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 (Photo: Julien Becker)

Si le Luxembourg est parfois qualifié de paradis dans la sphère fiscale, il semble se rapprocher de l’éden quant à sa politique de soutien à l’innovation. Selon un nouvel indicateur établi par la Commission européenne et publié en septembre dernier, le Grand-Duché pointe en effet à la 4e position des pays qui tirent réellement profit de leur politique en la matière, derrière la Suède, l’Allemagne et l’Irlande

Au-delà du classement en tant que tel, quoique plutôt encourageant, les éléments façonnant l’indicateur rendent ces résultats d’autant plus intéressants: le nombre de brevets, l’emploi dans les activités «à forte intensité de connaissances» par rapport à l’emploi total, l’emploi dans les entreprises à croissance rapide, ainsi que la compétitivité (en fonction de la contribution à la balance commerciale globale des produits de haute ou moyenne technologie). De quoi donner des idées au nouveau gouvernement et inviter les entreprises à redoubler d’efforts. Il s’agit aussi d’un signal pour les acteurs économiques qui n’auraient pas encore choisi de mener un processus d’innovation structuré. Car il est avant tout question de temps. «L’innovation ne se décrète pas, elle doit être stimulée via un processus mené sur le long terme», déclare Jean-Marc Fandel, ancien CEO de Cetrel et désormais associé du cabinet FDL Partners for Growth, dont il est un des trois cofondateurs. «Le conseil d’administration des entreprises et leur management ont donc un rôle important dans le façonnage d’un terreau fertile afin de faire éclore les idées innovantes.»

Productivité vs innovation

Outre le temps et le rôle visionnaire du conseil d’administration, le budget est naturellement l’un des autres éléments indispensables pour aboutir à des produits ou services innovants. «Il est aussi important de se fixer un budget et de le dépenser», déclare Gaston Trauffler, head of innovation management, design & strategic intelligence au sein de Luxinnovation, l’agence nationale de promotion de l’innovation. «Les projets issus de l’innovation ne sont pas rentables dès le premier jour. Il s’agit de projets menés sur le long terme, qu’il faut parfois laisser reposer avant d’éclore.» L’innovation nécessite donc un terreau fertile doit être cultivé durant de nombreuses années, selon les observateurs du sujet rencontrés dans le cadre de ce dossier. Mieux, l’innovation doit pousser les entreprises à sortir de leur «zone de confort». «On a tendance à faire mieux ce qu’on sait déjà faire, plutôt que de faire ce qu’on devrait faire», ajoute Jean-Marc Fandel. «La logique d’amélioration de l’organisation existante s’affronte avec une logique de rupture inhérente à l’innovation.» Autant de conditions qui vont à l’encontre de la productivité stricto sensu. «Je me suis consacré durant neuf ans à imaginer et à lancer le produit», se souvient Patrick Barbedor, CEO de la société Homesystem qu’il a créée sur base d’un besoin personnel de solution innovante dans le rayon de la domotique domestique. «Il est donc nécessaire de bien s’entourer pour s’assurer, par exemple, que le produit innovant pourra être reproduit, ainsi que pour se fixer des limites en termes de prix.»

