver. Sur Internet, c'est tout le contraire.

Un  nom provocateur (dans les limites du bon goût!) fera parler de lui dans la presse, une façon non-négligeable de faire connaître sa marque et d'activer le «bouche-à-oreille».

David et Goliath:

y a-t-il de la place pour tout le monde sur Internet?

Oui, mais tous ne seront pas gagnants. Pour imposer sa marque sur Internet et se tailler la plus grande part de marché, il faut dominer sa catégorie de produits ou de services. Lorsqu'un site commence à se développer (à offrir plus de valeur ajoutée), il attire de plus en plus d'utilisateurs et devient rapidement la référence. Est-ce que Barnes & Nobles dépassera Amazon' Probablement pas, à moins que le couple produit/service d'Amazon ne se détériore. Pourquoi changer ses habitudes si nous sommes satisfaits et si l'entreprise s'efforce de nous fidéliser au travers d'une multitude d'offres personnalisées?

Etablir une marque sur Internet répond donc à des critères spécifiques, et les entreprises devront prendre le temps (mais pas trop!) d'évaluer leurs options avant de se lancer.

* Détaillant offrant ses produits par catalogue et par Internet en Allemagne

en bref

-Penser qu'Internet change tout ou ne change rien est une erreur qui coûtera cher.

- Internet est une tactique, pas une stratégie.

- Sur Internet, c'est la valeur ajoutée qui compte.

- Une expérience client positive contribue de façon capitale à établir une marque.

- L'utilisation des dernières technologies en soi ne créé ni n'augmente la notoriété d'une marque.

- Etablir une marque prend du temps, même sur Internet

Everyday.com:

une marque Internet bien européenne

Le concept everyday.com est de simplifier la vie de tous les jours au travers d'un nouveau portail offrant des services pratiques, des informations et même du shopping. Le nom, une combinaison de deux mots communs, se retient bien et évoque le quotidien et l'indispensable.

Boursorama.com:

une véritable marque Internet issue de la Grande Région

Boursorama.com est un service d'informations boursières gratuites édité par la société Finance Net de Nancy. Plutôt que d'utiliser son propre nom pour ce service, la société a choisi de créer une marque distincte. Le nom original et unique illustre très bien les activités du site et se retient bien. L'utilisateur sait à quoi s'attendre : un panorama d'informations boursières.