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Entretien avec: Serge Estgen, directeur, Ghislain Giraudet, directeur artistique, Valérie Giraudet, account director, Nathalie Goergen, account manager

Votre agence est une des plus anciennes du pays, et  a connu, au fil de son évolution, pas mal de hauts et de bas. Ces fluctuations semblent-elles aujourd'hui révolues et l'agence s'est elle faite sa place définitive dans le paysage de la pub nationale?

Serge Estgen: Absolument. Il est vrai qu'il y a eu beaucoup de fluctuations au cours des années, et cela surtout au niveau du personnel. Mais on a réussi à se faire, entre temps, une place méritée. Et nous évoluerons encore, car nous ne pensons pas rester en place sans découvrir d'autres terrains d'activité. Cette évolution est un must pour l'agence.

Valérie Giraudet: Nous avons commencé à faire face aux nouvelles technologies avec l'aide de notre partenaire Saïos. Ainsi nous pouvons, grâce à un personnel compétent, adapter tout le secteur Internet. Saïos s'occupera du volet technique et informatique, ce qui n'est pas notre métier, et nous assumerons les responsabilités des mises en page et de la stratégie commerciale.

Quelles sont les particularités de votre agence, et comment se démarque-t-elle du reste du marché?

S.E.: Bien entendu, si je vais vous dire que nous sommes une agence full service, vous me répondrez que les autres en font autant. De notre côté, nous livrons effectivement un travail fondamental avec de bonnes recherches de base et l'évaluation de la situation du client. Après avoir établi ses points forts et faibles, nous traçons le chemin à prendre.

V.G.: Avec un travail de stratégie en amont.

S.E.: Nous ne nous contentons pas de "cracher" des lay-outs. Nous proposons les meilleurs chemins à prendre pour vendre plus. Et cela pour toutes sortes de clients, que ce soit le petit artisan ou la société importante.

Ghislain Giraudet: Si nous affirmons que nous traçons notre chemin, cela veut dire que nous ne nous positionnons pas par rapport aux autres. Nous essayons tout simplement de faire du bon travail en cultivant une atmosphère amicale. Comme une grande famille.

S.E.: On se balance vraiment les quatre vérités, nous avons un vrai travail d'équipe. Lorsque Ghislain vient de créer quelque chose, il fait le tour de l'agence. Même si nous avons tous nos fonctions bien définies,, l'entité de l'agence fonctionne en premier lieu comme une cellule d'essai pré-test.

Quelquefois il nous arrive aussi de refuser un travail parce que le client ne veut plus suivre notre fil rouge. Nous ne faisons pas des essais impossibles sur des concepts dictés par le client.

G.G.: On essaie toujours de faire évoluer les choses et de les tirer vers le haut. Après le briefing, nous finissons toujours par proposer au client une plusvalue par rapport à ce qu'il avait vraiment demandé. Nous ne nous limitons jamais à être de simples exécutants.

S.E.: la clientèle se scinde en deux sortes: ceux qui ont vraiment des problèmes, et ceux qui voudraient dépasser de façon substantielle l'évolution de leur chiffre d'affaires.

Quelles sont, selon vous, les caractéristiques spéciales du marché national global: son évolution, ses forces et ses faiblesses?

S.E.: Le commerçant luxembourgeois considère la pub comme une corvée. Il hésite à débloquer des budgets, car il se sent plutôt obligé d'investir dans ce domaine.

G.G.: Malgré la taille du marché, j'ai l'impression que les budgets sont quand même assez conséquents.

S.E.: Parce que tu es arrivé à un moment où la situation à commencer à s'améliorer légèrement. Aux Etats-Unis et en Allemagne, cela a toujours fait partie d'une évolution normale d'investir dans la communication

G.G.: Nous sommes quand même en face d'un petit marché à distribution minime. Comparée à ces pays là. Cela devient donc un gros investissement pour les concernés.

S.E.: Il faut aussi, dans ce cas là, passer beaucoup plus de temps à justifier les investissements.

Petit brainstorming pour tester votre spontanéité de pubeur: quels sont, à chaud, les adjectifs ou slogans qui définissent le mieux le paysage publicitaire luxembourgeois?

S.E.: Dur (car il y a beaucoup de guéguerres et de jalousies). Et bipolarité (concurrence très poussée avec, néanmoins, une base de collégialité)

Nathalie Goergen: Clos.

G.G.: Microcosme (dans lequel tout est instantané). Qualité. La transmission de données est très au point par rapport à d'autres villes.

