Jean-Marie Marmillon est le CFO d'Orange Luxembourg. (Photo: Jessica Theis)

Jean-Marie Marmillon est le CFO d'Orange Luxembourg. (Photo: Jessica Theis)

Monsieur Marmillon, votre précédente affectation était en République Dominicaine. Que retenez-vous de ce marché?

«Hormis l’aspect exotique de la destination, la capitale se présente comme une grande ville américaine, avec un surcroît de pollution et de trafic. Le marché de la téléphonie mobile prépayée concentre 80% de la consommation. Ceci pousse les opérateurs à améliorer leurs canaux de distribution tout en gérant les fluctuations de prix. Malgré des tarifs moins agressifs que la concurrence, les utilisateurs dominicains restaient fidèles à notre marque, plus probablement pour des raisons de service délivré et de qualité du réseau. Un de nos concurrents proposait effectivement des prix plus bas mais au détriment de la qualité des communications.

Quelle a été votre perception du marché luxembourgeois à votre arrivée?

«La prépondérance des abonnements post-payés et des offres illimitées sont une particularité du Luxembourg. Ce marché est très concurrentiel avec trois opérateurs et quatre maintenant présents. La situation du Grand-Duché implique beaucoup de communications internationales ainsi que des flux de frontaliers, ce qui le rend également complexe. Le mécanisme d’indexation est aussi une particularité importante qui nous concerne: une partie de nos charges y est soumise alors que les prix proposés au client n’ont pas augmenté depuis plus de deux ans. Cela impacte mécaniquement le niveau de profitabilité et nous oblige à continuellement rechercher une amélioration de la productivité tout en gardant le client final à l’esprit. L’attrait des derniers smartphones, très fort au Luxembourg, requiert aussi une gestion poussée des subventionnements de ces appareils coûteux.

Quel est votre plus grand défi dans ce contexte caractérisé par le «tout illimité» et des prix concurrentiels?

«Le maintien de la profitabilité de l’entreprise reste un objectif primordial. L’une des clés pour y parvenir est probablement la capacité de pouvoir fidéliser le client sur une durée suffisamment longue pour rentabiliser les remises et autres subventions dont ils bénéficient, par exemple, les réductions lors de l’achat d’un téléphone, mais aussi de pérenniser les revenus de l’entreprise au regard des investissements réalisés. Le transfert des revenus des communications voix et SMS vers l’utilisation de data via l’internet mobile entre aussi de plus en plus en ligne de compte dans notre calcul de profitabilité.

Sur quels leviers comptez-vous vous appuyer pour réaliser cet objectif?

«La spécificité d’un marché de télécommunications est le caractère immatériel des services rendus, ce qui nous amène à devoir trouver des mesures tangibles des consommations (minutes, SMS, data…), a contrario d’un secteur industriel dont la production est physiquement visible. D’où la nécessité de disposer d’outils informatiques complexes pour canaliser les informations relatives aux volumes de données de consommations et les interpréter.

Dans un marché saturé, il est préférable de se différencier sur les services proposés plutôt que de miser sur une guerre des prix.

La communication avec vos collègues est aussi un élément important…

«Le partage d’informations autour des nouveaux projets est effectivement crucial, particulièrement avec nos collègues du marketing et de la distribution. Notre rôle est ainsi de challenger les nouvelles offres et produits qui sont amenés à être mis sur le marché pour garder un équilibre entre la position que nous voulons occuper et la rentabilité économique des services. Il faut également toujours garder à l’esprit l’adéquation entre l’offre et son impact en termes de capacité de réseau. Le contrôle des usages nous anime en permanence afin d’éviter d’éventuelles surcharges de capacité. Les échanges avec l’IT sont également importants: ils permettent aussi de valider les chaînes de comptage et de facturation afin que les clients aient l’assurance d’être facturés justement et en fonction de leur usage. Enfin, il y a des interactions avec le service clients pour la mise en place de nouveaux services.

Quel impact aura la récente décision de l’Institut luxembourgeois de régulation de diminuer les tarifs de terminaison d’appel sur le marché luxembourgeois du mobile?

«Outre Orange, cette mesure décidée par l’autorité de contrôle impacte significativement l’ensemble des opérateurs alternatifs, tandis que l’opérateur historique perdra probablement dans sa branche mobile, mais devrait contrebalancer cette perte par un gain sur son activité fixe. C’est une nouvelle donne. Ceci nous amène à réfléchir sur de nouvelles formes de modèles économiques. Notre souci de préserver des offres pertinentes en usage comme en coût pour le client reste une priorité. Les investissements sur le Grand-Duché sont maintenus à des niveaux importants, Orange déployant ses propres réseaux.

Quid des évolutions législatives européennes en matière de roaming?

«Les tarifs de roaming facturés au client sont élevés en raison du niveau de surcharges facturées par l’opérateur étranger permettant l’accès à son réseau. L’évolution tendant à une disparition de ces surcharges de roaming entre opérateurs signifie la fin d’une époque durant laquelle les opérateurs ont bénéficié de revenus additionnels non négligeables et qui ont permis des investissements importants sur les réseaux: le Grand-Duché est pionnier en matière de réseau haut débit. À l’inverse, dire que le roaming sera totalement gratuit pour l’usager n’est pas vrai, puisqu’il y aura toujours un coût pour les opérateurs et donc cela sera pris en compte dans les offres. Il faudra tenir compte de cette perte de revenus dans nos calculs de rentabilité tout en nous assurant de maintenir la pérennité de l’entreprise.

