Alexis Glavasevic, avocat associate au sein de Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

Alexis Glavasevic, avocat associate au sein de Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

Lorsqu’un employeur entend licencier un salarié pour insuffisance professionnelle, il peut légitimement s’interroger sur le risque contentieux lié à une telle mesure. Toute précision jurisprudentielle est dès lors la bienvenue pour peu qu’elle illustre l’appréciation que font les juridictions luxembourgeoises d’une telle insuffisance.

C’est en ce sens qu’est allée la Cour d’appel dans un arrêt rendu le 13 octobre 2016, au sein duquel elle a déclaré régulier le licenciement avec préavis d’un salarié de banque survenu en raison de son insuffisance professionnelle.

À la base du licenciement de ce dernier, qui cumulait une expérience professionnelle dans le secteur de la finance de 23 ans et une ancienneté de service de plus de cinq ans auprès de son employeur, gisaient plusieurs faits commis sur une période de huit mois consécutifs.

En l’espèce, la banque reprochait notamment au salarié d’avoir:

 -        commis des erreurs manifestes:

  • indication de numéros de comptes bancaires erronés,
  • oubli de mentionner un fonds lors de la réalisation d’une cartographie des fonds ayant un lien direct avec la banque,
  • sollicitation auprès d’une collègue d’informations que cette dernière lui avait déjà transmises auparavant, etc.

 -        eu une attitude désinvolte:

  • réponses stéréotypées au sein d’e-mails,
  • absence de renseignements précis délivrés à la CSSF,
  • indication que l’un de ses collègues allait «reprendre les rênes» au sein d’un dossier, etc.

À la base de son action en justice, le salarié critiquait entre autres le fait d’avoir été licencié pour insuffisance professionnelle sans que la banque ne lui ait délivré d’avertissement préalable.

Pour apprécier si une situation d’insuffisance professionnelle est susceptible de constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, les magistrats appliquent traditionnellement deux conditions issues d’une jurisprudence bien établie: l’insuffisance professionnelle doit ainsi être étayée par des faits précis et constatés sur une certaine durée [1].

À ces deux conditions, une troisième est parfois ajoutée par les magistrats qui estiment alors que le salarié doit avoir été préalablement sanctionné par au moins un avertissement [2].

Il était par conséquent intéressant de connaître la position de la Cour d’appel quant à l’argument du salarié, alors qu’elle n’a jamais précisé jusqu’à présent la façon dont elle apprécie cette «condition» d’avertissement préalable.

En l’espèce, la Cour a déclaré le licenciement du salarié justifié, alors même que les premiers juges l’avaient déclaré abusif faute de faits suffisamment graves, estimant que: «Compte tenu de la multiplicité des faits, de la circonstance qu’ils se sont produits dans un laps de temps relativement court (entre mars et novembre 2012) et qu’ils sont imputables à une personne ayant une ancienneté de service supérieure à cinq ans […] et une expérience professionnelle dans la finance de plus de 23 ans […], [les faits] étaient suffisamment graves pour justifier un licenciement avec préavis.

Sous ce rapport, il est sans incidence que jusqu’au moment de son congédiement, A.), qui, en dépit des preuves produites, ne fournit aucune justification quant aux reproches formulés à son égard, mais se limite à en constater la matérialité et le caractère de gravité en des termes généraux, n’avait apparemment pas fait l’objet d’un avertissement.»

À la lecture de cet arrêt, peut-on pour autant considérer qu’il s’agit d’un revirement de jurisprudence et que la Cour a abandonné sa jurisprudence relative à l’exigence d’avertissement préalable? Il serait téméraire de l’affirmer.

Il semble plutôt que les juges ont voulu saisir l’occasion de préciser leur jurisprudence antérieure et livrer les clés selon lesquelles ils apprécient et modulent cette exigence.

Ainsi, ce n’est qu’au regard des circonstances de fait particulières de l’espèce que la Cour a décidé de la modérer, compte tenu notamment:

  • de la très longue expérience professionnelle du salarié dans le domaine de la finance (i.e. 23 ans),
  • du fait qu’il cumulait une ancienneté de service de plus de cinq ans au sein de la banque qui l’employait,
  • et de l’absence de justification satisfaisante de la part du salarié quant aux comportements et erreurs reprochés.

Il est permis de penser que si le salarié avait eu une expérience professionnelle moins considérable, la Cour aurait peut-être effectué une appréciation plus restrictive de son exigence, cette fois en défaveur de l’employeur.

Les parties à un litige sont dorénavant averties quant aux modalités selon lesquelles la Cour apprécie son exigence d’avertissement(s) préalable(s), en tenant compte à la fois de l’attitude de l’employeur, mais aussi de l’expérience professionnelle du salarié dans son secteur et plus généralement de l’ensemble des circonstances de fait entourant le litige.

Cet arrêt très casuistique ne permet pas de conclure que la Cour d’appel a abandonné sa jurisprudence antérieure, et il reste recommandé en matière d’insuffisance professionnelle d’agir ainsi que chaque situation l’exige, au besoin par la délivrance d’avertissement(s) préalable(s).

Cour d’appel, 13 octobre 2016, n°42395 du rôle

[1] Cour d’appel, 14 novembre 1996, n°18649 du rôle; Tribunal du Travail de et à Luxembourg (T.T.L.), 8 février 2010, rép. fisc. n°509/2010; T.T.L., 8 juillet 2011, rép. fisc. n°3062/2011.

[2] T.T.L., 18 octobre 2012, rép. fisc. n°3670/2012; Cour d’appel, 12 mars 2015, n°40108 du rôle.