Trouvez-vous qu'en moyenne la pub' nationale tienne la route avec les campagnes internationales, et cela aussi bien en originalité qu'en qualités techniques, ou allez-vous vous réfugier derrière le bon vieil argument du manque de budgets confortables?

S.E.: Même avec des petits budgets, on arrive à faire de bonnes choses.

N.G.: Sauf tourner des spots télé à gros budgets ou organiser des événements énormes. Nous n'irons pas faire des photos à Bali.

G.G.: Il y a aussi des pubs monstrueuses réalisées avec de gros budgets. Avec une bonne idée de base, on peut aussi faire du bon boulot sans budget énorme.

S.E.: La qualité, c'est une donnée fixe, même pour des budgets moindres. Mais augmenter l'efficacité au maximum, faire un bon plan media, ça exige des moyens. Cela doit être vu selon deux axes. On essaie de véhiculer un message clair qui atteint sa cible. Il faut que ça fasse plaisir, que le visuel donne envie de regarder. Et que ce soit avant tout quelque chose de gai.

G.G.: Quand je suis arrivé à Luxembourg, j'ai tout de suite constaté qu'il y avait une atmosphère particulière. C'est un pays ouvert, mais qui a ses particularités. Il faut donc des messages spécifiques, et adaptés au Luxembourg. Les Luxembourgeois tiennent à leur identité, il faut la conserver.

Que pensez-vous de ce boom extraordinaire qui a fait que le nombre d'agences se sont multipliées à l'infini pendant les dix dernières années? Est-ce un enrichissement ou plutôt une tare?

S.E.: C'est classique et banal. La concurrence, c'est toujours une bonne chose. Une sélection naturelle se fera. Une bonne philosophie de base du commerce est le libéralisme. Et que le meilleur gagne.

G.G.: En ce qui concerne les jeunes agences, il faudra voir dans cinq ans ce qu'il en reste.

N.G.: Cela vient aussi du fait qu'ici tout le monde peut ouvrir une agence moyennant des conditions moindres.

G.G.: C'est aussi une preuve de la santé du marché.

S.E.: Ainsi, les agences établies sont un peu secouées et obligées de trouver plus souvent de bonnes idées. Le coup de pied dans la fourmilière, ça influe sur la dynamique de la créativité.

Au niveau des concepts des campagnes, avez-vous l'impression qu'il y a occasionnellement plagiat sur des créations internationales?

S.E.: Il y a aussi des hasards. Un visuel peut ressembler de manière flagrante à un autre avec un même concept de base. On a tous vécu cela.

G.G.: Mais l'inverse s'est produit aussi. Cela fait très bizarre, surtout quand deux projets analogues sortent au même moment.

S.E.: Les tendances de base et les modes font aussi que deux agences aillent dans la même direction. On ne peut donc pas obligatoirement parler de plagiat.

G.G.: Il y a aussi différentes formes de plagiat. Il peut se cacher dans le concept, le design, le visuel, la mise en forme.

Par rapport aux régies publicitaires et aux médias, trouvez-vous la situation au Luxembourg: exemplaire, plutôt moyenne, carrément navrante?

V.G.: On arrive toujours à trouver un compromis.

N.G.: Ou de décaler légèrement une date de remise de matériel en cas d'urgence.

S.E.: Il y a néanmoins un détail gênant dans tout. C'est quand des régies démarchent nos clients en direct. Ce problème est par exemple inimaginable dans un pays comme la Belgique.

N.G.: C'est aussi au client d'avoir le réflexe et de les renvoyer vers nous.

S.E.: Oui, mais tout d'abord il s'agit de respecter les règles d'une certaine déontologie entre collègues. En moyenne, cela se passe mieux lorsqu'on a des plans media sur l'année. Au niveau des dégressifs ou des emplacements de rigueur, on rencontre à ce moment là beaucoup plus de flexibilité. Cela va dans le bon sens, dès qu'il y a un fil rouge on a droit à un meilleur ficelage. De nos jours, on nous informe aussi mieux en moyenne des dossiers spéciaux qui peuvent être bénéfiques à notre clientèle.

Existe-t-il encore certains tabous au Luxembourg qui vous empêchent d'aller au bout de votre créativité, ou peut-on tout oser de nos jours au Grand-Duché?

G.G.: On ne se fixe pas de barrières. Mais lorsqu'on présente des projets un peu plus osés, ils sont toujours refusés. Le client vous dira que c'est très bien, il refusera néanmoins.

S.E.: Ce qui est présenté au client a déjà passé notre cap. Avec une notion d'inspection du mauvais goût, on élimine d'avance. Il ne faut pas que ça heurte la dignité humaine, avec des coups en dessous de la ceinture. Une image choquante n'a rien à voir avec de la pub.