Les nouvelles générations vous apportent-elles d’autres sources de revenus?

«Nous remarquons que les plus jeunes forment une génération qui parle de moins en moins: les SMS, les e-mails ou les réseaux sociaux sont plus utilisés que la voix pour communiquer via téléphone mobile. Ce qui nous pousse à développer d’autres modèles de valeur pour adapter des services à leur usage en tenant compte des moyens économiques limités de cette tranche d’âge. Le phénomène étant encore relativement récent, il conviendra d’avoir un peu de recul pour établir des modèles à long terme.

Les usages luxembourgeois sont-ils spécifiques en la matière?

«Le marché luxembourgeois est assez dynamique, notamment en raison de l’accès aisé aux terminaux haut de gamme, particulièrement lorsqu’une nouveauté est mise sur le marché. L’importante pénétration de l’iPhone au sein de la population est à ce titre révélatrice. De fait, les Luxembourgeois utilisent pleinement ces outils, nous le constatons dans les consommations de data mobile.

Quelles sont vos interactions avec vos collègues du groupe, particulièrement en France?

«Elles concernent naturellement les reportings que nous devons fournir sur une base mensuelle. Elles permettent surtout d’échanger des bonnes pratiques entre collègues afin d’adopter ou de transposer des projets qui se sont révélés porteurs dans un autre pays. Nous misons aussi sur des effets de groupe en matière d’achats, notamment via Buyin, une joint-venture entre Orange et Deutsche Telekom, qui réalise des acquisitions communes et donc permet de faire jouer des économies d’échelle afin de faire bénéficier les Luxembourgeois de ces avantages.

Quels sont vos besoins en matière d’outils informatiques pour mener vos missions à bien?

«Il s’agit essentiellement d’outils de reporting, qu’ils soient propres à notre branche luxembourgeoise ou issus d’Orange ou de Mobistar. Les bases de données sont particulièrement importantes pour traiter les informations nécessaires à nos prévisions financières. Nous tendons vers un usage parcimonieux de ce type d’outil, l’idée étant d’extraire les informations adéquates et fiables afin d’en dégager des tendances sans se perdre dans des détails.

Avec le recul, quels enseignements tirez-vous de votre parcours d’auditeur?

«Il aide avant tout à challenger les chiffres, les résultats. Le métier permet de dégager les tendances, de cerner les cohérences inhérentes aux données et de garder en tête les ordres de grandeur. C’est aussi un métier qui permet de se placer à une certaine hauteur à l’égard des résultats. Dans un monde marqué par des évolutions technologiques et de consommation rapides, il est important de garder le cap pour savoir où l’on veut aller.

Quelles sont vos perspectives personnelles à votre poste?

«Il y a tout d’abord de nombreux challenges à relever au Luxembourg. Ensuite, le groupe Orange propose une richesse en termes d’évolution, que ce soit localement ou à l’international. Je me sens bien au Luxembourg et qui sait, une expérience prolongée est séduisante.

Comment percevez-vous le Luxembourg en tant qu’expatrié?

«Même si le climat tropical et la formidable population de la République Dominicaine peuvent faire envie, la pollution dans la capitale contraste avec la qualité du cadre de vie luxembourgeois. La sécurité qui règne au Grand-Duché est aussi très appréciable. Sur un autre plan, je remarque que l’offre à l’égard des familles est très bien fournie et permet de trouver des activités qui conviennent tout à fait. Il en est de même pour les adultes, par exemple pour le triathlon que je pratique. J’arrive donc à faire coexister sans trop de mal mes obligations professionnelles et ma vie familiale. Sur un plan administratif, les démarches concernant les expatriés se déroulent relativement rapidement. J’ai du reste reçu un très bon accueil de mes premiers contacts luxembourgeois!»

Parcours

Différentes lattitudes, mêmes enjeux

Jean-Marie Marmillon présente un parcours varié à plus d’un titre. Il n’est tout d’abord pas issu d’une filière «classique» menant à la fonction de CFO. Ingénieur de formation (École Centrale de Lille), il a fait connaissance avec la matière financière via son premier job en tant qu’auditeur dans la branche française du cabinet Arthur Andersen, devenu, après changements, EY. Outre le contrôle financier des entreprises, cette expérience lui a permis de traiter des dossiers liés au monde des télécommunications. Une passerelle toute trouvée pour rejoindre, en 2004, le département consolidation du groupe France Télécom – Orange. Ces dernières années, il a beaucoup voyagé, notamment pour prendre la direction du contrôle de gestion de la division Africa Middle East Asia du groupe. Depuis septembre 2010, il était directeur du contrôle gestion d’Orange en République Dominicaine, avant de rejoindre le Luxembourg le 1er septembre 2013 en tant que directeur financier.