Jean-Claude Lucius: «Le core business et l’opérationnel doivent être gérés en interne.»  (Photo: Julien Becker)

Jean-Claude Lucius: «Le core business et l’opérationnel doivent être gérés en interne.»  (Photo: Julien Becker)

De l’outsourcing à la sous-traitance, une grande partie des activités d’une société peuvent être assumées par un prestataire tiers. Cette possibilité, motivée pour des raisons de coûts, de gain de performance ou par manque de ressources internes, implique de facto de définir le périmètre du cœur d’activité de l’entreprise. Rien ne sert d’aller trop loin dans l’externalisation… ni trop vite. «Le core business et l’opérationnel doivent être gérés en interne, déclare Jean-Claude Lucius, managing partner d’IF Group. Les activités qui ne sont pas liées à ce cœur de métier et qui nécessitent des investissements en matière de temps, de coûts ou encore de ressources humaines peuvent être externalisées.» La notion de core business définie, l’entreprise peut se mettre à la recherche de prestataires – ou partenaires – pour la réalisation de tâches assumées auparavant en interne, dans le cas d’une entreprise existante.

Ne pas sous-estimer la TVA

Alors que l’outsourcing renvoie à des notions technologiques et/ou la délégation de back-office à l’étranger, d’autres activités historiques prestées par des cabinets de conseil ou d’expertise, fiscale notamment, appartiennent aussi à cette catégorie. Il en est ainsi de la tenue des comptes d’une société ou de la réalisation des déclarations fiscales. «Nous sommes amenés à réaliser des études fiscales pour des clients, ce qui pourrait être perçu comme de l’outsourcing, déclare Erwan Loquet, managing partner de BDO Luxembourg. La matière fiscale devient à ce point complexe que les clients ont besoin de compétences spécifiques.» La fiscalité est d’ailleurs l’une des conséquences de ce type de décision. Qui dit fiscalité, dit TVA. Une donnée a priori importante, mais dont les conséquences ne sont pas toujours mesurées correctement en amont. «L’externalisation d’une fonction implique la signature d’un contrat avec un fournisseur de services», relève Gerdy Roose, associé et responsable métier du département fiscalité de BDO Luxembourg. «Par conséquent, une fonction réalisée en interne qui ne générait pas de TVA va en générer pour des raisons d’émission de factures se rapportant à la fonction déléguée.» Dans beaucoup de cas, la charge de TVA ne pose pas de problème, car elle récupérable. Mais «au sein du secteur financier, la TVA n’est que partiellement récupérable, le coût de l’outsourcing doit donc être mesuré en tenant compte de ce paramètre». Un coût qui sera différent suivant le type d’entité concerné. La Cour de justice de l’Union européenne présente à ce sujet une jurisprudence prononcée au cas par cas. En mars dernier, la Cour a ainsi rendu un arrêt dans une affaire liée à des services de conseils en placement fournis à des fonds d’investissement qui, selon l’instance, doivent faire l’objet d’une exemption de TVA, une décision saluée par l’Alfi. «La jurisprudence est fluctuante, elle dépend du secteur concerné et de la fonction déléguée, mais d’une manière générale, à chaque fois qu’on parle d’externalisation, le coût de TVA est à considérer», rappelle Erwan Loquet. La notion d’outsourcing peut également se concevoir au sein d’un même groupe, divisé en différentes entités, certaines étant en charge de métiers ou de fonctions spécifiques pour l’ensemble du groupe. Elles agissent donc en tant que fournisseurs de services aux autres entités. D’où une problématique de la TVA à laquelle se greffe celle liée à la notion de prix de transfert. Si l’on ajoute à ces paramètres le fait que les entités se trouvent souvent dans plusieurs pays, on comprend que régler la question du juste prix de transfert peut s’avérer périlleux mais pourtant nécessaire.

Quel type de transfert?