G.G.: Il n'y a qu'à prendre l'exemple Benetton, le message a finalement effacé la marque. De toute façon, le marché national est réticent à tout ce qui est agressif. Utiliser des spermatozoïdes comme visuel, c'est déjà trop.

On n'entend pas beaucoup parler des activités du Comité d'Ethique en matière de publicité. Pensez-vous que c'est parce qu'il n'y a pas de grande utilité ou, au contraire, avez-vous des exemples sur lesquels il aurait, à votre avis, dû intervenir sans l'avoir fait.

N.G.: Il  donne des conseils, mais ne peut intervenir.

G.G.: Cela fait deux ans que je suis ici, et je ne vois vraiment pas où il aurait dû intervenir. Car à l'intérieur des agences, on ne va pas forcément très loin.

S.E.: Parfois il y a réticence chez le client, parfois des campagnes se font refuser par les médias, et parfois c'est aussi une question d'appréciation personnelle. Nous , on travaille à ciel ouvert. Le marché évolue, mais le tabou reste. Ce qui touche à la faiblesse humaine et à la dignité ne doit pas être utilisé à des fins publicitaires. Ce serait irresponsable.

G.G.: On peut aussi parler de sexe sans montrer de nudité. Et utiliser le tabou pour le faire disparaître.

S.E.: Montrer des cadavres et des cercueils en choquant pour choquer, ça ne donne d'ordinaire pas de grands résultats.

Quel effet les nouveaux médias ont-ils sur votre travail'

N.G.: Il y a bien sûr le média Internet, sur lequel nous nous concentrons, avec sa création bien particulière.

S.E.: Et le réaménagement est aussi offert à nos clients.

G.G.: Mais le nouveau média est utilisé comme les supports classiques, sauf que les gens l'abordent différemment. Il permet aussi de faire de belles animations. Des grandes sociétés ont énormément investi dans ce domaine. Peut-être un peu trop tôt, car le retour n'est pas encore là, ce qui a provoqué des licenciements en bloc. Il faut dire que Luxembourg est un bon endroit pour développer ce support, car il y a déjà d'assez bons équipements dans ce pays.

N.G.: Aucune agence ne peut jusqu'à maintenant prétendre être au top dans ce domaine, car tout le monde est obligé de s'adapter et d'apprendre en continu.

Le multilinguisme crée-t-il des problèmes concrets au niveau de la communication publicitaire, et si oui, lesquels?

S.E.: Ce n'est pas un problème, c'est un acquis. Il y a des slogans qui se laissent facilement traduire, d'autres moins. Trouver la solution pour faire passer le jeu de mots dans une autre langue représente toujours un challenge. Et c'est monnaie courante. La grande fierté pour tout le monde consiste dans le talent à trouver la formule exacte pour la traduction d'un jeu de mots typiquement luxembourgeois.

Lorsque des stratégies conceptuelles vous sont imposées par des clients ou agences de l'étranger s'établissant ici, sont-elles en principe adaptables suivant les normes imposées, ou vous voyez-vous contraints de convaincre le partenaire du principe "Think global, act local'?

S.E.: Nous sommes confrontés à l'éternel problème de bien expliquer les spécificités du pays au client. Et souvent nous avons du mal à faire passer un dérivé de campagne venant de l'étranger. Mais il arrive souvent que nous arrivons à limiter les dégâts moyennant de légères adaptations.

Lequel de vos concurrents se rapproche-t-il le plus dans son travail de ce qui vous semble idéal' Bref, avez-vous une admiration pour une agence en particulier, ou plutôt pour les actions ponctuelles de différentes maisons.

S.E.: Je pense que Mikado fait de bonnes choses, et Binsfeld aussi. Ce sont de bons confrères.

G.G.: Pour ne pas nommer les plus grands, j'ajouterai bizart. Et, à la rigueur, MBS, surtout quand on tient compte de ce qui y a été fait dans le passé

S.E.: Tout ce qui est à message utile, et qui crée de l'émotion en faisant grimper le chiffre d'affaires du client, c'est du bon travail.

Quelles sont vos perspectives personnelles, et comment voyez-vous celles du marché publicitaire au Luxembourg en général'

S.E.: La situation est à la hausse. Le marché va bien, mais il y aura des augmentations moins spectaculaires. Ca risque de plafonner légèrement. Mais en considérant le niveau économique du pays, cela devrait encore assez bien se passer dans un premier temps. Quant à nous, avec notre structure actuelle et des clients comme CMD, La Bâloise ou Electrolux, je pense que nous avons une bonne base et un bon standing.