Seuls aux commandes de leur entreprise, les patrons de PME peuvent aussi se sentir démunis en matière d’innovation, comme l’indiquait dernièrement Michelle Detaille, patronne du groupe Codipro lors des «États généraux de l’économie» organisés par le paperJam Business Club. Reste que les aides existent (voir page 75), encore faut-il avoir le temps d’y souscrire ou frapper à la bonne porte. Des méthodes se développent aussi pour permettre à l’entrepreneur de disposer des repères quant aux besoins du client ou au business plan à dessiner. Car l’invention d’un produit innovant ne rime pas forcément avec succès immédiat. «Il faut aussi créer une relation de confiance avec la clientèle», ajoute Patrick Barbedor. «Outre le produit, vous devez aussi vendre votre société et prouver sa solidité pour déclencher éventuellement l’acte d’achat.» Afin de ne pas mettre en péril une structure existante dans le cas des grandes entreprises ou une situation professionnelle stable dans le chef d’un nouvel entrepreneur, une période transitoire semble s’imposer. «J’ai poursuivi mon emploi précédent tout en développant ma société actuelle afin de ne pas menacer ma situation personnelle», rappelle Patrick Barbedor. À l’instar de cette démarche parallèle, les plus grandes structures jouent aussi la carte de la sécurité. «Nous constatons la création de petites entités juridiquement autonomes, mais rattachées au groupe», note Gaston Trauffler. «Des locaux spécifiques sont ainsi parfois aménagés pour recréer l’ambiance d’un ‘camp’ invitant à la création. Certaines marques délocalisent même un département vers un pays étranger, comme ce fut le cas avec BMW lors du lancement de la première série X, issue d’une équipe dédiée basée en Californie.» L’innovation doit aussi s’envisager sur l’ensemble du modèle d’affaires à réinventer le cas échéant. Il permettra à la société d’émerger avec un produit qui se distingue de ses concurrents, même si celui-ci est plus cher. Une célèbre marque de café vantée par des acteurs américains – dont Georges Clooney – est ici citée en exemple. Le marketing et la communication innovants sont donc aussi deux dimensions primordiales.

Question d’écosystème et d’humain

Le constructeur automobile allemand précité a choisi d’envoyer ses collaborateurs en Californie, non pas pour le climat local, mais bien pour bénéficier d’un environnement propice au changement. Autrement dit, de l’influence et des idées émanant des entreprises à la pointe de l’innovation. Depuis quelques années, le Luxembourg a entamé une réplication de ce modèle, toutes proportions gardées, complété par un réseautage à l’échelle européenne. «Le Luxembourg dispose d’un écosystème favorisant l’innovation», ajoute Jean-Marc Fandel. «Mais au-delà des start-ups et des entreprises bien connues en la matière, il faut d’une part propager l’état d’esprit innovant à d’autres sociétés et d’autre part faire en sorte que les entreprises qui innovent dans l’ombre soient davantage connues.» Se faire connaître et partager les expériences pour stimuler l’intelligence collective, cet autre précepte du processus d’innovation renvoie au rôle des collaborateurs de l’entreprise. D’où l’importance de recruter les meilleurs éléments. «Il est toujours plus difficile de recruter les collaborateurs les plus qualifiés en raison de leur mobilité qui s’est accrue ces dernières années», précise Gaston Trauffler. «Le concept d’open innovation, incitant à la mise en commun des résultats d’expérience via des réseaux, devrait permettre de combler d’éventuelles carences.» Du business model à la planification budgétaire, c’est véritablement toute l’organisation de l’entreprise qui doit être revue sous le filtre de l’innovation lorsque la démarche est entamée. «Le recrutement de collaborateurs différents, sortant des codes traditionnels de la société, est devenu indispensable», estime Jean-Marc Fandel. «Une fois recrutés, il faut les protéger, car chacun d’entre eux qui amène des idées nouvelles est vulnérable.» Vision, humilité, diversité, courage… les vertus nécessaires pour entamer le – long – chemin vers l’innovation rappellent aux stratèges qu’une entreprise ne se gouverne pas sur le court terme. Même en temps de crise.

Bilan

Aides et dépenses repartent à la hausse

Dans son bilan courant de 2009 à 2012, le gouvernement a relevé que la demande la plus importante de subsides émanant des entreprises se situait au niveau de la loi dite du 5 juin 2009, destinée à promouvoir la R&D et l’innovation (RDI). Les cordons de la bourse peuvent, dans ce contexte, être déliés (entre autres) pour des études de faisabilité techniques, des investissements dans des pôles d’innovation ou encore le détachement temporaire de personnel hautement qualifié. Via ce mécanisme, près de 42 millions d’euros ont été débloqués en 2012 pour des dossiers recouvrant, au total, des dépenses de 108 millions d’euros. Plus généralement, une centaine de projets a été soutenue l’an dernier via le régime RDI (88) et le régime énergie-environnement (loi du 18 février 2010). Celui destiné aux «jeunes entreprises innovantes» (compris dans la RDI) a soutenu, depuis 2009, 18 start-up par une aide totale de plus de 12 millions d’euros.