Les différentes administrations se montrent en effet vigilantes sur le prix fixé, généralement sur base d’une fourchette. Cette vigilance s’explique en partie par la tentation de déléguer une fonction donnée dans un pays où la fiscalité sera plus avantageuse.

Si la recherche de la performance d’une entreprise par le biais d’une externalisation ne fait pas de doute, le sort réservé aux employés concernés par ce mouvement est aussi à prendre en considération. En matière de droit du travail, une notion centrale peut entraîner des con-séquences selon le cas de figure: le transfert d’entreprise. Il convient donc de déterminer, au plus vite, si l’outsourcing ou, à l’inverse, une opération d’insourcing constitue un transfert d’entreprise pour préciser les droits et obligations de chacun.

Le Code du travail précise que «par transfert, il y a lieu d’entendre le transfert d’une entité économique qui maintient son identité et qui constitue un ensemble organisé de moyens, notamment personnels et matériels, permettant la poursuite d’une activité économique essentielle ou accessoire.» Concrètement, plus les éléments nécessaires pour réaliser l’activité transférée au prestataire de services sont nombreux, plus la probabilité de voir l’opération qualifiée en transfert d’entreprise sera importante. Il s’agit donc d’une notion très factuelle, variant d’une situation à l’autre.

«En cas de transfert d’entreprise, les contrats de travail seront automatiquement transférés vers le nouvel employeur», note Christophe Domingos, senior associate au sein de Castegnaro Cabinet d’avocats. Schématiquement, le salarié ne constatera qu’un changement de nom d’employeur sur sa fiche de salaire qui sera maintenu, au même titre que les autres conditions de travail. Pour pouvoir qualifier l’opération d’outsourcing en transfert d’entreprise, il convient en outre de déterminer l’actif essentiel à la conduite d’activité. «Les activités de certaines entreprises sont basées sur la main-d’œuvre, comme le nettoyage et la sécurité. L’actif essentiel est donc la personne. Dans ce cas, s’il l’on transfère une partie essentielle de la main-d’œuvre et de ses compétences, l’opération tombera sous le coup du transfert d’entreprise.»

Le secteur IT, fortement concerné par l’outsourcing, pose en revanche question quant à l’actif essentiel pour conduire l’activité, entre le personnel et le matériel utilisé. «La jurisprudence, notamment au niveau communautaire, n’est pas encore suffisamment claire pour statuer si les activités IT sont basées sur le personnel ou sur les éléments technologiques, surtout concernant des activités comme les data centres.» S’il n’y a pas de transfert d’entreprise, le prestataire n’a pas d’obligation de reprise du personnel. «Soit on réussit à négocier des départs chez le repreneur de l’activité, soit il y aura recours à des licenciements économiques fondés sur la disparition des postes, précise Christophe Domingos. Le risque de plan social peut donc se produire suite à un outsourcing, si les seuils légaux du plan social sont atteints.» Préalablement à la finalisation du projet, les représentants du personnel peuvent être consultés. «Une procédure d’information et de concertation de la délégation du personnel et du comité mixte peut être mise en place car la décision d’outsourcer peut avoir un impact sur l’organisation du travail.» L’information et la consultation n’empêcheront cependant pas l’employeur de mener son projet d’outsourcing. Ce dernier ne sera en effet pas contraint de tenir compte de l’avis des représentants du personnel. En corollaire à la définition du transfert, la tentation de limiter les indices pour éviter cette qualification pourrait toutefois survenir. «L’abus principal pourrait être de ne vouloir rependre aucun salarié pour éviter le transfert. Mais les entreprises qui font de l’outsourcing gèrent cette question de façon contractuelle, sous l’angle de la négociation plutôt que de l’opposition», ajoute Me Domingos. Les jurisprudences en la matière s’inspirent du droit communautaire et de la philosophie de la Cour européenne de justice qui souhaite étendre au maximum le champ d’application de la directive 2001/23/CE. Un texte dont les origines remontent à 1977, à l’époque où l’outsourcing commençait justement à prendre de l’ampleur. La directive souligne que «le transfert d’une entreprise n’est pas en tant que tel une justification de licenciements. Toutefois, ceux-ci peuvent survenir pour des raisons économiques, techniques ou organisationnelles, voire pour certaines catégories de travailleurs non couverts par la législation contre le licenciement.»

Effets indirects

Outre ces aspects fiscaux et légaux, le client doit également veiller à analyser scrupuleusement les offres qui se présentent à lui. «Le client doit s’assurer de la pérennité du prestataire, ajoute Jean-Claude Lucius. Il est aussi important que le prestataire soit indépendant et ne dispose pas que d’un seul client. Sans oublier les notions de sécurité et de confidentialité.» Les infrastructures seront également soumises au filtre de la phase préparatoire à l’outsourcing. Pour y parvenir, s’entourer d’un spécialiste n’est pas à exclure. «Le recours à un conseiller indépendant dans le cas de l’IT permettra de bénéficier d’un regard externe vis-à-vis des différentes offres reçues.» De leur côté, les fournisseurs de services doivent composer avec un environnement réglementaire complexe qu’ils doivent maîtriser pour le compte de leur client, tout en améliorant leurs processus internes afin de gagner en efficacité et de proposer de nouveaux services. «Nous devons pouvoir offrir une solution flexible, adaptée, efficace et incluant la sécurité au vu des données sensibles et confidentielles traitées, ajoute Erwan Loquet. Un contrat d’outsourcing se déroule souvent sur plusieurs années, d’où l’importance d’anticiper les évolutions potentielles des relations entre le donneur d’ordre et le fournisseur de services.» Reste que le contexte économique et réglementaire produit des effets indirects positifs pour les prestataires de services d’externalisation, les clients souhaitant concentrer leurs efforts sur leurs intérêts et objectifs stratégiques.

La complexité exacerbée de la réglementation, nationale et européenne, contribue ainsi à cette tendance. «Les particularités du marché du travail luxembourgeois et la rigidité du Code du travail incitent également les clients à faire appel à des services externes, notre Jean-Claude Lucius. Il s’agit d’un fil conducteur au sein de tous les secteurs d’activité.» Un contexte réglementaire qui nécessite dès lors des spécialistes au sein des équipes des fournisseurs, qui doivent également trouver les bons profils pour remplir leurs missions.

«Nous voulons que nos collaborateurs soient de bons généralistes, ajoute Gerdy Roose. Les demandes des clients les amènent de facto à se spécialiser, mais il est important que nos collaborateurs disposent d’une bonne formation de base pour ne pas se concentrer uniquement sur un seul aspect.»

Assurer l’essentiel pour mieux se donner les moyens de la réussite, telle pourrait être la philosophie des entreprises qui souhaitent externaliser une partie de leur activité. «Il est toutefois primordial de ne pas perdre de vue le développement d’une culture d’entreprise qu’il est difficile de maîtriser si le core business est externalisé», précise Jean-Claude Lucius en forme d’avertissement.

La définition de priorités est donc primordiale pour s’assurer une croissance et développer une relation équilibrée avec son fournisseur de services. 

Tendances

Une notion ancienne

Interrogés au gré du dossier sur leur vision de l’outsourcing, les experts de la question ont, via leurs réponses, apporté autant de perspectives que de domaines concernés par l’outsourcing. Si les acceptations récentes renvoient au business process improvement (BPO), autrement dit l’amélioration d’un processus cible au sein de l’entreprise, la notion d’externalisation est profondément ancrée dans les gènes des entreprises. Elles sont en effet nombreuses à recourir, souvent depuis leur création, à un expert-comptable pour remplir les fastidieuses obligations fiscales. L’outsourcing qui se mesure en fonction du coût – ou du gain potentiel – doit aussi s’apprécier à la lumière de la compétence externe qui profite au développement de l’entreprise. Car comme le montrent différents témoignages, les entrepreneurs ne sont jamais trop entourés lorsqu’il faut réussir le pari de la pérennité d’une activité.